Une critique cinématographique peut être beaucoup de choses : un lieu de réflexion pour le critique réfléchissant au film qu’il vient de voir (comme s’il se parlait à lui-même) ; une façon pour le critique de défendre sa vision du cinéma ou du monde (à l’exclusion de toutes les autres ? Espérons que non) ; un lieu de contextualisation où le critique met en perspective le film par rapport à son époque, à la lueur de ses moyens et objectifs ; un lieu de jugement ou de constats, selon le tempérament de l’auteur ; une ode au bonheur écrite par le critique reconnaissant ; à l’inverse, un réquisitoire villipendant un film ou un cinéaste détesté ; un prétexte (le critique visant autre chose ou quelqu’un d’autre : il faut alors savoir lire entre les lignes) ; la mise en oeuvre d’un programme (le critique s’est juré d’écrire sur tous les films qu’il a vus) ; la défense d’un réalisateur (politique des auteurs) ou la mise en avant d’un genre (politique du genre) ; une compilation des acteurs et techniciens ayant participé au film à l’image de ces listes chères à certains cinéphiles ; une manière de partager avec d’autres (comme on partage un film en salle) des élans du coeur ou des réactions épidermiques ; le reflet d’un tempérament de pionnier défrichant les territoires moins empruntés de la cinéphilie ou le recours au Verbe pour chanter à nouveau la gloire des classiques révérés ; une main tendue vers un cinéaste ou l’expression d’un poing fermé ; un refouloir ou un défouloir ; un cri du coeur ou un regard apaisé ; une reprise du dossier de presse avec la recherche de formules types propres à faire vendre ; une réponse à une autre critique, qui donnera elle-même lieu à une autre réponse ; une manière de passer le temps (pas plus bête qu’une autre) ; une opération mimétique à coup de copier/coller ; de la bonne foi et de la mauvaise foi (tout cela ensemble) ; beaucoup (ou peu) de bruit pour rien ; des manières d’attaques ad hominem (attention aux boomerangs) ; un prétexte pour mettre une note au film (pour ceux qui y trouvent leur compte) ; l’expression ou le déni du savoir qu’un film représente beaucoup de travail et une critique parfois beaucoup de dilettantisme (relativisons) ; l’expression d’un jugement à caractère moral ou la reconnaissance de ce fait qu’il existe des morales ; une interprétation, le critique prenant ses responsabilités en cherchant un sens à donner au film, ou une série de descriptions, le critique se défiant des jugements péremptoires ; ou tout simplement le plaisir d’écrire sur le cinéma en se laissant guider par l’inspiration du jour (certaines critiques appartiennent au domaine de la littérature autant qu’à celui du cinéma et François Truffaut, par exemple, n’est pas passé loin d’une carrière d’écrivain, quand il écrivait dans Arts dans les années 1950 sous le regard bienveillant de Jacques Laurent).
Cette liste à la Prévert, non exhaustive, pour dire qu’il y a autant de manières d’écrire sur le cinéma qu’il y a de critiques : on ne s’étonnera donc pas qu’il y ait autant d’avis différents (et partant de discussions) sur les films. « Chacun a ses raisons« , selon le mot renoirien qui a connu une postérité à l’égal de ses films. Pour dire aussi que les supports utilisés (papier, revue, site, blog, forum) importent peu (ce n’est qu’une question d’exposition au plus grand nombre) et c’est pourquoi j’englobe ici blogueurs, forumeurs et critiques plus officiels, sous la même appellation de « critiques » : qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse.
Alors quels critères principaux pour décider de l’intérêt d’une critique (si tant est qu’il faille en décider) ? J’en proposerais trois qui me paraissent complémentaires (d’autres sont possibles) : celui du plaisir (plaisir pris par le critique comme par le lecteur, le premier étant a priori plus certain que le deuxième) ; celui de l’utilité, non pas dans une optique utilitariste, mais en fonction de ce que le lecteur (qu’il soit satisfait, irrité ou indifférent) a retenu de la critique et ce que le critique y a trouvé d’utile à formuler (ne pas oublier le bénéfice réel que le critique retire de l’exercice : en écrivant, il comprend mieux lui-même : qui cherche, trouve) ; enfin, celui de l’argumentation, plus difficile à apprécier ou justifier celui-là mais essayons quand même : un critique peut tout dire mais on comprendra mieux ce qu’il dit (on rejoint le critère de l’utilité) s’il explique de bonne foi, en argumentant (qu’il soit « hussard » ou annotateur scrupuleux), les raisons qui président à ses rejets et ses coups de coeur (le plaisir d’argumenter rejoignant le premier critère), et en recherchant, tel un chercheur d’or, le sens du film, car il y a toujours un sens à y trouver. Ainsi arrivons-nous à la figure du cercle, un cercle vertueux : la critique nait du film et dans le meilleur des cas y renvoie le lecteur, et ainsi de suite.
Strum
Tu mentionnes le critique écrivain. N’est-il pas cela avant tout ? Le moyen ne peut-il être aussi la fin ? Et dans ce cas, quid du style à considérer pour l’intérêt de la critique ?
Aussi j’ajouterai une image, celle du critique collectionneur. Et des mots qui, rarement mais à l’occasion, peuvent être liés au critique : mémoire et transmission. Je retiens surtout un mot de ta liste, le plus important à mes yeux, le partage. La compréhension vient aussi de l’échange avec soi-même et avec les autres.
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Bonjour Benjamin, le critique écrivain, avec le moyen en tant que fin : oui, tout à fait, d’ailleurs j’éprouve un plaisir particulier à lire des critiques bien écrites. Et en effet, le partage, on comprend mieux en écrivant et en échangeant : on écrit souvent en réaction à quelque chose.
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« Tout le monde a deux métiers » disait Truffaut, « le sien et critique de cinéma. »
Quel plaisir de lire chez d’autres ce qu’on ne prend le temps (ou qu’on n’ose) de formuler pour soi-même. Je coche bien des cases dans l’inventaire que tu as méthodiquement dressé dans l’article. Evidemment, pour rejoindre Benjamin, le partage reste la raison d’être principale de ces articles qui, en ce qui me concerne, étaient d’abord voués à soutenir ma mémoire défaillante face à une accumulation de films vus.
L’écriture, en ce qui me concerne, reste un plaisir et, j’ose dire même avec un manque manifeste d’humilité, une certaine satisfaction personnelle. Un exercice qui n’est pas sans se teinter de regrets aujourd’hui car l’écriture me prend assurément plus de temps que celui consacré à voir les innombrables films qui manquent à ma culture.
Quant à la lecture de ces critiques, combinant style ou argument ou même les deux, elle participe à entretenir la flamme de la passion, l’intérêt sans cesse renouvelé pour les choses du cinéma, tous ces « contes de faits » dont parlait Godard et qui, faute de le changer, nous aident à voir le monde autrement.
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Merci princécranoir. Je suis heureux de voir que l’on se retrouve sur plusieurs points et de lire sous ta plume (mais cela ne m’étonne pas) que tu prends plaisir à écrire, plaisir que l’on partage tous deux. Quant au temps, il n’est effectivement pas extensible hélas.
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