J’ai de l’affection pour Tetro (2009), un film tardif de la longue carrière de Francis Ford Coppola, réalisé à une époque où il essayait par des financements indépendants de faire revivre l’esprit, mort depuis longtemps, du cinéma américain des années 1970. Une des toutes premières images de Tetro (celle du papillon de nuit attiré par la lumière) fait penser à son précédent film, L’Homme sans âge (2007), conte faustien tiré de Mircea Eliade où un homme est prisonnier de sa condition. Mais alors que L’Homme sans âge, film un peu théorique, peinait à émouvoir, Tetro est un beau mélodrame familial devant lequel il n’est pas interdit de finir au bord des larmes.
Tetro raconte l’histoire d’un homme à la fois victime et prisonnier d’un secret de famille. Victime, il a fui un père tyrannique. Prisonnier, il ne parvient pas à transmuer son secret familial en création artistique, bien qu’il se rêve écrivain. Coppola joue des formats et des variations de luminosité pour nous le dire. Alors que la narration au présent du film est en scope (2,35:1) et en noir et blanc, les flashbacks relatant les scènes de la vie passée de Tetro sont en couleurs, des couleurs d’un rouge brûlant, les couleurs d’un tison ardent, car elles l’ont marqué à jamais. Ces images du passé sont en format standard 1,85:1, un format plus étroit que le scope qui fait figure de prison pour Tetro : il repense si souvent à ce passé qu’il est pareil à un prisonnier dans sa cellule, malgré les allures de poète urbain qu’il se donne. On n’échappe pas à son passé. Bergson l’avait formulé ainsi : « le présent n’est que le passé penché sur l’avenir ».
Au moment où commence le récit, Tetro (Vincent Gallo) vit en Argentine, à Buenos Aires (le film donne envie d’y aller) avec une femme qui l’aime. Son frère cadet, Bennie, lui rend visite. Bennie est joué par Alden Ehrenreich, que l’on a vu récemment dans Ave, César ! des frères Coen et qui est ici très bien. Son visage gracile et mouvant, passant facilement du rire aux larmes, s’oppose au visage hiératique et immobile de Vincent Gallo qui joue Tetro comme un homme condamné. Aussi repousse-t-il violemment son frère au début du film. Pourtant, Bennie va sauver Tetro en l’incitant à accepter son passé et sa famille. Grâce à Bennie, Tetro va mener et gagner un double combat. Le premier est un combat d’artiste. A nouveau, c’est par les images et le cadre que Coppola montre cela : au fur et à mesure que le film se déroule, les flashbacks extraits du passé s’effacent pour céder la place aux images mentales de Tetro, des images d’artiste. Alors que la première référence du film à Powell et Pressburger est un simple extrait des Contes d’Hoffman, les références suivantes sont des chorégraphies toujours inspirées des Contes d’Hoffmann et aussi des Chaussons Rouges des mêmes Powell et Pressburger, mais cette fois modifiées, imaginées, réinventées par Tetro. Idée simple mais forte qui dit la transformation d’un rêveur en artiste utilisant les matériaux de ses souvenirs pour créer son propre monde. Bennie, véritable pierre philosophale, aura permis cette transmutation du plomb des souvenirs en or. Le second combat que va mener Tetro, c’est le combat d’un homme apprenant le métier de père, et tachant de ne pas reproduire par mimétisme les erreurs commises par son propre père qui voyait en lui un rival et non un fils. Il va, ce faisant, briser la malédiction de la rivalité qui empêchait sa famille d’être une vraie famille.
Film grave et personnel, Tetro de Coppola aurait mérité un meilleur accueil public et critique, en particulier aux Etats-Unis où l’on voue un culte au Parrain (1971) de Coppola (un film qui me laisse assez froid par le romantisme qu’il confère aux histoires de mafia), une autre histoire de famille, à ceci près que dans Le Parrain, les drames que vivent les personnages sont inscrits non dans le passé mais dans l’avenir, à la manière d’un destin funeste.
Strum
J’aime également énormément Tetro, comme j’aime l’oeuvre de Coppola dans son ensemble. L’Argentine, Powell &Pressburger, le Noir et Blanc, le film reveille en effet l’esprit de la jeune garde creative des seventies, qui s’ inspirait déjà de la Nouvelle Vague. Il fait surtout montre d’une très grande liberté de l’auteur quis’ est acheté son indépendance grace a des activités plus rentables que le cinema. Le silence assourdissant dans lequel il nous laisse depuis Twixt commence etre pesant.
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Effectivement, depuis Twixt (que j’aime bien et qui pousse encore plus loin la logique du film de famille, très personnel, avec des financements indépendants), Coppola semble se reposer parmi ses vignes.
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