Il émane un prodigieux parfum de véracité de Convoi de Femmes (1951) de William Wellman (le titre original, Westward the women, est comme d’habitude plus évocateur). C’est l’un des chefs-d’oeuvre du western, genre qui en compte beaucoup. Le film relate l’épopée d’un groupe de femmes tentant de gagner la Californie, à l’instigation d’un grand propriétaire terrien qui recherche des femmes pour les hommes de son domaine. Son contremaitre (Robert Taylor) leur sert de guide. Franck Capra envisageait au départ de filmer cette histoire dont on lui attribue la paternité (mais qui fut sans doute inspirée de faits réels). Ce n’est pas lui faire injure que de penser qu’on ne perdit pas au change lorsque le projet fut confié à Wellman tant le style vigoureux de ce dernier s’accorde au sujet.
Après une ouverture limpide et sêche, où l’enjeu du récit est posé (le film est superbement écrit), Wellman nous invite à regarder ces femmes admirables (ces « great women ») franchir les obstacles les uns après les autres. Une litanie de maux s’abat sur elles : des guides hommes médiocres et lâches qui s’enfuient, la chaleur, les indiens, les serpents à sonnettes, les accidents survenant dans le maniement des armes à feux. Ces maux sont décrits avec minutie, et toujours avec cette volonté de réalisme qui fait le génie du film.
Mais de litanie dans la mise en scène, il n’y en a pas : inventive dans le cadrage (des plans larges de groupe aux multiples plongées et contre-plongées sur Denise Darcel, soulignant le rapport de force et d’amour qu’elle instaure avec Robert Taylor), juste et variée dans le rythme (chaque épisode a le sien), attachée à saisir les détails d’une vie de pionnier, elle ne donne jamais le sentiment de la répétition. Surtout, la caméra de Wellman trouve une distance qui lui permet de rendre compte des péripéties du film de manière directe. Elle donne l’impression d’un miroir regardant ces femmes vaincre le désert. Comme si, devant leur héroïsme, qui est celui d’un quotidien réaliste, Wellman s’imposait le silence et la sécheresse. Il ne surligne jamais une scène d’action par de la musique et son découpage reste au plus près du récit, sans relâchement. La rigueur de sa mise en scène confère aux drames du récit, nombreux et souvent inattendus, une force qui libère la stupéfaction du chagrin, de ces chagrins dont la violence immobilise, comme celui d’une mère perdant son jeune fils ou d’une femme perdant son amoureux. Ces drames sont autant ceux des femmes prises individuellement, que ceux d’un groupe, car l’héroïsme dont le film rend compte est collectif. Il n’est pas le fait d’individus solitaires mûs par leur seule volonté.
L’épopée de ces femmes livre une leçon que peu de westerns ont su capter avec une telle évidence : les pionniers pour vaincre se devaient d’être impitoyables. Façonnés par les épreuves, le climat et l’aridité des paysages de l’Ouest américain (Wellman y intègre fort bien ses personnages), seuls survivaient les plus forts, les plus endurcis. C’est la raison de la discipline de fer que Robert Taylor impose à son convoi, où la loi des armes est la seule qui compte. Il n’hésite pas à tuer quand il le faut et ne rend compte qu’à lui-même. Pour que la civilisation perdure, elle doit dans les grandes épreuves faire quelques concessions à ses principes : on n’est pas si loin du constat de L’Homme qui tua Liberty Valance, sauf qu’ici Wellman rend compte de cela comme d’un fait, sans en faire comme Ford la matière d’une réflexion mélancolique. En revanche, Convoi de Femmes, film behavioriste où les personnages sont définis par leurs actions, est fort éloigné du Convoi des Braves de Ford qui racontait une errance d’ordre spirituel.
La fin du film arrive comme une délivrance. Ces femmes fortes sont si belles, si émouvantes, que l’on est heureux de les voir choisir leurs hommes comme autant de récompenses et de voir ceux-là les accueillir avec respect et gentillesse. Magnifique hommage aux femmes anonymes de l’Ouest, Convoi de Femmes est un film rare dans un genre parfois avare de beaux portraits de femmes. Les interprètes de ces femmes fortes (Denise Darcel, Hope Emerson, Julie Bishop, etc.) sont superbes. Convoi de Femmes fait partie d’un tiercé de grands westerns, ses meilleurs, tournés par Wellman entre 1948 et 1951 (les deux autres étant Yellow Sky et Au-delà du Missouri).
Strum
Bonjour Strum,
J’ai vu ce film assez récemment et je trouve effectivement qu’il est de très grande qualité. Je n’ai plus grand chose à ajouter à ton analyse, à part peut-être le fait que même l’humour n’y est pas absent. Une œuvre rare j’ai envie de dire, et que je conseille vivement.
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Felicitations pour ce post 🙂
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Bonjour Sentinelle, effectivement, c’est un des classiques du western et un film à ne pas manquer.
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D’abord, j dois dire que je suis un grand fan des films de Wellman donc je risque de ne pas être très objectif. J’abonde complètement dans le sens de ton texte qui fait la part belle a ce grand humaniste qu’etait Wellman. Un cineaste toujours attiré par des sujets a la marge, assez éloigné des archétypes héroïques. Les siens sont des enfants (wild boys of the road) ou le plus souvent des femmes en effet (Frisco Jenny ou safe in hell, et j’en passe) quand il ne s’ agit pas de leopard invisible ou de types promis a la potence. Dans cet inventaire, convoi de femmes trouve aisément sa place. Tout amateur de western hors sentiers battus se doit de voir ce film. En bonus, Denise Darcel vient nous rappeler qu’on a pas attendu Cotillard pour qu’une française brille dans un film americain.
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Merci princéranoir, tu me rappelles qu’il me reste beaucoup de Wellman à voir, notamment dans les années 1930. Pour ce qui est de Denise Darcel, j’ai un faible pour son rôle dans Vera Cruz.
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Il faut dire qu’entre Cooper et Lancaster, elle jouissait d’un bel encadrement.
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Je vois que nous avons toujours des goûts communs 🙂 J’admire Wellman sans retenue et ses westerns sont d’aune beauté à tomber. Celui-ci est plein de lyrisme et de pudeur avec, comme le note la Sentinelle, ce qu’il faut d’humour. Et quelle émotion quand les femmes font l’appel après l’attaque et qu’une voix manque.
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Wellman, c’est un tout bon, et sa filmographie est vraiment riche ; comme je le disais, il me reste plusieurs de ses films des années 1930 à voir, notamment les « pre-Code ». Pour rester dans les westerns, j’ai un faible pour Au-delà du Missouri, qui est magnifique (quelle fin !) J’aurais d’ailleurs pu le citer dans les films que The Revenant, par réaction, m’a donné envie de revoir.
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