Woody Allen et la fidélité due aux grands cinéastes : sur L’homme Irrationnel

L'Homme irrationnel : Photo Joaquin Phoenix

Woody Allen est un des grands réalisateurs américains de ces quarante dernières années. A ce titre, on le tient en France, en haute estime. Mais avoir de l’estime ne signifie pas vouer une admiration aveugle. C’est pourtant ainsi qu’a été accueilli par une majorité de la critique française L’Homme Irrationnel, le dernier opus allenien, alors qu’il s’agit à mon sens d’un des plus mauvais films de son auteur, l’un des moins crédibles humainement.

Joaquin Phoenix y joue un professeur de philosophie misanthrope et nihiliste qui, entre deux cours de philosophie où il égrène des banalités, songe au suicide. Lors d’une scène d’une invraisemblance totale, il entend une voisine de restaurant se plaindre d’un juge qui lui a donné tort dans une affaire de divorce. La réaction de sa voisine est on ne peut plus humaine : un justiciable se plaindra toujours du juge qui l’a condamné, lui prêtera toujours de noires intentions. Pourtant, et cela en dit long sur le caractère artificiel et théorique du film, et sur la bêtise de son personnage principal, Phoenix, à l’instar du Raskolnikov de Dostoïevski tuant l’usurière, en déduit que le monde sera meilleur s’il tue le juge. Ce désir de meurtre lui donne enfin une raison de vivre. On nous rétorquera qu’il prend cette décision absurde parce que c’est un homme « irrationnel », comme nous le dit le titre. Mais en réalité, c’est un homme « artificiel », un personnage de cinéma auquel on ne croit pas. Tout le film est vicié par l’artificialité de départ de son personnage principal. C’est un film formule dont l’argument principal aurait tenu dans un format de court métrage. Emma Stone, en étudiante amoureuse, sauve à peine ce qui s’ensuit, jusqu’à une pirouette finale sur le hasard recyclée par Woody Allen. Cette énième variation sur le thème de Crime et Châtiment (appartenant à la veine dostoïevskienne de Woody, qui passe par Match Point et dont le sommet reste Crimes et Délits, son chef-d’oeuvre, que j’ai chroniqué ici) démontre que le filon est épuisé et qu’il est temps pour Woody d’aborder d’autres sujets.

Etre fidèle à un auteur, ce n’est pas mettre au pinacle tous ses films, c’est lui témoigner de l’admiration quand il est à son meilleur tout en opérant une distinction entre ses mauvais films et le reste pour mieux mettre en avant et servir ses meilleures oeuvres. Woody Allen a connu son âge d’or durant la décennie 1980, enchainant des films inimitables de vivacité formelle, d’invention et de fantaisie, avec des personnages tellement vivants et crédibles. Ce n’est pas la misanthropie et la raideur formelle qui transparaissent dans plusieurs de ses films des années 2000 qui nous le feront oublier.

Strum

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3 commentaires pour Woody Allen et la fidélité due aux grands cinéastes : sur L’homme Irrationnel

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