Avez-vous remarqué comment la presse a chroniqué les derniers films de Spielberg (Le Pont des Espions), Malick (Knight of Cups) et Moretti (Mia Madre) ?
Pour l’essentiel, comme de nouveaux épisodes des aventures cinématographiques de ces trois réalisateurs, chaque film étant analysé à la lumière de leurs films précédents et de la personnalité de leur auteur (du moins ce que l’on croit en savoir). A cette aune, Le Pont des Espions serait un nouveau chapitre de l’histoire des Etats-Unis que Spielberg entendrait bâtir depuis quelques films, Knight of Cups, une nouvelle preuve que Malick, de cinéaste ermite et parcimonieux, serait devenu un cinéaste prolifique mais esthétisant et abscons ne faisant des films que pour lui-même, et Mia Madre, un nouveau film autobiographique de Moretti. Chacun de ces cinéastes aurait créé un genre (le film spielbergien, le film malickien, le film morettien, etc.) et chacun de ces films serait un film de genre à sa façon, ou si l’on préfère un nouvel épisode d’une série avec ses figures imposées.
Or, si cette approche critique, rançon de la théorie des auteurs, permet sans doute de mieux cerner certaines des obsessions récurrentes d’un cinéaste, elle risque aussi de nous enfermer dans une vision préconçue du film (concordant avec notre vision préconçue de l’auteur) qui augure mal de l’analyse critique du film seul. Un genre, par définition, se comprend comme un cadre rigide, répondant à certaines règles immuables recyclées de film en film. On voit donc le danger qu’il y aurait à considérer ces films comme des genres en soi : celui de mal les regarder en prétendant savoir d’avance ce qu’ils racontent. Par exemple, si l’on considère, par réflexe paresseux, Le Pont des Espions comme un film historique « spielbergien », et donc forcément « édifiant » et rassurant avec un héros à admirer (Tom Hanks en avocat vertueux), ne court-on pas le risque de ne pas voir que le film, entre autres choses, pose la question difficile et très actuelle des droits de la défense dont devraient bénéficier les terroristes et autres ennemis intérieurs de nos sociétés ? Spielberg, en présentant ses « espions » comme des hommes perdus et démunis, aux visages de pierrots lunaires, et non d’abord comme des espions (titre absurde que ce « Pont des Espions » qui oblitère le sens du film), en montrant un avocat en butte aux exigences de la Justice américaine, de la CIA, de sa propre famille, qui refusent d’admettre que l’espion qu’il défend puisse bénéficier de tous les droits dûs à un justiciable, prend position sur le sujet et critique en sous-main une administration américaine qui n’a toujours pas fermé la prison de Guantanamo malgré les promesses répétées d’Obama. Comme le dit Tom Hanks dans le film, « everyone matters ».
On devrait toujours voir un film les yeux grands ouverts, en posant comme principe et comme fiction, que l’on ne sait rien d’avance de ce qui va se dérouler à l’écran. C’est à ce prix que l’on verra le mieux.
A suivre.
Strum
Intéressant ce point de vue sur la lecture « auteurisante » des films. Ce que tu écris est fort juste mais ne peut on pas allier l’eclairage particulier d’un film a la permanence de thèmes ou de motifs caractéristiques d’un cinéaste ? Ne peut on voir « bridge of spies » sous l’angle de la crise familiale, des obsessions d’un mari très spielbergien obnubilé par son combat comme d’autres pouvaient l’être par une « rencontre du troisieme type » ? Je crois que les films fonctionnent en réseau chez un bon cinéaste, assurant une parfaite cohérence a leur oeuvre. C’est ce qui les rend fascinants.
J’aimeJ’aime
Oui, on peut allier les deux. Cette note de début de blog était presqu’une note à moi-même, car je regarde les films en fonction de leurs auteurs, en suivant leur parcours. Ce qui l’avait inspirée, c’était l’idée que parfois on approche (et cela vaut pour les amateurs comme pour les détracteurs d’un réalisateur) chaque nouveau film d’un auteur en y recherchant des espèces d’idéaux-types, les thèmes et les images familiers de l’auteur, pour le faire rentrer dans un moule (celui du monde cinématographique de l’auteur). Or un auteur (comme son oeuvre) évolue constamment. Comme tout écrivain et tout peintre, un réalisateur de films a ses périodes, et son oeuvre est inégale, et faite aussi de films atypiques, pas si faciles à catégoriser. l’interprétation d’un auteur et d’un film reste aussi toujours ouverte. D’où cette note rapide évoquant la nécessité de regarder chaque film si possible avec un oeil neuf et non blasé.
J’aimeJ’aime
Cet œil neuf est malgré tout difficile à avoir, surtout lorsque la cinéphilie nous a habitués à mettre les films en réseau. Et lorsqu’on ne rapproche les films d’un même réalisateur entre eux, on va chercher chez les autres ce qui pourrait bien lui ressembler. Il me semble important tout de même de procéder à mise en réseau des œuvres. Elle permet comme tu le dis d’en apprécier les évolutions, les tendances, les périodes, sans pour autant en négliger les constantes. Elles sont fondamentales, constituant une sorte d’ADN présent même dans les projets les plus atypiques. « Ma loute » témoigne à merveille du chemin parcouru depuis « la vie de Jesus », et le basculement comique apporte de nouvelles couleurs à sa palette. Néanmoins, (et Dumont le rappelle volontiers dans ses entretiens), le fantastique n’a jamais été absent de ses films, car les chroniques qu’il présente, toute réalistes soient-elles, sortent de la réalité en étant happées par l’optique de la caméra, puis dans l’engrenage du montage. Une évolution passionnante qui est bien souvent la caractéristique des grands auteurs.
J’aimeJ’aime