The Thing de John Carpenter : virus de la paranoïa

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Dans The Thing (1982) de John Carpenter, film à mi-chemin de l’horreur et de la science-fiction, les effets spéciaux sont le clou du spectacle. A intervalle régulier, la « chose » venue de l’espace sort du corps humain qui l’abritait, pour prendre une forme organique vaguement réminiscente de l’humain, mais qui en est en réalité une parodie, une imitation mal digérée, comme d’un copiste maladroit. Oeuvres de Rob Bottin, ces effets spéciaux impriment dans le cerveau de qui voit le film adolescent des images indélébiles.

C’est si vrai que les images de la chose apparaissent familières à qui les revoit plusieurs décennies après. Il les reconnaît et se souvient que ces effets spéciaux furent à la fois l’objet d’éloges et le sujet de critiques, car d’aucuns prétendaient qu’ils se substituaient à la progression dramatique d’un film il est vrai avare de psychologie. Néanmoins, autre chose apparaît maintenant clairement à ce spectateur désormais adulte : la mésentente qui règne parmi les membres de cette base américaine sise quelque part en Antarctique, la paranoïa qui est à l’oeuvre au sein du groupe et qui fait que chacun se méfie de l’autre, l’étroitesse et l’obscurité des couloirs et des décors qui donnent une impression de claustrophobie, d’inéluctable enfermement, dont rend compte la maitrise de l’espace de Carpenter. Dans Alien de Ridley Scott, les membres du Nostromo étaient souvent filmés dans d’immenses décors suscitant le sentiment qu’ils étaient le jouet d’une créature immémoriale et extérieure à l’homme, contre laquelle ils étaient impuissants. Certes, dans les deux films, la créature se cache à l’intérieur des corps. Mais dans The Thing, c’est le mal lui-même qui parait intérieur, comme s’il précédait la chose : toute une série de mauvaises décisions, de disputes et d’incompréhensions scellent le sort du groupe, le rendant incapable de lutter contre ce monstre qui se transmet par le sang, comme un virus.

D’ailleurs, la chose n’a pas de nom et nul ne songe à lui en donner. Elle n’a pas non plus d’apparence déterminée. Virus-protée dont l’enveloppe extérieure tente d’imiter l’homme ou le chien contaminé, elle n’est rien par elle-même ; elle n’existe qu’en présence d’un corps extérieur pouvant lui servir de réceptacle ; elle est en même temps partout (ayant le don d’ubiquité, présente tout entière dans chaque cellule) et nulle part (elle est invisible) ; elle a vocation à contaminer l’humanité dans son ensemble, mais cette même humanité pourrait la vaincre, si elle était mieux organisée, plus solidaire, plus attentive à l’autre, plus digne de survie. Dans The Thing, chaque personnage ne pense qu’à lui, ne survit que pour lui. Le personnage principal, le pilote McReady (Kurt Russell) ne vaut à cet égard pas mieux que les autres, il est peut-être même pire, ne s’intéressant qu’à lui-même ; ainsi quand Carpenter le filme bardé d’explosifs, prêt à se faire sauter et la base tout entière avec lui, lorsque les autres le suspectent d’être la « chose ». Ce qui détruit la base, et ce qui va détruire l’humanité, si l’on a une interprétation pessimiste de la fin où McReady et Childs sont incapables de se faire confiance, c’est moins une chose venue de l’espace ou un monstre lovecraftien prisonnier des glaces, que le virus déjà présent de la paranoïa et d’une méfiance généralisée, enfant de cette guerre froide qu’a toujours connu Carpenter, et plus généralement de sa conception de l’humanité. La chose n’est qu’une étincelle nécessaire à l’embrasement d’un combustible qui la précède et l’embrasement final viendra, feux scintillant dans une nuit de glaces. On a reproché au film de ne pas prendre la peine de décrire son contexte, de ne pas contenir de prologue (d’emblée, la créature arrive dissimulée dans ce chien-loup mystérieusement poursuivi par un hélicoptère), de ne pas creuser le profil psychologique des personnages, qui sont à peine esquissés par le scénario, de ne pas décrire leur relation de groupe. Tout cela est vrai et un film comme Alien, pour prolonger cette comparaison entamée, est à cet égard bien mieux écrit. Toutefois, cette approche contient sa propre logique misanthrope qui fait écho à celle du film : il n’y a rien à décrire au préalable car il n’y avait pas de vie réelle du groupe et, pour la « chose », tous les hommes de cette base se valent, tous déjà contaminés par le virus de la paranoïa. Remake d’un film de Christian Niby et Howard Hawks (La Chose d’un autre monde (1951)), The Thing est aussi et surtout une adaptation plus fidèle de la nouvelle d’origine de John Campbell. Un film qui conserve toute son efficacité (contrastes de la photographie, sens de l’espace, qualité impressionnante des effets spéciaux, tout cela n’a pas vieilli), mais aussi ce côté quasi-nihiliste qui avait rebuté les spectateurs à l’époque et conduit à un échec commercial portant préjudice à la carrière de Carpenter.

Strum

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2 commentaires pour The Thing de John Carpenter : virus de la paranoïa

  1. princecranoir dit :

    Ta brillante analyse virale vient parfaitement étayer celle que je proposais il y a quelques mois : la Chose est bien un ennemi intérieur, l’homme porte en lui le germe de sa principale menace. Cette thématique traverse d’ailleurs bien des films de Carpenter, des assaillants invisibles de son deuxième film à l’invasion subliminale d’ignoble manipulateurs (They live!) en passant par ce liquide méphitique qui s’échappe de son contenant dans « Prince des Ténèbres ». Carpenter a toujours été cash face à l’apocalypse : c’est la loi du chacun pour soi. Réaction peut être explicable chez un réalisateur échaudé d’avoir dû disputer la paternité de son premier film. En cela, comme tu l’as bien décrit dans ton texte, McReady la joue solo dans The Thing, Kurt Russell retrouvant ainsi les réflexes de son Plissken entré dans la légende. Tout ceci ne manque nullement de cohérence, et qu’importe la faiblesse psychologique, quand le froid vous mord les entrailles l’urgence est ailleurs.

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    • Strum dit :

      Oui, nous nous rejoignons. Je me souvenais très bien des scènes d’apparition du monstre (preuve de leur reussite), moins de la paranoïa ambiante qui est en fait la véritable marque du film et se retrouve en effet, dans mes souvenirs, dans plusieurs autres Carpenter comme tu le soulignes.

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