Le succès d’un casse tient à la minutie de sa préparation et au minutage de son déroulement. C’est du moins ce qu’enseignent les films que le cinéma a consacrés au sujet. Par transparence, les meilleurs films du genre sont eux-mêmes découpés et minutés avec une rigueur qui assure l’efficacité de leurs effets. C’est le cas de l’excellent Mélodie en sous-sol (1963) de Henri Verneuil sous l’influence des classiques américains. Jean Gabin y incarne Charles, un gangster âgé tout juste sorti de prison, qui ne reconnaît plus dans la Sarcelles des HLM sa ville fleurie d’autrefois. Sa femme (Viviane Romance, tout de même) lui propose d’acquérir un hotel-restaurant sur la côte où ils pourraient passer leurs vieux jours. Si le film avait été écrit par Antoine Blondin, Gabin aurait accepté, aurait été enterrer ses vieux rêves dans l’atmosphère racornie de son établissement, et serait devenu ami avec un jeune homme égaré joué par Jean-Paul Belmondo, aux rêves évanouis lui aussi. Mais alors, nous nous serions retrouvés devant Un Singe en hiver (1962), tiré du roman de Blondin, que le même Verneuil venait de réaliser – signant ainsi deux classiques, coup sur coup, du cinéma français. Dans Mélodie en sous-sol, Charles refuse au contraire cette perspective. Le rêve est encore au devant de lui, du moins le croit-il, et Gabin joue avec l’autre jeune premier du cinéma français du début des années 1960, encore trop beau pour susciter la mélancolie : Alain Delon.
Mû par l’espoir d’une retraite dorée à Canberra, Charles propose à Francis (Delon), délinquant par trop insouciant, de dévaliser le casino du Palm Beach de Cannes selon un plan mûrement conçu. Ils enrôlent pour l’occasion, dans un rôle de chauffeur, le beau-frère du second (Maurice Biraud). Verneuil aborde la partie du film dédiée au cambriolage muni d’un viatique : montrer par l’image le déroulement de l’affaire. Dès que Gabin donne ses explications, l’image surgit qui montre soit, sous un angle topographique, le lieu à venir de l’action commenté en voix-off, soit l’action elle-même. Ce prisme topographique (le même qui sous-tendait les images d’une Sarcelles vue d’en haut au début, quadrillée par les HLM) permet au film de ne pas perdre de temps, ni de perdre l’attention du spectateur, préparé à ce qui va advenir le soir du cambriolage du casino, ce qui contribue au suspense de l’ensemble. L’entraînante partition jazzy de Michel Magne achève de conférer au film un rythme soutenu, les pièces du puzzle s’emboîtant peu à peu. Les dialogues imagés de Michel Audiard vont vite et catégorisent les personnages en gentlemen, caves, tocards, harengs, chacun recevant son dû, selon la manière misanthrope mais efficace du dialoguiste. Verneuil découpe sans hésitation ni heurt son film, ne s’embarrassant pas de fioritures stylistiques (le style est d’ailleurs ce qui lui faisait défaut), si ce n’est dans plusieurs plans où les personnages apparaissent reflétés dans des miroirs, dont le sens n’est pas immédiatement clair : afféterie stylistique inattendue de Verneuil ou façon de dire qu’ils sont déjà des reflets immobiles condamnés à l’échec par avance ? La question reste ouverte.
Francis s’avérera être affublé d’une chose pire que l’insouciance pour un gangster : la malchance. Dans le cinéma français, l’époque n’était pas à l’optimisme – mais le cinéma français a-t-il jamais été optimiste ? La dernière séquence, fort bien conçue et agencée, frappe l’imagination : des milliers de billets flottant dans la clarté d’une eau transparente ; tapissant l’écran, ils semblent à portée de main des deux hommes les regardant ; mais ils demeurent inaccessibles, comme si le verre de leurs lunettes noires reflétait la fumée de leur rêve se consumant. Canberra parait bien loin. Peut-être qu’Antoine Blondin aura le dernier mot après tout, et que la vie de Charles s’effacera dans un hors champ triste où s’assombrira encore un peu plus la photographique de Louis Page. Gabin, massif et autoritaire en cerveau de l’affaire, et surtout Delon, en voyou impulsif mais habile de ses mains (il n’est d’ailleurs pas doublé lors de la scène du cambriolage), sont très crédibles dans leur rôle respectif.
Strum
J’ai appris un nouveau mot, ou plutôt une nouvelle signification : « Hareng » ! Merci ! Film sympa’….
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L’argot utilisé par Audiard garde parfois ses mystères d’ailleurs.
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Blondin, Gabin, Verneuil, Delon, Magne que du beau linge. Je me souviens de ce film, de son rythme, son ambiance. Je le regarderais bien de nouveau. Merci pour ce bel article.
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De rien, merci. Cela dit, Blondin, c’est dans Un Coeur en hiver, pas dans ce film-ci. 🙂
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Quel idiot je fais !
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Mais non, d’ailleurs, j’ai moi-même écrit dans ma réponse Un Coeur en hiver (de Sautet) au lieu de Singe en Hiver !
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Du bel ouvrage tout ça, un classique instantané.
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Oui, de la belle ouvrage en effet pour ce classique français du genre.
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Si mes souvenirs sont bons, il existe une scène où Delon perd du temps à regarder le spectacle des danseuses dans la grande salle du casino, ce qui a des conséquences fâcheuses. Cette idée de scénario (soulignant le tempo général par le besoin qu’éprouvent certains personnages de relâcher un peu la tension) semble empruntée à « Quand la ville dort » de Huston, Sam Jaffe s’attardant à voir danser une jeune femme dans un moment décisif où chaque minute compte.
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Tu as tout à fait raison pour l’emprunt probable à Quand la ville dort. En fait, Delon s’attarde par jalousie, pour regarder la danseuse dont il est tombé amoureux et qui lui a préféré un autre.
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Ah j’adore ce film ! Revu il n’y a pas très longtemps. Gabin est formidable mais Delon impressionne. La caméra est son amie.
Du coup, à te lire, je me pose une question existentielle : est-ce que Delon aurait été un aussi bon Gabriel Fouquet (d’un film encore plus adoré) que Belmondo ?
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Non, à chacun son talent. Delon aurait été un moins bon Gabriel Fouquet mais Belmondo aurait de son côté été un moins bon Francis.
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