Face à la nuit (2019) de Ho Wi-ding raconte à l’envers la vie d’un homme en commençant par ses dernières vingt-quatre heures qui ont lieu dans notre futur, en 2049. Cette vie est une chute sans fin, une chute dans la nuit de l’existence, qu’annonce de façon programmatique le premier plan. Le défi de ce genre de récit conceptuel, c’est de parvenir à intéresser le spectateur bien qu’il connaisse déjà la fin de l’histoire. Le fatalisme habituel à tout film noir va généralement de pair avec un principe d’incertitude, un certain suspense, maintenant l’intérêt du récit. Ici, tout est déjà donné d’avance et l’incertitude ne porte que sur les causes de la chute. L’autre difficulté que soulève Face à la nuit, c’est que son personnage principal, tel que nous le rencontrons au début du film, est une brute dénuée de toute espèce d’empathie qui ne vit que pour assouvir une vengeance. 30 années auparavant, sa femme l’a trompé avec un capitaine de police, et Zang Dong Ling n’a de cesse de vouloir se venger de ces deux-là. Bloc de rage concentré, il est doublement déterminé : tendu vers le futur en vue d’un objectif unique, dirigé par les fils de son passé, qui a fait de lui un personnage psychologiquement immobile, vivant pour toujours dans la journée de son humiliation tandis que le futur remplaçait le présent. Il est entièrement privé de libre arbitre. On ne sait d’ailleurs si l’impression de programme vient davantage du récit ou du personnage.
Ce qui sauve le film d’un dirigisme total qui serait rédhibitoire pour le spectateur, ce n’est pas sa représentation aussi crédible qu’inquiétante d’un futur où l’intelligence artificielle surveillera nos faits et gestes (ce film sino-taïwanais a été tourné à Taïwan et en Corée du Sud, pays où se mêlent tradition et high tech). C’est au contraire ce qu’il ne raconte pas et qu’il nous laisse imaginer entre les interstices. Plus précisément, ce sont deux beaux personnages de femmes qui apportent en cours de route cet indispensable espace de liberté que Zang Dong Ling ne peut nous donner. Il y a d’abord cette jeune française immigrée clandestine (Louise Grinberg) qui représente pour Zang (Hong-Chi Lee) la possibilité d’une autre vie ; il y a surtout sa propre mère qu’il ne connait pas et qu’il va rencontrer de manière impromptue dans un commissariat. C’est une très belle séquence, moment de délicatesse soudaine, de douleur mélancolique palpable, qui surgit de manière inattendue au milieu de ce film très dur où la violence et l’argent dictent l’ordre des choses. C’est ce personnage de mère à la fois indigne et flamboyante, joué par une actrice superbe (Ning Ding qui parait sortie d’un film de Wong Kar-wai), dont on aurait aimé connaitre l’histoire, plutôt que celle de Zang qui ne pardonne jamais rien et dont l’horizon est bouché. Dommage qu’on ne la voit pas davantage.
C’est d’ailleurs sur cette contradiction, ou ce regret, que butte la structure irréversible du film. Le regret que Zang soit devenu mauvais, soit devenu un assassin, pas moins pire que le capitaine, et bien pire que sa femme (que Zang par son comportement a forcé à répéter la faute de l’adultère), alors que sa propre mère et cette jeune française immigrée lui avaient montré que le monde recelait autre chose que l’horreur de la nuit et la soit-disante irréversibilité d’une existence. Le grain de l’image est intéressant, Ho Wi-ding tournant en 35mm et non en numérique (ce qui donne un côté rétro-futuriste, et fait parfois penser dans les scènes à Taiwan de la troisième partie au Edward Yang de Taipei Story, film bien plus beau cependant). Déjà aguéri aux possibilités de la mise en scène alors qu’il s’agit d’un premier film, il filme la nuit comme une nasse opaque enserrant des personnages courant vainement pour y échapper. La seule scène se déroulant à la lumière du jour est d’ailleurs celle qui ment le plus sur la réalité de la vie à venir de Zang.
Strum
PS : Le titre international du film est Cities of Last Things, pas plus proche que le titre français du titre chinois (l’ironique La cité du bonheur).
Bonjour Strum, j’ai vu ce film en avant-première il y a quelques mois en ne connaissant pas du tout l’histoire et je n’ai pas compris grand-chose pendant plus d’une heure. Je ne savais pas que c’était le même personnage avec un retour dans le temps. Je suis restée un peu perplexe. En revanche, la mère du personnage est en effet très intéressant. La dernière partie m’a beaucoup plu. Il faudrait que je le revois. Bon 14 juillet.
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Bonjour dasola. Je ne connaissais pas non plus le principe du film avant de le voir. Je n’ai pas aimé la première partie avec ce personnage si brutal et fermé, impossible à aimer ; cela s’arrange avec la deuxième partie, mais c’est la partie avec la mère qui est de très loin la plus belle et sauve le film. Bon 14 juillet également.
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Ce film, cette histoire, ce personnage indécrottable m’ont cueilllie peu à peu.
Ce film m’a énvoûtée.
J’ai « rencontré » le réalisateur à Beaune, il était enchanté du titre français. Il faut dire qu’il était très courtois.
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Je n’ai pas réussi à m’attacher au personnage après la chute affreuse du premier segment. Mais il y a ensuite de beaux moments et surtout la scène avec la mère. Sympa d’avoir rencontré le réalisateur. C’est vrai que le titre français est beau.
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