Dans les faubourgs d’Helsinki, Koistinen (Janne Hyytiäinen), un agent de sécurité, est dupé par Mirja (Maria Järvenhelmi), une jeune femme qui l’a séduit. Elle commet un vol dont il est accusé, sans qu’il cherche à se défendre de cette accusation. Tout cela sous le regard tiers d’une autre femme, Aila (Maria Heiskanen) qui l’aime sans retour. On retrouve dans ce film beau et bref sur un coeur simple l’art particulier d’Aki Kaurismäki. La distanciation qu’il impose par le caractère mutique et comme immobile de sa mise en scène est une forme de stylisation, mais elle n’empêche pas de s’identifier à Koistinen et de le plaindre, de vouloir lui insuffler l’esprit de révolte contre ce monde qui échappe à sa compréhension. Janne Hyytiäinen conserve la même expression tout le film durant mais elle n’est pas neutre comme chez Bresson. Elle exprime une triple incapacité chez ce candide : une croyance (la croyance que le monde est juste), une impuissance (ne pas comprendre qu’il n’en est rien), une acceptation (accepter de payer pour un autre comme si c’était son lot, comme si l’erreur était sienne).
Koistinen et Aila font du film un récit dostoïevskien. Pas dans la manière bien sûr, propre à Kaurismäki (il n’y a ici ni personnage exalté, ni fièvre narrative), mais du point de vue des thèmes et de l’évolution du récit : l’histoire d’un homme bon, qui par sa bonté même, se montre incapable de vivre dans la société des hommes, bien trop hypocrite et subtile pour lui (comment Koistinen pourrait-il comprendre une subtilité sémantique telle que « je ne suis pas un assassin mais un homme d’affaires ? « ). A l’instar de l’Idiot de Dostoïevski, il est démuni car il lui manque les armes de la dissimulation et de l’imagination. Alors il se tait, solitaire, et souffre en silence. Il accepte tout, préférant subir une peine de prison à cause d’un acte qu’il n’a pas commis plutôt que de faire souffrir en la dénonçant cette femme blonde qui s’est moqué de lui. Le plan final est tout aussi dostoïevskien où l’on comprend que l’amour d’Aila, un amour qui ne se marchande pas, lui, pourrait le sauver, idée qui rapproche cette fois le récit de la fin de Crime et Châtiment. A l’inverse, pour Mirja et ses comparses, tout est marchand, tout est simulacre, tout est factice, surtout les sentiments – d’où cette langueur étrange que l’on ressent devant ses scènes avec Koistinen qui imprègne le reste de ce film hivernal.
Je suis convaincu d’une chose : ce n’est pas un hasard si au début du film, trois passants citent de manière impromptue, sans raison apparente, tous les grands écrivains russes, sauf Dostoïevski, le plus grand de tous. C’est un clin d’oeil que nous fait le malicieux Kaurismäki, dont le visage immobile dissimule parfois des joies secrètes propres à éclairer la pénombre de ses films, pour nous dire que son récit sera dostoïevskien. Si les trois passants ne citent pas Dostoïevski, n’est-ce pas précisément parce qu’ils ne sont pas en mesure de connaitre leur géniteur spirituel ?
Strum
J’avais vu ce film à sa sortie (il y a une douzaine d’années ?) et ce héros muet et passif, ajouté aux paysages gris-bruns de la Finlande, m’avait donné le cafard.
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Je comprends que cela puisse donner un peu le cafard. La lumière du film est sombre, mais il y a une lueur d’espoir à la fin. On voit peut-être mieux ce que Kaurismaki veut dire ici quand on a vu ses précédents films.
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Oui, j’avais vu La Vie de Bohème, qui m’avait beaucoup plus plu (davantage d’humour et de second degré …)
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Salut Strum
Pas le meilleur Kaurismaki celui-ci. Je dirais un film moyen qui, à destination de tes lecteurs ne connaissant pas la filmographie du cinéaste finlandais, ne constitue pas une bonne porte d’entrée pour appréhender l’oeuvre de ce cinéaste très singulier. Chez moi, je me suis contenté d’une notule pour Les lumières du faubourg :
« Aki Kaurismäki dépouille à double titre son cinéma dans Les lumières du faubourg. D’abord, il renouvelle sa troupe d’acteurs passant à une nouvelle génération de comédiens. De ses “anciens” et fidèles acteurs ne subsiste que Kati Outinen le temps d’une courte séquence. Ensuite, le cinéaste finlandais radicalise le dépouillement formel et esthétique de son film.
Par instants, Les lumières du faubourg frôle l’hermétisme ce qui entrave la mise en œuvre de la magie observée dans les précédents films de Kaurismäki. Ici, cette atmosphère mystérieuse et hors du temps opère moins.
En comparaison aussi avec ses précédents films, le cinéaste fournit un habillage musical plus plus restrictif et moins porteur de sens jusqu’à un final abrupt qui ne manquera pas de questionner le spectateur sur les finalités plutôt floues des Lumières du faubourg. »
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Hello InCiné. Pas son meilleur on est d’accord, même si j’ai bien aimé. Cela dit, je te trouve sévère dans ta critique de ce beau film dont la finalité m’est apparue assez claire. J’ai un faible pour Kaurismäki il faut dire. Celui que je conseille toujours, c’est L’Homme sans passé, un chef-d’oeuvre.
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Pas tenté ..
On ne doit pas aller dans l’étuve si ça ne démange pas. ( Proverbe finnois )
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Kaurismäki, c’est assez génial. Tu connais un peu ? Voir en priorité L’Homme sans passé, et Au loin s’en vont les nuages.
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Je ne suis pas fan inconditionnelle de Kauri. Il faut être en parfaite condition pour apprécier mais ça fiche toujours un de ces bourdons !!!
Je préfère de loin ceux que tu recommandes à Ronnie (qui a aimé 3 films dans sa vie… entre juin 53 et février 54).
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Moi, je ne trouve pas que cela fiche le bourdon car ses films sont pleins de bons sentiments.
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