Winchester 73 d’Anthony Mann : histoires de l’Ouest

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Dodge city, Kansas, 4 juillet 1876 : pour fêter le centenaire de la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis, le shérif Wyatt Earp organise un concours de tir dont la récompense est une Winchester 73, cette carabine à répétition symbolisant la supériorité technologique des cow-boys sur les indiens et la conquête de l’Ouest. Y participent deux hommes qui ont un compte à régler, Linn McAdam (James Stewart) et Dutch Henry Brown (Stephen McNally).

Winchester 73 (1950) est le premier des cinq westerns qu’Antony Mann tourna avec James Stewart et d’emblée celui-ci campe un personnage obsessionnel poursuivant une vengeance dont la raison d’être ne nous sera révélée qu’à la fin du récit. Au contraire des autres films de la série (qui sont en couleur), les paysages en noir et blanc n’ont ici qu’un rôle secondaire ; parfois, un photogramme figé, comme un stock shot ajouté hâtivement au montage, tient même lieu de plan de transition. La maitrise cinématographique de Mann n’en demeure pas moins évidente, avec un usage distinctif de la profondeur de champ, dans la lignée de Wellman et Tourneur plutôt que suivant les grands westerns de Ford de l’époque où l’attention du spectateur était entrainée dans un sens horizontal par des plans-tableaux. Ici, Mann compose au contraire souvent ses plans de telle manière qu’un espace laissé au milieu de l’image, ou une ligne de fuite, attire le regard à l’intérieur et fait contempler l’arrière-plan. C’est particulièrement vrai dans l’excellent prologue à Dodge City. Plus tard, dans les scènes d’intérieur, souvent nocturnes, ce sens de la profondeur de champ se conjugue avec une attention aux ombres qui fait penser aux films noirs que Mann tournait à la fin des années 1940.

Mais Winchester 73 se caractérise d’abord par sa structure narrative épisodique. La carabine du titre est le fil conducteur d’une série d’épisodes embrassant la presque totalité des situations du genre : concours de tir, scène de bar, partie de poker, trafiquant d’armes, indiens attaquant un cercle de diligences, bandit ricanant, chanteuse de saloon à la langue bien pendue (Shelley Winters), duel final. A cette exhaustivité descriptive correspond une volonté de contextualiser le récit sur un plan historique (outre Wyatt Earp et la référence au 4 juillet 1876, sont évoqués pêle-mêle Little Big Horn et Custer vaincu car ses soldats ne possédaient pas de fusils à répétition, Crazy Horse, le 9e de cavalerie qui a participé à Gettysburg et les anciens soldats confédérés de la Guerre de Sécession dont font partie Stewart et son ami joué par le toujours flegmatique Millard Mitchell) sans que Mann en tire toutefois matière à réflexion sur la fabrication de l’Histoire comme Ford dans Le Massacre de Fort Apache (1948).

Cette impressionante densité narrative captive lorsqu’on voit ce classique pour la première fois. Toutefois, il n’est pas certain qu’il résiste aussi bien à la révision que les autres film de Mann avec Stewart si j’en juge par mon expérience. C’est dû, je crois, au caractère à la fois statique et pédagogique de chaque épisode que ne compense pas tout à fait la vigueur visuelle du style de Mann. Passé le prologue, nombreuses sont les situations dialoguées où des personnages aux psychologies sommaires se trouvent enfermés dans un lieu et s’affrontent – et dès que Lin n’est plus là l’intérêt retombe un peu. Mann n’exploite pas tellement non plus ce qui sur le papier pourrait relever de la tragédie grecque ou du récit biblique : les raisons de la haine de Lin trouvent leur source dans un drame familial où le sang appelle le sang mais ne sont expliquées qu’à la toute fin sans avoir dès lors pu faire entendre leur écho le long du récit. De même, si la Winchester 73, à l’équilibre si parfait qu’elle est dite « une sur mille », porte malheur à tout détenteur s’en montrant indigne (voleur, tricheur, indien violent, lâche, assassin), cette sanction parait relever davantage d’une intention morale que d’une sensibilité aux récits mythiques tournant autour d’un artefact maudit.

Au final, ce qui continue de faire la force du film, et que l’on ne s’y méprenne pas, cela reste un très bon film, un classique du genre, c’est le personnage de Lin, cette figure à la fois humaine, violente et énigmatique que Mann et Stewart allaient continuer de graver dans la roche du western de film en film, cet homme au doux visage (le visage de Stewart qui savait si bien exprimer les émotions primitives – haine, peur, amour, souffrance) pourtant dévoré de l’intérieur par un feu impérieux alimentant ses accès de violence. Après avoir ici résumé le genre en ses diverses histoires, comme un tremplin pour la suite, ils allaient encore mieux cerner leur personnage dans leurs westerns suivants, en montrer les ambiguïtés, en éliminant dans le même temps tout épisode accessoire pouvant nous distraire de sa quête. Cet homme toujours plus solitaire dans l’immensité des plaines de l’Ouest ouvrait une des voies de l’évolution du western durant les années 1950 puis 1960.

Strum

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11 commentaires pour Winchester 73 d’Anthony Mann : histoires de l’Ouest

  1. Olivier Henry dit :

    Je te rejoins Strum, Winchester 73 est un bon film à ne voir qu’une fois, l’égrenage des situations typiques du western devenant par trop redondant à la revoyure.

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  2. Pascale dit :

    Alors moi c’est tout le contraire.
    Je l’ai trouvé tellement beau que je n’ai même pas vu qu’il était en noir et blanc (cela dit la couleur n’est pas une garantie de beauté…).
    Je l’avais vu. Je ne m’en souvenais qu’à peine. Je l’ai revu tout récemment en juin (merci Paramount Channel) et je l’ai trouvé exceptionnel d’intelligence et de profondeur avec des personnages attachants et plutôt adultes. La plupart du temps les personnages sont limités à un trait de caractère. Pas ici.

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    • Strum dit :

      Peut-être est-ce justement parce que tu t’en souvenais « à peine ». Pour ma part, je pense que je m’en souvenais trop bien, du coup, il n’y avait plus d’effet de surprise. En ce qui me concerne donc, un film à ne voir qu’une fois sauf à l’oublier ensuite. 🙂

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      • Pascale dit :

        Mais comme j’ai raté le début… ta note me donne envie de le revoir.
        Ce qui ferait 3 fois pour un film à ne voir qu’une fois c’est pas mal 🙂

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        • Strum dit :

          Revois d’abord le Lubitsch !

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          • Pascale dit :

            Il n’y a pas Le ciel peut attendre dans le coffret que je viens de commander mais Sérénade à 3 et trois autres inconnus 🙂

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            • Strum dit :

              Je vois de quel coffret il s’agit. Sérénade à trois et La huitième femme de barbe-bleu sont formidables. Une heure près de toi très bien. Si j’avais un million moins bien car ce n’est pas vraiment un Lubitsch (c’est un film à sketches dont Lubitsch n’a réalisé qu’un seul segment). Il faudrait que tu vois Ange et Cluny Brown (La Folle ingénue), que tu aimerais sûrement beaucoup, sans compter To be or not to be (mais celui-ci tu le connais sûrement déjà) et Haute Pègre.

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  3. J.R. dit :

    Salut, pour m’immiscer un peu dans vos échanges, Cluny Brown est aujourd’hui mon Lubitsch préféré, en revanche je n’ai jamais été renversé par To be or not to be… Personnellement je dois, moi, absolument combler une énorme lacune : je ne connais pas les Lubitsch muets dont le très fameux L’Éventail de Lady Windermere… Je cherche justement de bons films à voir mardi et dimanche prochain en début de soirée.

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    • Strum dit :

      Hello J.R. C’est drôle, Cluny Brown (chroniqué ici) est aussi mon Lubitsch préféré je pense (avec Ange peut-être). Et To be or not to be n’est pas non plus celui que je préfère malgré sa géniale première scène qui met en abyme tout le film. C’est vrai, il y a aussi les muets. L’Eventail de Lady Windermere est formidable en effet. Je l’avais vu au cinéma. Sinon, j’ai également chroniqué sur ce site le très, très beau L’Homme que j’ai tué, un des premiers films films parlants de Lubitsch que je conseille aussi et qui montre qu’il était aussi à l’aise dans le drame que dans la comédie.

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  4. Charlotte Mondelle dit :

    Coucou,

    J’adore ce film ! J’ai été transportée dès la première séquence. Récemment, j’ai regardé un western un peu plus moderne intitulé « Yellow Rock ». C’est un long-métrage américain qui a un scénario typique : des cowboys bien sapés qui débarquent dans un bar et y sèment la pagaille. Si jamais cela t’intéresse de le regarder, tu peux te référer à cette appli Android : https://play.google.com/store/apps/details?id=virgoplay.vod.playvod&hl=fr . Avant que je n’oublie, tu retrouveras les acteurs Michael Biehn et James Russo au casting de « Yellow Rock ».

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