Deuxième film de John Schlesinger, Billy le menteur (1963) raconte la vie du jeune Billy Fisher (Tom Courtenay) dans une ville terne du nord de l’Angleterre située « à quatre heures de train de Londres ». Vivant chez ses parents qui l’accablent d’injures chaque matin (Bon-à-rien ! Fainéant !), Billy ment sans arrêt, à tout bout de champ, se fiançant à deux femmes en même temps, prenant à l’une sa bague pour la donner à l’autre, s’inventant une soeur, faisant croire que son père est amputé. Il se protège du monde réel par l’imagination, se rêvant dictateur adulé d’un pays imaginaire, l’Ambrosie, et Schlesinger interrompt régulièrement la narration du film pour montrer les rêveries ridicules de Billy, que l’on voit alors parader dans les rues grises de la ville, général d’opérette suivi d’une armée fantoche.
Les films où l’imaginaire d’un personnage à la vie médiocre s’oppose à la réalité forment un genre en soi, du Magnifique de Philippe de Broca à La vie rêvée de Walter Mitty. Voici probablement le fleuron du genre. Les rêveries puériles de Billy y apparaissent comme une compensation imaginaire aux humiliations subies dans la réalité, à l’instar de ces scènes récurrentes où il se voit tuer les opportuns avec une mitraillette (idée reprise dans Le Magnifique). Mais cette compensation reste illusoire, ne lavant jamais les affronts, ne réconciliant jamais les mensonges, ne pouvant jamais réparer les innombrables lâchetés dont il se rend coupable. « Tu es une ordure ! » lui lance une de ses fiancées éplorées. C’est ainsi qu’il est perçu par tous ou presque, et c’est ce qu’il est par ses actes. Au fond, Billy est resté un enfant, qui perçoit la vie comme un cahier que l’on pourrait remplir de gribouillages ; lui qui veut devenir scénariste voudrait pouvoir ensuite les effacer de sa vie comme le font fictivement les écrivains Car chacun des mensonges de Billy est comme une page qu’il écrit. Il aurait dû lire l’écrivain argentin Ernesto Sabato qui écrivait dans son prodigieux Héros et Tombes, publié en 1961, que la vie était « comme un brouillon » de ce que l’on aurait pu être, mais que ce brouillon, on ne pouvait pas le réécrire. La seule qui comprenne Billy et qui l’incite à sortir de l’ornière de ses rêveries pour affronter le monde réel en allant tenter sa chance à Londres, c’est Liz, jouée par Julie Christie, dont chaque apparition illumine la grisaille environnante. C’est le rôle qui l’a révélée et elle y est merveilleuse, représentant cette audace qui n’est que vélléité chez Billy.
On peut rattacher Billy Le Menteur à la Nouvelle vague anglaise. Schlesinger y filme la vie provinciale anglaise au début des années 1960 comme un lieu de mornes conventions où l’uniformité est la règle. Le travelling d’ouverture du film montre une série de lotissements absolument identiques, métaphore de vies standardisées et dépourvues de toute fantasie, plus concrète que les plans abstraits de la fin de l’Eclipse d’Antonioni qui évoquaient aussi la vie moderne un an auparavant. Les relations entre Billy et son père sont très conflictuelles, l’ancienne génération jugeant sévèrement la nouvelle dont elle ne comprend pas les aspirations à la liberté. Et si les tribulations de Billy dans l’entreprise de pompes funèbres où il est employé reposent sur des ressorts comiques, si le découpage du film est souvent vif, le ton d’ensemble du film n’est pas celui d’une comédie, plutôt d’un purgatoire sans fin où la vertu consolatrice des rêveries de Billy s’avère impuissante à conjurer l’inertie et les fidélités contradictoires du réel. La photographie de Denys Coop (longtemps seul cadreur avant de passer chef opérateur), uniformément grise le jour, avec peu de contrastes, rend compte de cette défaite de la fantaisie face au réel. Elle est souvent blafarde, comme un jour gris se levant sur les murs en briques des lotissements de la ville. Blafarde comme le visage de Tom Courtenay, très convaincant Billy.
Strum
« kitchen sink drama » très réussi, la nouvelle vague anglaise (même si Schlesinger n’en fait pas partie au sens strict), si méprisée par la critique française établie, c’était quand même autre chose que les nouilles Rivette ou Rohmer…
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J’ai failli rappeler la fameuse citation de Godard à propos du cinéma britannique : »les anglais n’ont rien fait dans le cinéma » et puis j’ai préféré ne pas lui faire cet honneur. Oui, pas stricto sensu la nouvelle vague anglaise (Schlesinger s’en défendait) même si on peut y rattacher le film . Cela dit, c’est un film assez déprimant quand on pense à la chute.
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J’avais bien aimé ce film vu il y a très très longtemps…
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Je viens de le découvrir, mais je veux bien croire qu’on s’en souvient longtemps.
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Un très beau film. Le meilleur, en tous cas mon préféré, du coffret Schlesinger « la trilogie anglaise ».
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Bonjour Jean-Sylvain. C’est le seul du coffret que j’ai vu pour l’instant, mais je verrais avec plaisir les deux autres. Le dernier plan est très beau.
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Oui, les deux autres sont excellents notamment A Kind of Loving. Ce coffret Schlesinger a été pour moi une révélation. Je ne connaissais qu’ Un Dimanche comme les autres et ses films américains beaucoup plus commerciaux. Ces trois films anglais sont d’un trés haut niveau. Une réelle et belle découverte.
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Je ne pense pas l’avoir vu mais encore une fois tu me tentes fort.
J’adore Tom Courtenay. Ne serait-il pas avec Lara, sa fiancée du Docteur Jivago sur la photo ?
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Tout à fait, c’est la belle Julie Christie/Lara sur la photo. Et si tu aimes Tom Courtenay, je te conseille sans hésiter le film.
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