Premier Contact (2016) de Denis Villeneuve, film de science-fiction plus prosaïque qu’inspiré, s’inscrit à l’intersection de trois lignées de films de science-fiction : les films ayant pour thème la rencontre avec une intelligence extraterrestre, dont 2001, l’odyssée de l’espace (1968) de Stanley Kubrick et Rencontres du troisième type (1977) de Steven Spielberg sont les fleurons ; les films ayant pour thème la naissance et la perte d’un enfant, dont Gravity d’Alfonso Cuarón (2013) est un exemple relativement récent ; enfin, les films abordant le sujet de la boucle temporelle, dont La Jetée (1962) de Chris Marker reste l’expression cinématographique la plus singulière, et où l’on trouve aussi Interstellar (2014) de Christopher Nolan.
Avec un certain art de la synthèse, Villeneuve emprunte à chacune de ces lignées pour raconter l’histoire de Louise, une linguiste sollicitée par l’armée américaine pour dialoguer avec des extraterrestres arrivés sur Terre dans douze gigantesques vaisseaux spatiaux en forme d’oeufs. Accompagnée d’un colonel à la raideur martiale (Forest Whitaker) et surtout de Ian Donnelly, un physicien compréhensif (Jeremy Renner) avec lequel elle va nouer des liens étroits, Louise part à la rencontre des extraterrestres, des créatures à sept pieds ou Heptapodes, qui attendent les humains au coeur de leur vaisseau.
Structurellement, Premier Contract prend la forme d’un cercle, qu’il décline du plus grand au plus petit. Le récit est encadré par une même séquence élégiaque racontant la vie de la fille de Louise, début et terme de la narration se rejoignant selon un cycle sans fin. Le cercle forme la base de l’écriture figurative des Heptapodes, que ceux-ci produisent à partir d’une encre jetée par une curieuse trompe. Le cercle enfin est le symbole de la conception non linéaire du temps que possèdent les Heptapodes et qui leur permet de voir l’avenir, selon une conception à la fois cyclique et mémorielle du temps, puisque celui-ci devient alors un tout fait de tous les souvenirs d’une vie où l’esprit peut voyager dans le futur comme dans le passé au gré de la conscience.
Premier Contact raconte comment Louise reçoit des Heptapodes ce don d’une conception du temps cyclique, et la révélation progressive de cet évènement et de ses conséquences rend son dernier tiers assez émouvant. C’est un film qui n’a d’yeux que pour Louise, une femme mélancolique au visage pâle, aux cheveux roux, et qui a les yeux bleus, à la fois beaux et tristes, d’Amy Adams. C’est elle qui donne au film son ton intime, une espèce de réserve que l’on retrouve dans l’imagerie sobre et modeste utilisée par Villeneuve (la base militaire n’est constituée que de quelques bâtiments préfabriqués où déambulent une poignée de militaires, les vaisseaux extraterrestres sont d’une courbe lisse à l’extérieur et d’un grand puits rectangulaire à l’intérieur) ainsi que dans les tons gris de la photographie.
L’accent mis sur le personnage de Louise n’est pas sans conséquence car les péripéties du film s’en trouvent réduites à la portion congrue. Plusieurs peinent à convaincre, soit parce qu’elles ressortent de certains clichés du récit de science-fiction, soit parce que le scénario a parfois recours à de grosses ficelles (la résolution du mystère de la langue des Heptapodes est expédiée hors champ pendant que Louise dort, tandis qu’une sous-intrigue avec des militaires belliqueux n’apporte rien au récit). Du reste, Villeneuve parait davantage intéressé par le mystère de la maternité que par le mystère des cieux, gardant les pieds sur terre et réduisant en chemin l’envergure de son sujet. Cette réduction du film à la dimension d’un drame intime relève d’une perspective proche de celle de Gravity de Cuarón (bien que leur mise en scène soit différente, ils ont tous deux comme personnage principal une femme faisant face à la mort d’un enfant). « Arrival », nous dit le titre original polysémique du film, qui en dit bien plus que le titre français générique.
Ce regard rivé au sol, Villeneuve le formalise par un cadrage récurrent qui ouvre le film : la caméra y pivote du haut (elle fixe le plafond au début du plan, c’est à dire le ciel) vers le bas (le sol, la Terre). C’est le contraire d’un mouvement d’élévation nous emmenant dans l’espace, et c’est donc le mouvement inverse de ceux que Spielberg et Kubrick, chacun à leur manière, imprimaient à leur caméra dans 2001 et Rencontres du troisième type, qui étaient des films non pas intimes ou centrés sur un seul personnage, mais des récits aux vastes dimensions mûs par des inspirations visuelles géniales faisant lever nos visages vers les étoiles. A défaut d’être un film inspiré (cette relative absence d’inspiration, qui est un manque d’incarnation et d’invention, marque les limites du film), ou de posséder la puissance émotionnelle d’Incendies du même Villeneuve, Premier Contact reste un film bien construit qui repose tout entier sur les épaules de sa belle interprète.
Strum
PS : L’idée du temps cyclique et non linéaire forçant à accepter des évènements à venir est un vieux thème de la SF, présent dans la nouvelle de Ted Chiang que le film adapte, mais aussi dans plusieurs classiques de la littérature de science-fiction (chez Clarke, Dick, Brunner, Vonnegut, voire même dans Dune de Herbert, à ceci près que chez ce dernier, l’épice donne la possibilité de tenter de modifier l’avenir alors que dans Premier Contact, l’avenir est accepté pour ce qu’il est, en bien comme en mal).
Je suis à peu près certain que ce film sera dans le top 10 de l’année ! Si j’arrive à le voir cette année…
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Et bien, je souhaite que ce soit le cas pour toi ! Moi, je suis resté un peu sur ma faim.
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Bon, je reviendrai donc te lire en temps voulu !
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J’ai peu lu de SF mais j’ai été intéressé par Premier contact qui a l’originalité de porter essentiellement sur le langage et la communication, souvent bâclés dans pas mal de films. On pense bien sûr à Rencontres… et à 2001…
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Le sujet est intéressant, mais j’ai trouvé que le traitement qu’en fait le scénario n’est pas toujours très abouti et le film dévie d’ailleurs de ce sujet en cours de route pour parler d’autre chose.
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Mon N°1 de l’année !!!!!
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Je comprends pourquoi, cela reste est un assez beau film. On verra bientôt si la sobriété du style de Villeneuve dans le domaine de la SF convient au monde de Blade Runner.
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Ce film n’est pas parfait, mais son ambition narrative et formelle fait que je pense qu’il finira bien noté (et bien placé parmi les réussites de l’année) chez moi.
Amy Adams y est évidemment pour beaucoup, mais j’ai vraiment apprécié le traitement du sujet alien (« Suis-je le seul à trouver étrange d’utiliser ce terme ? », pour paraphraser Louise Banks). Franchement, venant du cinéma américain, ça reste quand même le haut du panier. Non ?
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Oui, ça reste bien, mais l’exécution n’est peut-être pas toujours à la hauteur de l’ambition, ce qui ne m’a pas empêché d’apprécier le film.
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L’image que tu places en tête d’article est la seule que je connaissais du film en allant le voir et, belle, simple, intriguante, cette image m’en avait donné très envie de ce film (pas aussi bien distribué d’ailleurs que je l’aurais cru et donc pas si facile à voir pour moi).
Amy Adams est superbe ! Le film a ses défauts de scénario mais aussi de belles qualités. Je n’attendais par exemple pas le réalisateur sur un film si sobre.
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Oui, la sobriété du film renvoie à la réserve du personnage d’Amy Adams. Le film est sa vision des choses.
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A priori, l’une des bonnes surprises de cette fin d’année… Ce que la chronique confirme tout en poitant quelques égarements
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Vu hier soir. Visuellement superbe, solidement et sobrement filmé, bien interprété mais le film se traîne un peu à mon sens.. On met du temps à rentrer dans l’action et ça n’avance pas vite la communication avec les « aliens »…. Il y a aussi des scènes à la Terence Malik, avec l’enfant qui me gênent. Et puis, je n’ai pas tout compris. Ces histoires de boucle temporelle, je dois être allergique ou complètement bouché mais j’ai surement un problème avec les films de SF moderne. Je reste hermétique à Inception et Interstellar, par exemple. Ce ne me parle absolument pas et je m’ennuie. J’ai bien aimé Gravity, mais sans plus.
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Je n’ai guère aimé Inception (du moins n’y vois-je rien d’autre qu’un divertissement James Bondien matiné de SF), mais en revanche j’ai trouvé Interstellar beaucoup plus maitrisé et émouvant même si j’avais quelques réserves. Gravity, au-delà de la qualité de la mise en scène de Cuaron, m’avait un peu déçu. Pour le reste, les histoires de boucle temporelle passent probablement mieux dans les livres de SF qu’au cinéma. Dans Premier Contact en tout cas, il me semble que la boucle temporelle a quelque chose du prétexte (d’ailleurs l’énigme du langage circulaire est résolue hors champ) pour mener à bien une intrigue dont le mouvement va des étoiles (la rencontre avec les E.T.) vers la Terre et la maternité (tout tourne en fait autour du personnage et de la maternité d’Amy Adams et la véritable « arrivée », ce n’est pas celle des ET, mais celle de sa fille).
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Merci de votre réponse et bonne soirée.
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C’était à mon programme ce soir, j’ai terminé en accélération rapide après 1h 00 d’un ennui mortel… 😦
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Ah, l’avance rapide est un pêché mortel, plus que l’ennui ! Blague à part, le milieu du film est effectivement le moment où les défaut d’écriture du film et ses clichés deviennent problématiques.
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Pour moi, ce fut le dernier film vu en 2016, juste avant le réveillon. J’essaie de toutes mes forces de me persuader que c’est un bon présage pour l’année qui vient… mais c’est vrai que les séquences sur le déchiffrage du langage extra-terrestre sont expédiées un peu vite: j’ai encore du mal à voir le futur.
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Hello bailolan, étant donné la manière dont 2017 a commencé, je pense qu’aucun bon présage n’est à négliger ! Pas facile de prédire le futur en ce moment, nous aurions bien besoin des octopodes de Premier Contact.
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Ping : Blade Runner 2049 : lignes claires et quête des origines | Newstrum – Notes sur le cinéma
Découvert tardivement, je dois dire que le film m’a conquis par son approche originale du genre. Mis en perspective avec les deux suivants, il est assez remarquable de constater la diversité de traitements que Villeneuve propose de la Science-fiction, tout en travaillant à chaque fois une réflexion très fataliste du destin.
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Oui, on peut trouver des thèmes communs dans les trois films de SF de Villeneuve – et je crois même qu’il en prépare un quatrième en plus de la suite de Dune.
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