Je lis sur l’affiche française de Brooklyn Village (Little Men) (2016) d’Ira Sachs cet extrait de critique : « un cousin éloigné de Woody Allen« , argument marketing censé appâter le chaland cinéphile. En réalité (au diable les extraits de critiques sur les affiches), ce film assez décevant n’a rien à voir avec Woody Allen, mais évoque une amitié entre deux garçons compromise par un différend entre leurs parents. Le récit oppose de manière assez binaire le monde des enfants (les Little Men du titre original – on oubliera comme souvent le titre français), monde que Sachs décrit comme relativement innocent et propice au développement naturel d’une amitié entre enfants de milieux différents (à savoir, Jake, fils d’un couple de bourgeois bohèmes quittant Manhattan pour Brooklyn en raison de problèmes d’argent, et Tony, le fils de la gérante chilienne du magasin que lui louent les parents de Jake) et le mondes des adultes où les différences de classe sont marquées et les nécessités de tenir un budget commandent les décisions.
Cette vision de l’enfance comme territoire de tous les possibles cadenassé par la société bute hélas sur les limites du jeu des enfants, et en particulier sur celles de Michael Barbieri dans le rôle de Tony, dont la rudesse apparait forcée. Il faut dire que la forme modeste de ce film indépendant américain n’aide pas les acteurs, en particulier la post-synchronisation visible de certaines scènes et un découpage réduit (on imagine un plan de travail resserré au tournage, attribuable à un budget restreint). Dès lors, je n’ai guère cru à l’amitié naissante entre Jake et Tony. Du côté des adultes, on remarque un portrait peu flatteur de Leonor, la gérante du magasin, dont on devine qu’elle fut le dernier amour du père de Brian (et grand-père de Jake). Intransigeante, peu désireuse de se lier avec ses nouveaux bailleurs, elle oppose à leur logique budgétaire la parole donnée par l’homme avec lequel elle vivait. Elle refuse de comprendre et même de discuter les arguments financiers avancés par Brian (hélas légitimes), qu’elle tient en piètre estime (et qui se révèle d’ailleurs comédien de peu de talent lorsqu’on le voit jouer du Tchekhov avec trop de raideur), assimilés par elle à une violation de la parole donnée par le père décédé. Logiques irréconciliables, où chacun a ses raisons, qui relèvent d’une vision amère de l’âge adulte, âge de conflits, entre classes sociales, entre visions du monde, entre cultures, entre générations. L’impossible communication entre les parents ne pourra que dresser entre les deux enfants d’infranchissables barrières, celles-là mêmes que les circonstances et la gentrification de Brooklyn avaient fait tomber.
Jake se retrouve ainsi séparé de son ami, contraint de s’insérer dans le moule placé dans le monde à son attention et de mettre ses pas dans ceux de son père : il ne lui reste qu’à rejouer lui même, à sa façon mutique, la scène de la séparation initiée par les parents, ce qu’il ne manque pas de faire à la fin du film quand il aperçoit Tony dans un musée mais ne va pas lui parler. Sous des dehors faussement doux, derrière ses travellings suivant des enfants jouer aux hommes libres dans les rues de Brooklyn, Little Men s’avère donc être un récit d’apprentissage pessimiste et déterministe, aux ressorts clairs, où l’art (car les deux enfants sont des artistes) apparait comme la seule échappatoire à un monde figé et cloisonné.
Strum
Nous l’avons la semaine prochaine. Et comment ne pas être consterné par le titre français, enfin pour la France, comme pour effectivement loucher du côté Woody Allen. Forcément, un quartier de New York ne peut que renvoyer au piéton de Manhattan. Mon avis prochainement. Bon weekend.
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Comme tu l’as vu j’ai été déçu, mais tu seras peut-être plus convaincu que moi. Bon week-end également.
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J’ai l’impression qu’il y a une petite vague du cinéma américain et de la critique cinéma qui a tendance à voir Woody Allen partout, dès qu’il s’agit de New York et de milieux bourgeois !
J’ai un temps pensé aller voir ce « Brooklyn village » mal nommé, mais le peu d’enthousiasme soulevé par le film ici et là m’a finalement poussé à passer mon tour. Je rattraperai ça en DVD ou peut-être à la téloche. Reste que j’ai vu récemment un autre film à Brooklyn, dont je reparlerai bientôt tu-sais-où (ce teaser de dingue !!!). Un film plus sympathique que celui-là, on dirait, mais qui souffre de quelques défauts comparables, sans doute. Wait and see…
Bon dimanche, Strum, et meilleur cinéma, si possible ! 😉
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Merci Martin et bon dimanche également ! Je ne voudrais pas non plus laisser penser que c’est un film antipathique, ce n’est pas le cas, mais c’est un film formellement modeste.
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Bonjour Strum,
Tout comme Martin, j’avais mis ce film sur ma liste de films à voir au cinéma. Mais après avoir lu quelques avis assez mitigés, j’y renonce et je me rattraperai peut-être en DVD, mais ce n’est même pas certain. Du même réalisateur, j’avais par contre beaucoup beaucoup aimé Love is Strange, vu sur grand écran. Si tu as l’occasion de le voir, n’hésite pas 😉
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euh me voilà prise de bégaiement maintenant. Je n’ai pas beaucoup beaucoup aimé Love is Strange, mais je l’ai beaucoup aimé. Deux fois beaucoup, ce n’est plus beaucoup, c’est juste de trop 😉
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Je n’ai pas vu Love is strange mais je note ton commentaire avec beaucoup beaucoup d’attention. 😉
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Plutôt plaisant en ce qui me concerne. Pas trop moralisateur, c’est déjà ça. Ce qui m’a un peu gêneé, c’est cette intellectualisation des personnages, qui ne peuvent être qu’…artistes. Un peu crispant, mais les spectateurs, assez nombreux, ont plutôt apprécié. Moi aussi.
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Ce n’est pas un film déplaisant certes, mais effectivement, l’art est ici la seule échappatoire pour échapper à la médiocrité ou à la vie quotidienne d’où ces personnages d’artistes.
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