Le tableau volé de Pascal Bonitzer : illusions maintenues

Le médiocre Tout de suite maintenant souffrait d’un défaut majeur : la méconnaissance complète par le réalisateur du milieu qu’il filmait (celui de la finance), ce qui ôtait toute crédibilité au récit et au comportement de ses personnages. Si Le Tableau volé de Pascal Bonitzer vaut beaucoup mieux que son prédécesseur, c’est d’abord parce qu’un travail de recherche plus sérieux semble cette fois avoir été mené sur le milieu dans lequel se déroule le film (celui du marché de l’art pour lequel le réalisateur semble avoir moins de mépris et duquel il se sent probablement plus proche), ce qui lui permet de mieux cerner les lieux du film et de regarder ses personnages avec davantage de compréhension, certes non dénuée d’ironie. Inspiré de l’histoire vraie des Tournesols d’Egon Schiele, le film raconte la découverte, dans une maison de Mulhouse acquise en viager, d’un tableau de Schiele autrefois spolié par les nazis. C’est à André, commissaire-priseur chez Scottie’s (alias manifeste de Christie’s) qu’échoit la tâche d’en réaliser la vente. L’assistent dans cette entreprise une stagiaire mythomane (Aurore) et son ancienne femme Bertina, qui s’inquiète de sa solitude. Le trio éventera diverses manoeuvres et fera en sorte que le tableau soit vendu dans les meilleures conditions, au profit des descendants de la famille juive qui avait été spoliée, mais aussi de Martin, le jeune ouvrier chez lequel le tableau a été retrouvé – qui percevra grâce à la générosité des héritiers une part des revenus de la vente. Des dialogues bien tournés et bien dits (les échanges entre Alex Lutz et Louise Chevillotte sont savoureux) achèvent de faire du film un bon divertissement, malgré son découpage parfois abrupt, Pascal Pascal Bonitzer étant plus intéressé par les dialogues (là réside son talent) que par l’esthétique cinématographique. Les rapports de classe entre l’ouvrier mulhousien et les bourgeois parisiens forment une des trames du récit, pas la plus légère.

La toile de fond mentale des deux films reste cependant la même, qui fait de l’argent la cause de tous les maux, dont se repaisse quelques requins. L’argent est ici ce qui rend malheureux, et ce qui provoque les trahisons. Il est la raison pour laquelle le père d’Aurore a été trahi par son associé, et pour laquelle Wahlberg est prêt de l’être. Il est la cause de la honte d’Aurore, qui ne peut accepter la déchéance sociale de son père, faisant d’elle une menteuse pathologique au comportement aussi dur et cassant que celui d’André – c’est pourquoi elle l’apprécie tant, prête même à faire « la pute » pour lui. Il est le mauvais génie d’André qui le pousse à collectionner voitures dispendieuses et montres de luxe et l’enferme dans une solitude irrémédiable où tout appartient à l’ordre du paraître. Il est une illusion qui fait vivre dans le domaine des apparences : ainsi a vécu le père d’Aurore avant que l’illusion ne se dissipe en même temps que sa fortune. Pour qui en a subi la contamination, il ne reste plus qu’à « faire semblant ». Seuls les actes de générosité ou les signes de désintéressément permettent d’échapper à son empire : le désintéressement de l’ouvrier Martin Keller, personnage le plus pur du film précisément parce que dans la conception de Pascal Bonitzer il est économiquement le plus démuni, qui ne demande rien pour lui à partir du moment où il apprend que le tableau a été volé ; la générosité de la famille Wahlberg vis-à-vis de Martin qui nuance quelque peu le regard très acerbe du réalisateur sur les classes possédantes (visible dès la première scène avec cette femme odieuse et raciste). Cela dit bien de quel côté se situe Pascal Bonitzer dans ce film de moraliste au scénario habile, qui embrasse une intrigue assez riche. N’en est dévoilée que la partie émergée, certains faits n’étant évoqués qu’au passage, comme des pistes narratives non explorées en totalité, à la manière d’une bande dessinée (ligne claire façon Tintin), mais aussi pour souligner ce qui doit rester caché au regard du monde dans le système de valeurs que décrit le film. Le personnage du père d’Aurore, que l’on voit peu, sur lequel on sait peu de choses, est peut-être le plus beau du film : il ouvre d’autres possibilités narratives, contient d’autres histoires qui auraient pu tirer le film vers le romanesque. Il est le personnage qui affirme que ses illusions sont perdues quand la plupart des autres vivent encore d’illusions maintenues. Interprétation de qualité d’Alex Lutz, Louise Chevillotte, Léa Drucker, Alain Chamfort et consorts, chacun jouant sa partition avec la conviction nécessaire, sans faire d’ombre au voisin.

Strum

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4 commentaires pour Le tableau volé de Pascal Bonitzer : illusions maintenues

  1. Florence Régis-Oussadi dit :

    Je suis d’accord avec tout ce que vous avez dit (j’avais trouvé « Tout de suite maintenant » superficiel et maladroit), tout est très pertinent, notamment la ligne claire façon Hergé qui est également présente dans toutes les affiches et m’a rappelé les dessins de Floc’h pour Resnais, autre amateur de BD. « Le tableau volé » est un petit miracle dans le sens où l’équilibre du récit fait qu’on s’attache à des personnages a priori peu attachants, à commencer par le personnage joué par Alex Lutz qui a fait de mauvais choix le coupant du monde (à l’inverse des choix de Martin qui est effectivement le « pur » du film) mais qui est regardé avec compassion par son ex et qui finit par avoir une fille de substitution en la personne de sa stagiaire. Elle-même personnage énigmatique et abrupt qui finit par avoir du sens. Et effectivement, j’ai trouvé le personnage de son père fascinant. Alain Chamfort a beaucoup de charisme et l’aspect furtif du personnage est un atout, il donne envie d’en savoir plus, il ouvre une porte vers l’imaginaire.

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  2. Assez agréable à voir, avec de bons acteurs et un scénario parfois un peu cousu de fil blanc. J’ai trouvé une bonne restitution des ambiances des différents lieux (salles des ventes, hôtels de luxe, appartements de la haute bourgeoisie, etc). Je pense qu’on peut attendre son passage à la télévision pour le regarder, aussi bien que sur grand écran. Merci Strum et bon dimanche

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