El Perdido (The Last Sunset) de Robert Aldrich : la jeune fille en jaune

Des westerns de Robert d’Aldrich, El Perdido (The Last Sunset), est le plus inattendu, mais pas le moins attachant. C’est l’histoire d’un homme marqué par le sort, un assassin qui s’est enfui au Mexique pour y retrouver son amour de jeunesse. De Belle (Dorothy Malone), O’Malley (Kirk Malone) se souvient comme d’une jeune fille de seize ans portant une robe jaune. Le destin autant que les pulsions de violence d’O’Malley les ont séparés mais O’Malley n’a jamais oublié Belle. Toute sa vie, l’a accompagné comme viatique, cette image de la jeune fille en jaune dont il était épris. Et quand il la retrouve au début du film, des décennies plus tard, il ne voit pas la femme qu’elle est devenue, mariée à Breckenbridge, un propriétaire de ranch alcoolique, mais toujours la jeune fille en jaune. O’Malley continue de vivre dans le passé.

Pour rester auprès de Belle, O’Malley accepte de conduire le troupeau de Breckenbridge au Texas où il est pourtant recherché. Du bétail à guider dans un autre Etat le long d’une route périlleuse : il y a tant de westerns construits sur ce canevas de la transhumance des bêtes et des hommes, et pourtant chaque western qui en vaut la peine est différent. Les rejoint le shérif Dana Stribling (Rock Hudson) qui traque O’Malley. C’est son beau-frère qu’O’Malley a tué et Stribling entend bien le voir une corde au cou. Mais l’alliance temporaire que les deux hommes vont nouer pour faire face aux péripéties du voyage (anciens confédérés, bandits putatifs. indiens affamés) va les conduire à se vouer peu à peu un respect mutuel qui se substitue à la haine de départ.

Une alliance temporaire entre un hors-la-loi et un homme droit, c’était déjà l’argument de départ du baroque et picaresque Vera Cruz qui se déroulait aussi au Mexique, où Burt Lancaster et Gary Cooper, flamboyant duo, unissaient momentanément leurs forces avant de s’affronter en duel quand la nature reprenait ses droits. Comme Burt Lancaster dans Vera Cruz, signe des accointances entre les deux personnages, Kirk Douglas est entièrement vêtu de noir dans El Perdido et arbore un sourire carnassier. Mais une chose sépare les deux assassins : leur passé. Celui de Joe Erin dans Vera Cruz jetait sur tous ses actes le poison du cynisme et de la loi du plus fort : il était irrécupérable pour la société et le savait. A contrario, l’image de la jeune fille en jaune qui continue de vivre en O’Malley guide ses pas et lui fait espérer une issue heureuse : il est lui aussi irrécupérable mais ne le sait pas encore.

C’est pourquoi ce western contient plusieurs très jolies scènes où l’on voit O’Malley sourire en pensant au passé, chanter des chansons mexicaines avec les companeros du convoi ou deviser poétiquement sous les étoiles avec Melissa, la fille de Belle, qui va tomber sous son charme. Une douceur rare chez Aldrich, dont on connait la rudesse, émane de ces scènes. Mais à leur tendre joliesse va succéder la tragédie lorsque l’on apprend que Melissa est la propre fille d’O’Malley, ce que sa mère lui avait toujours caché. Un inceste potentiel : quelle réponse cruelle que celle conçue par le destin pour anéantir les rêves de vie nouvelle d’O’Malley. A l’homme qui s’est perdu (l’El perdido du titre « français »), il n’est pas donné de seconde chance ; il peut seulement contempler un dernier crépuscule quand vient l’heure de rendre des comptes. Quel gâchis – constat propre à plusieurs films d’Aldrich, chez lequel les éclairs de violence sanctionnent toujours un point de non retour atteint par des personnages incapables de s’entendre et trahis par les espérances de la vie. Breckenbridge (émouvant Joseph Cotten), pour en venir à lui, était peut-être un lâche, mais méritait-il cette fin humiliante ?

Dans les bonus de l’édition DVD Sidonis Calysta, Bertrand Tavernier, qui aime néanmoins le film, l’estime « problématique » par certains aspects et en veut pour preuve le fait que Kirk Douglas, producteur, avait imposé à Aldrich plusieurs plans mettant son personnage en valeur au détriment de celui de Rock Hudson, à telle enseigne qu’Aldrich s’en était plaint. Mais la réussite d’un film ne se mesure pas à l’aune des péripéties de sa production et s’il est vrai que la plupart des gros plans du film sont dévolus à Kirk Douglas, c’est plutôt à mettre à son crédit car le personnage d’O’Malley est plus intéressant que celui lisse et sans mystère de Stribling. Le scénario de Dalton Trumbo (qui en voulait quant à lui à Aldrich) reste bâti sur une douteuse ellipse psychologique (il est improbable que Belle ne dise jamais à Melissa qu’O’Malley est son père, même quand sa fille souhaite partir avec lui), mais ce tour de passe-passe narratif offre de beaux fruits sur un plan mélodramatique : cela laisse à O’Malley le choix d’en tirer les conséquences qui s’imposent et confère son pouvoir émotionnel à la fin de ce très beau western, aux belles chansons qui plus est.

Strum

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4 commentaires pour El Perdido (The Last Sunset) de Robert Aldrich : la jeune fille en jaune

  1. ideyvonne dit :

    Revu sur une chaîne ciné il y a déjà plusieurs mois.

    Kirk dans son habituel rôle de cowboy… Parfois, je trouve qu’il en fait trop dans ses interprétations. J’ai nettement préféré Dorothy Malone, la très jeune Carol Lynley et Rock Hudson.

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    • Strum dit :

      Dorothy Malone et Carol Lynley sont très bien en effet, ainsi que Joseph Cotten émouvant en alcoolique. Je n’ai pas trouvé Rock Hudson particulièrement bon (je lui préfère nettement Douglas pour ma part 🙂 ) mais son rôle est sans relief et difficile à défendre à mon avis.

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  2. ideyvonne dit :

    J’ai fait un lapsus ! En disant Rock Hudson je pensais à Joseph Cotten

    Il va falloir que je vois un psychanalyste pour qu’il m’explique cette erreur 🙂 🙂 🙂

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    • Strum dit :

      Ah, je comprends mieux. Je ne sais pas la conclusion qu’en tirerait un psychanalyste 🙂 mais en effet, Joseph Cotten est super dans ce rôle, bien qu’il soit très bref.

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