Furiosa : une saga Mad Max de George Miller : fragments d’épopée

Histoire d’un aller-retour, Fury Road (2015) avait prolongé la série des Mad Max de George Miller en lui insufflant un inespéré regain de vitalité, auquel contribuaient deux facteurs : une utilisation très habile des possibilités du numérique dans les scènes d’action et l’introduction d’un personnage féminin charismatique, concurrençant Max sur son propre terrain : Furiosa. La fin du film avait des allures de passage de relais : l’homme sans nom se retirait du devant de la scène en laissant son alter ego féminin recueillir la gloire due au triomphateur des hordes motorisées d’Immortan Joe. La réussite du film tenait à sa simplicité narrative, issue du western : le film racontait un épisode, un détail particulier dans un canevas d’ensemble non explicité, la fuite éperdues de prisonnières du désert parvenant à échapper à un tyran au masque de satyre dans un monde décivilisé. De l’action brute exposée sans détour, naissait sa vitalité. D’une alliance entre deux héros, un homme et une femme, découlaient les récompenses reçues par un spectateur repus.

Furiosa est un film d’une conception différente, auquel préside une autre ambition. George Miller veut donner à son monde post-apocalyptique, sur ses vieux jours, un parfum d’épopée. Il tient cette fois à en raconter, sinon la genèse, du moins la géographie et la géopolitique, en attribuant à trois forteresses des fonctions particulières (production agricole, production d’énergie, manufacture d’armes). Il fait appel à un Homme-Histoire, Homère du récit, qui trace en voix-off des parallèles avec notre propre monde, ramenant l’humanité à un état de guerre perpétuelle, entrecoupée de rares périodes de paix. Comme si ce qu’il montrait à l’écran n’était pas un monde décivilisé d’après l’apocalypse où l’humanité se serait perdue, mais le véritable visage de l’humanité, ardente, brutale, toujours prête à la destruction et à la souffrance, à la passion des corps meurtris et des fracas mécaniques. Quant au récit lui-même, il lui donne le caractère fragmentaire et elliptique des anciens récits épiques. De La Guerre de Troie, nous ne savons que les quelques épisodes relatés par Homère dans L’Iliade – pas même celui du Cheval de Troie. De la geste de Furiosa, nous ne saurons que ce que Miller nous montre, que ce que le Homère du film a appris : l’enlèvement enfant sur les lieux mêmes du paradis par des motards dégénérés, le traumatisme de la mort de la mère sous la torture, les années passées prisonnière sous le regard faussement paternel de Dementus, le passage par le harem d’Immortan Joe, la genèse de la guerrière de la route, et enfin la vengeance sans fin contre celui qui l’a fait devenir ce qu’elle est.

De ce choix narratif censé poser les fondations d’un légendaire nait une curieuse impression de fuite en avant et de conscience de soi. Une fois passé le début du film, on connait d’avance sa fin, comme dans presque tous les récits de vengeance. Il faut revenir aux causes de la chute. Mais l’aller-retour héroïque de Fury Road prend cette fois plus d’un détour, et en dépit de scènes d’action spectaculaires (dont une course-poursuite dantesque avec camion), la vitalité du récit s’en trouve parfois diminuée, le caractère fragmentaire de la narration et les commentaires de l’Homme-Histoire se combinant pour conférer au récit une conscience de soi nouvelle dans la saga Mad Max – ainsi quand Dementus demande à Furiosa si elle possède ce qu’il faut pour devenir un personnage d’épopée (« become epic« ). Sombre écho de notre monde, la fin du film fait référence à plus d’un récit mythologique et aux gestes en devenir de notre propre temps troublé.

Aux normes de l’épopée, échappent parfois des destins individuels singuliers, résistant au revers de la fragmentation narrative. Celui de Furiosa est déjà connu, attendu, et bien qu’un feu réside dans les yeux d’Anya Taylor-Joy, elle n’est pas dotée de la carrure et du physique imposant de Charlize Theron qui campait une Furiosa plus convaincante dans Fury Road. C’est paradoxalement Dementus (Chris Hemsworth) qui lui vole cette fois la vedette en quelques apparitions – renversement des rôles de Fury Road. Sorte de tyran bouffon devenu dément à la suite de la perte de sa femme et de ses enfants (le film l’évoque brièvement), il apparait comme un Mad Max qui serait passé de l’autre côté de la barrière, celle où n’existent plus que la violence et l’injustice. Il apporte au récit l’imprévisibilité qui est l’attribut du désordre. Le véritable Mad Max, lui, a disparu pour de bon (Pretorien Jack n’en étant qu’un pâle succédané) : il n’est plus qu’une silhouette vue de dos sur un promontoire qui observe de loin cette guerre de tous contre tous, où même l’amour est perçu comme une circonstance aggravante. L’ensemble, avec ses vagues furieuses et ses ressacs, reste impressionnant, le découpage restituant dans les scènes d’action les à-coups et les accélérations d’une voiture emballée.

Strum

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4 commentaires pour Furiosa : une saga Mad Max de George Miller : fragments d’épopée

  1. princecranoir dit :

    Parfaite analyse, rondement tournée comme tu sais les écrire, qui rejoint la route de mes impressions mitigées. Il faut reconnaître à Miller ce sens du rythme, de la cavalcade et du fracas. Mais il convient aussi de prévenir des zones sablonneuses dans lesquelles il vient parfois s’empoussiérer par un récit qui me semble être trop étiré pour être épique. Et comme toi, je ne trouve pas l’interprète de Furiosa à la hauteur de son modèle, malgré tous les efforts. Je ne suis pas davantage conquis par le bédouin-biker Dementus à l’ombre duquel elle a nourri sa survivance rageuse, même s’il faut reconnaître un engagement généreux de la part de l’australien Hemsworth.

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    • Strum dit :

      Merci beaucoup. L’approche narrative fragmentaire choisie par Miller est très différente de celle de Fury Road – de même que son interprète principale sur laquelle nous avons les mêmes réserves. Mais les scènes d’action sont toujours aussi impressionnantes et cela reste à voir.

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  2. Martin dit :

    J’ai beaucoup aimé la première partie (avec la mère). La suite m’a paru trop tapageuse et répétitive. J’étais sans doute un peu frustré par le prix exorbitant de la place de cinéma…

    Il faut que je voie « Fury road », tout de même !

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