Retour à Séoul de Davy Chou : seule

Retour à Séoul de Davy Chou raconte le retour en Corée du Sud d’une jeune française à la recherche de ses parents biologiques. Mais un tel retour est en réalité impossible. Adoptée à seulement quelques mois, « Freddie » ne peut recouvrer des souvenirs dont elle a été privée, ne peut reconstituer les évènements d’une enfance coréenne qui lui a été volée, ne peut reprendre le cours d’une vie en Corée du Sud dont elle a été arrachée. Elle est condamnée à demeurer dans la condition d’une éternelle exilée.

Tout ce qu’elle peut espérer, c’est raviver les sensations enfouies de la première enfance qui existent quelque part dans le hors temps de sa conscience ; nul souvenir ne peut la réconforter. C’est pourquoi ce film, dont on ne sait pas toujours où il nous emmène, est tout entier fait de sensations, est à la recherche de sensations, visuelles et surtout musicales, la bande son étant particulièrement réussie. Il n’y a pour ainsi dire pas d’intrigue : Freddie retrouve son père, revient plusieurs fois en Corée du Sud dans l’espoir de rencontrer sa mère qui ne répond pas aux demandes du centre d’adoption, le récit se composant de trois actes, trois segments temporels se déployant sur une période de 7 ans, où l’on observe l’évolution de Freddie. C’est une jeune femme agressive, rétive, difficile à aimer pour le spectateur, qui prétend contrôler les évènements et la vie des autres, pour compenser ce que la vie lui a ôté. Freddie n’est jamais plus heureuse que lorsqu’elle dirige les autres, ainsi dans cette scène de bar où elle assemble d’autorité un groupe de jeunes sud-coréens autour d’une table. Et même lorsqu’elle danse, dans une scène pleine d’énergie, elle s’abandonne moins au rythme de la musique qu’elle ne dicte au lieu et aux plans la loi de son corps. Si elle rejette si violemment son père adoptif, ce n’est pas par esprit de vengeance, c’est parce qu’elle est incapable de contrôler cet homme meurtri, car il se sait coupable, qui ne se conforme pas à ses désirs.

Mais prétendre contrôler autrui revient à s’enfermer toujours plus dans la solitude, dans la condition de l’éternelle exilée. Le spectateur s’en rend compte lorsque Freddie blesse son petit ami français d’un terrible « je peux te faire disparaitre d’un claquement de doigt« . Ce qu’elle prend pour l’assouvissement d’une volonté de puissance est en réalité un terrible aveu de faiblesse, que révèle l’épilogue. C’est lorsqu’elle est irrémédiablement seule que Freddie se trouve définitivement heureuse – du moins le croit-elle. Soumise aux lois indifférentes d’une nature vaste mais hostile, Freddie a éliminé d’un claquement de doigt tout son entourage. Mais ce claquement de doigt est illusoire : elle ne pourra jamais éliminer son passé, ni sa condition d’exilée, de déracinée. Et pour « choisir ses touches », encore faut-il y avoir accès (touches du piano ou interraction avec les autres). Il lui reste encore à planter ses racines quelque part, si elle le peut vraiment. Cette recherche d’une mémoire des sensations fait le prix de ce film en forme de portrait (car le spectateur en reçoit sa part) mais en marque aussi les bornes. Excellente interprétation de Park Ji-min.

Strum

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24 commentaires pour Retour à Séoul de Davy Chou : seule

  1. Rabain jean Francois dit :

    Très belle analyse. Merci. Freddie/ Park Ji Min est remarquable et réussit à incarner toute la rage de l’enfant abandonné par ses parents biologiques. Française et si Coréenne en même temps. J’ai trouvé beaucoup de justesse à ce film, beaucoup de force aussi. Le père alcoolique déborde de culpabilité voulant réparer l’abandon de sa fille, à la recherche d’une paternité impossible. La mère qui sort de l’oubli et du silence pour se retrouver avec Freddie dans une scène sublime ou l’émotion submerge mère et fille. « Est ce que je peux te toucher? » lui demande t elle. Et le spectateur se fond d’émotion avec elles dans ces retrouvailles impossibles. Émotion d’autant plus destructric que la mère se retire une nouvelle fois dans un silence définitif ne pouvant assumer faute et culpabilité. Pauvres Freddie accablée par cet impossibilité à se lier. « Je peux t’effacer d’un seul claquement de doigt » en effet, dit- elle a son ami. Sa vie ne sera t elle que la suite de cette répétition, que la somme des abandons successifs que, rageuse, elle veut imposer à tous? . Freud appelait cela la compulsion de répétition, forme clinique de la pulsion de mort. Ce masochisme profond qui déchire l’être est à la base de tous nos échecs, de tous nos désirs de punition. Freddie. miroir de nos rages les plus profondes comme de nos échecs…?

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  2. Pascale dit :

    Deux heures interminables à suivre un personnage déplaisant qui ne sait s’exprimer que par l’agressivité.
    Choquer les coréens alors que son amie vient de lui expliquer quelques règles de savoir vivre (la scène au restau où elle se sert à boire puis qu’elle rassemble les gens de toutes les tables (je sais qu’ils sont jeunes mais je ne pense pas que quiconque accepterait… cette scène m’a paru invraisemblable)), repousser constamment son père (c’est vrai qu’il pleure trop pour elle)… etc.
    Bref, à aucun moment je ne l’ai comprise, aimée. Jamais elle ne m’a émue. Elle sera très bien seule et peut-être qu’elle va apprendre à jouer du piano…

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    • Strum dit :

      Elle est déplaisante en effet. Je crois que le réalisateur nous demande d’être indulgent et d’imaginer la souffrance née de son abandon à sa naissance. Elle paie ses mauvaises actions à la fin puisqu’elle est plus seule que jamais.

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      • Pascale dit :

        Je crois que je comprends, enfin je peux comprendre. Dommage de lui faire payer ainsi son manque d’évolution et de réflexion mais il me semble qu’elle dit à la toute fin qu’elle préfère être seule. Alors tout va bien.
        Malgré les bonnes personnes qu’elle rencontre, elle reste égale à elle-même et le plus souvent inutilement méchante. C’est ce que je n’arrive pas à comprendre.
        Sa tante est à ce titre exemplaire. Quelle patience elle a avec elle !
        Les personnages antipathiques c’est difficile au cinéma mais souvent ils sont quand même très intéressants même si c’est dur de s’y attacher. Ici c’est impossible et je ne la trouve pas très intéressante.

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        • Strum dit :

          Non, elle n’est pas très intéressante en tant que personne, c’est vrai. Sinon, je pense que les personnes qui disent qu’elles « préfèrent être seules » le disent pour donner le change ; généralement, c’est pour dissimuler une douleur ou une blessure.

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        • Rabain jean Francois dit :

          Réponse à Pascale d’un psychanalyste : « La question n’est pas de savoir si un sujet est gentil ou méchant, sympathique ou antipathique, mais plutôt de savoir comment il fonctionne et quel type de défenses psychiques il a pu mette en place pour s’en sortir dans la vie. Le point de vue du psychologue n’est donc pas obligatoirement « moral », il cherche à comprendre les logiques de l’inconscient ou aussi celle des comportements. Ainsi ai-je beaucoup aimé le personnage de Freddie dans ce film, magnifiquement incarné par l’actrice coréenne. Dès son arrivée en Corée, Freddie explose et disjoncte, buvant à l’excès et se retrouvant au lit avec le premier coréen venu comme pour explorer une nouvelle identité. Le lien reste impossible et les garçons sont interchangeables..La scène des retrouvailles avec la mère est une des plus belle scène du film, chaque personnage vivant une expérience si bouleversante qu’elle ne peut être poursuivie. Trop d’affects contradictoires les traversent. Culpabilité et bouleversement intense pour la mère qui a comme perdu son enfant à la naissance avec l’abandon qu’elle a dû mettre en œuvre. Amour et haine mêlée chez la fille qui ne peut lui pardonner ce qu’elle ressent comme un infanticide. La dernière scène semble indiquer que Freddie a décidé de ne se lier avec personne, refusant une féminité créatrice et féconde qui lui assurerait couple et maternité. Le lien physique, sensoriel, sensible et affectif avec sa mère biologique lui a été refusé dès le départ et la suite de sa vie en reste comme éternellement marqué. Il se peut qu’une maternité heureuse puisse, seule, pouvoir réparer ce manque originel. Peut-on exister sans amour?

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          • Anita dit :

            Excellent recadrage par le psychanalyste du jugement « moral »sur le personnage si déroutant mais si attachant au contraire d’une Freddie blessée à vie par son abandon originel !…

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            • Pascale dit :

              Merci pour la consultation.
              Je dois quelque chose ?
              Ne pas prendre en compte le ressenti d’un patient… oups d’un spectateur, j’ai connu… et j’ai changé de psy.
              Faire une analyse médico légale du personnage ne me donne pas la possibilité de la comprendre et de l’apprécier.
              La scène avec la mère est la seule émouvante effectivement film mais là encore, elle reste assise.
              Un personnage qui n’évolue pas, n’apprend ni ne découvre rien, c’est rare. En ce sens elle est exceptionnelle.
              Juger un personnage de film c’est le mal. Juger mon avis c’est formidable. Bravo.

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              • Anita dit :

                Bien répondu Pascale et bonne « défense » ! …De mon côté, mon « ressenti » envers Freddie, si bien interprétée, fut l’empathie et la compassion pour ce personnage profondément blessé et les nombreux avis (cf Le Masque et la Plume »…) la traitant « d’antipathique » ne cessent de me heurter.
                Merci !

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                • Pascale dit :

                  Il y a sans doute dans ma cinéphilie des personnages peu sympathiques et opaques qui m’ont touchée. Ce ne fut pas le cas de Freddie et la prestation de l’actrice ne m’a pas impressionnée non plus. Bref, je suis passée totalement à côté.

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                  • Anita dit :

                    Bon, alors fumons le calumet de la paix tout en saluant aussi la riche appréciation professionnelle du grand psychanalyste !… Au Masque et la Plume, le personnage de Freddie a déplu, mais le film a été unanimement recommandé…

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          • Pascale dit :

            J’ai effectivement cherché à comprendre comment fonctionne Freddie. Chercher à comprendre n’est pas réussir.
            J’ai compris ses souffrances. Je ne comprends pas qu’elle n’apprenne rien de ce qu’elle découvre alors qu’elle semble avoir un cerveau (à défaut de coeur… zut, voilà que je juge encore).
            Je l’ai trouvé déplaisant ce personnage comme votre commentaire péremptoire et prétentieux.

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            • Pascale dit :

              Je parle du commentaire « psy » 🙂

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              • Rabain jean francois dit :

                Réponse à Pascale : Je ne cherche à blesser ni à « juger » personne, bien entendu. Mon commentaire voulait mettre en avant la souffrance du personnage de Freddie, admirablement interprété par Kim Ji Min. Ce qui me frappe en effet c’est la rage qui l’anime et son désir adolescent de tout connaître et de tout exiger. Il est vrai que la suivre dans les vicissitudes de son existence a quelque chose de déprimant. Mais tout aussi de poignant comme le moment de ses retrouvailles avec ses parents biologiques. En contemplant cette détresse qui inspire notre compassion, tout psychologue ne peut que rêver à l’aider à vivre. Se trouver n’est-ce pas parfois se retrouver?

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                • Pascale dit :

                  Savoir comment fonctionne un être humain et quel type de défenses psychiques il met en place pour s’en sortir dans la vie, c’est votre job je dirai.
                  Moi en tant que spectatrice (on parle bien d’un film ?) j’observe et je réagis.
                  Il faudrait être aveugle, sourde et insensible pour ne pas voir la souffrance du personnage.
                  Le « truc », c’est que je fonctionne à l’émotion (le drame de ma vie, le bonheur aussi) et que ce personnage ne m’a absolument pas touchée entre autre parce qu’il n’y a chez elle aucune remise en cause, aucune réflexion, aucune évolution. Et aussi parce que souffrir n’implique pas d’être aussi inutilement et systématiquement méchant avec son entourage. Je comprends la souffrance, mais ni la bêtise, ni la méchanceté. C’est mon côté bisounours. Peut-être a-t-il manqué un psy dans la vie de Freddy.
                  Mais en ce qui me concerne, si un psy me sort ce genre d’énormité : « Se trouver n’est-ce pas parfois se retrouver ? », je fuis en sens inverse.
                  Pourquoi pas « la réponse est en vous » tant qu’on y est.
                  🙂

                  P.S. : désolée Strum, on est pas à OK Corral ici pourtant ! 🙂

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  3. Rabain jean francois dit :

    Park Ji-Min naturellement.

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  4. Rabain jean francois dit :

    😊

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  5. Rabain Jean-Francois dit :

    Strum dit qu’il aime le débat. Je suis en accord avec lui. Débattre, c’est accepter la contradiction, retourner les idées dans tous les sens et parfois aller vers de nouvelles découvertes. « Pascale », qui commente mes élucubrations, me réplique sans ménagement qu’écrire : « se trouver, n’est-ce pas se retrouver ? » est une « énormité », c’est à dire une sottise. Cela m’étonne et m’interroge. Il est vrai que cette affirmation peut surprendre, elle est cependant très connue. Elle est de Freud lui-même pour qui « trouver l’objet est le retrouver ». Il pensait à l’objet maternel et « l’énormité » ici pointée est en fait une banalité. Ce matin Francis Huster, interviewé sur une chaine d’info, disait, le concernant : « On n’est jamais la même personne dans une vie ». Il est bien vrai que l’on peut beaucoup changer, se transformer au cours d’une existence, mais « se trouver » c’est aussi retrouver des identités différentes, contradictoires, récupérer des parties de soi inconnues ou même encore jamais explorées, jamais vécues. La littérature et le cinéma fourmillent d’exemples de personnages hybrides, à la recherche d’eux-même et qui retrouvent dans des actes ou des comportements surprenants des visages d’eux-mêmes jusqu’alors ignorés. On pourrait évoquer ici les romans de Dostoievski que l’on joue au théâtre actuellement, à l’Odéon (« Les frères Karamazov ») ou au Théâtre Français (« Les Possédés »). On pourrait penser aussi à « L’idiot », le film réalisé en 1946 par Georges Lampin, qui était d’origine russe, avec Gerard Philippe et Edwige Feuillère. « Ne pas être soi-même, c’est être dans le temps » dit Valerij Podoroga dans son livre « Naissance du double » consacré à Dostoievski, dont Nicolas Aude rend compte si brillamment , actuellement, dans la revue Critique (Critique. N° 905. Octobre 2022). Ainsi pourrait se résumer cette pensée du double et de l’identité qui ne peut se passer d’une phénoménologie du récit. Il s’agit moins de mettre l’accent ici sur le miroir, comme le font Anthoine et Alfred se regardant dans un miroir Brot, un miroir à trois faces, dans la « Mise à mort » d’Aragon, que de marquer l’écart par rapport à soi-même ou encore notre envers caché, scellé sous les traits d’un autre. Dostoievski et Aragon ou i’art de ne jamais coïncider avec soi-même. Rogojine n’est pas seulement l’envers démoniaque du Prince Mychkine que l’on a trop longtemps comparé à la figure du Christ, Goliatkine cadet, le double de Goliadkine aîné. La figure du double constitue le point ultime de ce processus d’éclatement des frontières qui pulvérise le sujet, comme l’a montré René Girard. Partout dans l’oeuvre de Dostoievski apparaissent des visages inconnus qui nous défigurent, qui réveillent ces parties d’un moi caché, ignoré, informe, qui gît au fond de l’être. « Se trouver » c’est aussi retrouver ces parties cachées ou déniées de soi qui soudain (« vdrug », « soudain », écrit Dostoievski à profusion dans ses romans) surgissent à travers des actes, comme le retour soudain à Séoul de Freddie, sur les traces de l’enfant perdu, explorant des identités multiples au cours de ce très long voyage qu’est la vie.

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    • Anitablanc@free.fr dit :

      « Je ne cherche pas, je trouve » (Picasso)… Mais aussi : « Je ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche à comprendre les questions » (Confucius) !… Merci à toi Jean-Francois de nous envoyer tes généreuses et érudites réflexions qui stimulent nos propres questionnements… oui, nous sommes tous « plusieurs », et certains plus que d’autres, qui ressentent parfois l’intense plaisir d’arriver à se surprendre soi-même… est-ce bien moi qui … ???…

      Envoyé de mon iPhone

      >

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  6. Salut Strum, j’ai vu ce film hier et comme toi j’aime beaucoup. Je ne connaissais pas Chou mais son film et son histoire sont épatants.

    Il y a une petite chose avec laquelle je ne suis pas tout à fait d’accord avec les critiques que j’ai entendues de-ci de-là : tout le monde a l’air de considérer Freddie comme un personnage antipathique, je n’ai pas du tout ressenti cela en voyant le film. Freddie est pour moi une femme moderne, volontaire et qui se défend dans un monde dur ce qui me la rend sympathique. Tu dis qu’elle cherche à contrôler la vie des autres, je dirais pas tout le temps (surtout avec son ami Tena au début ou avec la scène du taxi avec son petit copain), pour le reste, elle à mon avis est ballotée par les boîte de Pandore de la quête des origines qu’elle a ouverte et ne contrôle pas grand chose.

    En tout cas un très beau film, qui m’a beaucoup touché

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    • Strum dit :

      Hello, le monde a été dur avec elle au début de sa vie et elle n’en a pas reçu cette tendresse initiale qui devient ensuite une force intérieure. Si elle ne contrôle pas grand chose en effet, c’est justement pour cela je pense qu’elle essaie par compensation de contrôler les autres, d’où un comportement extérieur qui n’est pas toujours sympathique. On peut avoir pour elle certaines indulgences du fait de notre connaissance de son passé, mais imagine l’impression qu’elle doit faire à qui ne la connait pas.

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