
Quelques mots brefs et tardifs sur Nope (2022), film de monstre aux allures d’allégorie sur les exploités d’Hollywood. Eventons d’emblée le mystère (ceux qui n’ont pas vu le film et voudraient le préserver ne liront pas plus loin) : Jordan Peele y juxtapose l’histoire d’un chimpanzé massacrant des acteurs sur un plateau de télévision en 1998 et celle d’une créature extra-terrestre dissimulée dans un nuage au-dessus d’un ranch isolé, prédateur dévorant des humains. Il fait de ses héros OJ et Em Haywood les descendants du mystérieux jockey noir figurant sur les photogrammes animés d’Edweard Muybridge, ancêtres du cinéma, qui montrent un cheval au galop. Allégation qui relève de la fiction – le jockey de Muybridge n’a jamais pu être identifié – mais qui permet d’établir le rapprochement suivant : ce jockey noir a été effacé des mémoires, tout comme sont oblitérés, oubliés, écartés d’Hollywood les pionniers du début, la famille afro-américaine Haywood qui dresse des chevaux, ou encore l’américano-coréen Jupe qui prétend domestiquer le monstre pour en faire le clou d’un spectacle de foire au fond d’une Californie poussiéreuse.
Il y a ainsi constamment deux niveaux de récits qui se chevauchent, le récit principal du monstre domestiqué qui se révolte et dévore ceux qui prétendaient l’exploiter, et la dimension allégorique de l’ensemble que semble revendiquer Peele à travers le système d’échos de son intrigue. Le film n’est pas exempt de scènes chocs relevant du genre de l’horreur, et lorsque Peele nous fait voir le tube digestif du monstre où hurlent les victimes, on est saisi d’effroi – heureux par la suite de ne pas devoir subir la même vision. Mais il ménage aussi, sertis dans l’atmosphère mystérieuse de l’ensemble, des temps d’attente et de latence, qui permettent au spectateur de remarquer les similitudes existantes entre la révolte du chimpanzé exploité et la révolte du monstre volant dont Jupe a prétendu faire un spectacle payant. De voir que les Haywood, maltraités par l’industrie du cinéma, ne pensent à leur tour qu’à vendre aux plus offrants les clichés du monstre ailé, une fois qu’ils ont découvert sa présence au-dessus de leur ranch. Les yeux levés, chacun ne pense qu’aux pièces qui pourraient tomber du ciel si le ciel le veut bien, c’est-à-dire si l’on est suffisamment commerçant pour le mettre en vente avec tout ce qu’il contient – et les pièces tombent effectivement du ciel, mais elles apportent la mort, comme l’apprend le vieil Haywood. Chacun se veut prédateur de l’autre, pour ne pas en être victime, et de crainte qu’à l’espoir du gain ne se substitue la terreur de l’aspiration par le monstre. La grande réussite de ce film impressionnant – le chef opérateur Hoyte van Hoytema a le sens de l’espace – provient de cet équilibre jamais pris en défaut qu’il trouve entre le spectacle et la dénonciation du spectacle. Cerise sur le gâteau : le monstre est très réussi et ne déçoit pas lorsqu’il sort de son nuage pour un affrontement en forme de duel westernien. On peut imaginer toutes sortes d’origine à ce monstre, pour faire écho à l’imagination du réalisateur, y compris celui de représenter un impensé d’Hollywood, à la façon de l’inconscient libéré de ses chaînes dans Planète interdite.
Strum
Une analyse toute voile dehors, tel ce monstre voyageant dans les nuages et sans doute produit d’un impensé coupable. Je rejoins partiellement ton enthousiasme, regrettant néanmoins quelques scories de scénario (le caricatural réalisateur de documentaire) qui n’entame pas l’intégrité d’un film qui revendique bien haut son identité.
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Le documentariste obsédé m’a plutôt amusé, complétant le tableau. Un film qui témoigne d’une sacrée imagination en tout cas et qui s’avance au départ masqué, comme la créature dans son nuage. Impensé fonctionne ici mieux qu’inconscient en effet.
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Très beau visuellement, j’ai l’impression qu’on a donné au film plus de sens qu’il n’en a. Une entité extra terrestre haineuse qui vomit sa haine selon moi. Le réalisateur m’a abandonnée en route.
Et personne ne m’a encore donné l’explication de la ballerine en suspension.
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Vu le nombre d’échos et de références que le réalisateur introduit dans son film, il me parait manifeste qu’il a voulu raconter autre chose qu’une simple histoire de monstre. On peut trouver cela plus ou moins réussi bien sûr, mais j’ai aimé l’ambition du film, que ce soit du point de vue de ses moyens ou du point de vue de sa visée. En effet, c’est beau visuellement. Quant à la ballerine, je suppose que c’est le principe d’un tel film de conserver sa part de mystère.
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Ok, tout s’explique sauf ce qui ne s’explique pas 🙂
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Voilà. 🙂 Il faut qu’une part de mystère demeure a fortiori dans un tel film.
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Bien aimé aussi. Il n’était pas dans mon top 10 de 2022, mais il aurait pu figurer dans un top 20. Bref…
Moi, j’ai bien aimé sa part de mystère et, à la limite, j’aurais aimé qu’il n’y ait pas vraiment de résolution. Même si cela me convient tel quel. Jordan Peele est remonté dans mon estime.
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Je ne vois plus assez de films sur grand écran pour faire un top 10, mais Nope en aurait probablement fait partie si j’en avais établi un. Merci Martin.
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Je n’ai pas du tout apprécié cette vaste fumisterie… Comme l’ensemble de la filmographie de Peele, d’ailleurs. 😉
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Je n’ai pas vu ses autres films. Visuellement, celui-ci est bien filmé, ce qui est pour moi l’essentiel au cinéma et n’est pas donné à tout le monde. Pour le reste, le film contient suffisamment de mystére – du moins au début -, de signes et d’échos, pour me divertir et me faire réfléchir en même temps. Il ne m’en faut pas plus pour aimer un film de genre et il n’y a pas de fumée sans feu. 🙂
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