Coup de torchon de Bertrand Tavernier : éclipses

Devant Coup de Torchon (1981) de Bertrand Tavernier, trois pensées viennent à l’esprit : Premièrement, transposer le formidable Pottsville, 1280 habitants de Jim Thompson au Sénégal dans l’ancienne Afrique Occidentale-française était une excellente idée. Que ce soit dans l’Amérique sudiste et raciste chez Thompson ou dans une colonie française chez Tavernier, les noirs sont à chaque fois considérés comme des sous-êtres ; dépourvus d’âmes dans le roman, ne pouvant revendiquer le statut d’habitants dans le film. Deuxièmement, Philippe Noiret est remarquable en policier velléitaire décidant soudain de se faire justice lui-même. Troisièmement, la mise en scène de Tavernier n’est pas toujours à la hauteur du texte – du moins est-ce mon sentiment.

Ce texte, parlons-en. Le livre de Thompson contient plusieurs passages inoubliables, quasi-métaphysiques, où le shérif de Pottsville, Nick Corey, que le lecteur a d’abord pris pour un idiot, soliloque en prenant le lecteur et parfois dieu à témoin, dévoilant, mine de rien, une vision du monde, que l’on pourrait résumer ainsi : chacun fait ce qu’il peut, avec ses maigres moyens et dans le périmètre de sa responsabilité. En faisant ce qu’il peut, chacun commet des vilenies à l’égard d’autrui ; et rien n’est d’ailleurs plus répandu que le principe du bouc émissaire où l’on cherche un coupable alors que chaque chose a mille causes. En jouant un rôle dans la pièce du monde, en participant à sa trame, chacun est collectivement coupable des crimes commis en ce monde et nul n’est innocent. Personne ne peut se prétendre meilleur qu’un autre, chacun ayant tort et raison en même temps (« je ne dis pas que tu as tort, mais je ne dis pas non plus que tu as raison » répète Nick). La seule chose dont Nick soit assuré, c’est qu’il ne sait pas quoi faire, bien qu’il tente de devenir ange exterminateur avant d’arriver à cette conclusion. Humour du désespoir qui définit la condition humaine comme une dérisoire tentative d’exister.

Tavernier et Jean Aurenche, qui adaptent le livre avec une précision et une habileté qui démontre la parfaite connaissance qu’ils en ont, reprennent la plupart de ses monologues et de ses réparties. Confier le rôle de Corey à Philippe Noiret rend le personnage aussi pataud que dans le livre, mais peut-être plus attachant, au sens où l’on éprouve pour lui davantage de pitié. Le livre, plus profond, parvenait à évoquer la condition humaine avec un ton sardonique, le film parle d’abord de Lucien Cordier, policier esseulé officiant dans une petite ville coloniale de l’Afrique-occidentale française, en 1938 au Sénégal. Car s’il le dissimule, Cordier souffre mille maux, il souffre dans sa chair et dans son âme. Il ne peut plus supporter la misère dans laquelle vivent les habitants noirs de la ville, ni le racisme et la bêtise des coloniaux blancs. C’est dit d’emblée dans la séquence d’ouverture où Cordier observe des enfants sénégalais livrés au dard du soleil et à la poussière, et qui semblent affamés. Un peu plus tard dans le film, on le verra de nouveau pleurer, cette fois pour ses propres crimes ; il pleure car il sait qu’il ne vaut pas mieux que les autres. Au début, sans doute, Cordier se venge. Il veut se venger des couleuvres que lui fait avaler sa femme Huguette (Stéphane Audran), qui fait passer son amant (Eddy Mitchell) pour un frère débile dont elle devrait s’occuper, des humiliations que lui font subir deux proxénètes imbéciles dont il est devenu la tête de turc (Jean-Pierre Marielle et Gérard Hernandez). Lui qui prétend ne rien vouloir faire, qui a été précisément nommé policier car il ne fait rien, lui qui fait semblant d’être bête et faible, se fait soudain tueur machiavélique. Sous le prétexte des conseils prodigués par un shérif vantard d’une ville voisine (Guy Marchand) qui se trouve ainsi compromis, géniale machination reprenant celle du livre, il abat froidement les deux proxénètes ; il élimine ensuite le mari brutal de sa maîtresse Rose (Isabelle Huppert), faisant a priori d’une pierre deux coups, puisqu’il débarrasse la ville d’un dangereux soudard, avec la bénédiction inconsciente du curé, tout en donnant le champ libre à ses désirs de l’impétueuse Rose à la langue trop bien pendue. Mais son chef-d’oeuvre, c’est ce plan diabolique, là aussi repris du livre, qui lui permet de faire un sort à sa femme et son amant. Et c’est à ce moment là qu’il pleure à nouveau. Car alors, lui apparaît une chose qu’il a toujours su et qu’il a voulu oublier un temps : bien qu’il prétend tuer au nom de dieu, lui aussi est un misérable, intéressé d’abord par ses propres intérêts. Non seulement, il ne vaut pas mieux que les autres, mais il est même pire – ce qu’il traduit par ces mots : « je suis déjà mort ». Il est un faux ange exterminateur, car un ange est désintéressé alors que lui a toujours exterminé à son profit, de même qu’il fait démonter les toilettes sous ses fenêtres pour son seul bénéfice. Plus diable que Jesus Christ cet homme.

Pour rendre compte de l’angoisse existentielle du livre, pour donner un contrepoint aussi au désespoir de Cordier qu’il a fait si bien voir, Bertrand Tavernier a l’idée d’introduire dans sa mise en scène une certaine instabilité visuelle, avec une caméra parfois portée et d’autres fois de violents travelling avant ou arrière, une caméra sardonique ou inquiète elle aussi, prise de mouvements précipités dans certaines scènes. Et c’est là que le bât blesse dans ce film autrement très bien conçu et raconté : il m’a semblé que la caméra en faisait parfois trop dans la précipitation, dans le vacillement désaxé, et ce d’autant plus que la musique de Philippe Sarde tend elle aussi vers une tonalité bouffonne. L’autre idée visuelle que l’on retrouve au début du film et plus tard dans le récit, c’est celle de l’éclipse, qui semble signifier que toute dignité humaine s’est eclipsée de ce lieu infernal où se déroule le film. Eclipse des sentiments qui préfigurent d’ailleurs le chemin d’extermination pris par Cordier. Qui d’autres va-t-il tuer maintenant ? Des innocents, lui qui est convaincu que cela n’existe pas ? Par son jeu très fin, dicté par le plissement de ses yeux, Noiret éclipse aussi ses partenaires de jeu, qui sont certes tous dans le ton, tous irréprochables, mais ont des personnages plus univoques, moins complexes et doubles que Cordier. L’idée de faire revenir le personnage de Jean-Pierre Marielle sous l’apparence d’un frère jumeau (absente du livre) participe du même ricanement inquiet de la bouffonnerie de ce monde, monde condamné à disparaître dans une horreur pire encore : la seconde guerre mondiale, puisque Tavernier a eu également l’idée de transposer temporellement le récit en 1938. Tout cela produit un film étonnant tout bien considéré malgré mes réserves sur la mise en scène.

Strum

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22 commentaires pour Coup de torchon de Bertrand Tavernier : éclipses

  1. florence Régis-Oussadi dit :

    J’adore ce film, je pense que c’est mon préféré de Tavernier avec « La vie et rien d’autre ». Il y a quelque chose de métaphysique dans « Coup de Torchon », sorte de parabole sur le jugement dernier qui me fascine, et comment oublier le personnage de Cordier qui passe d’un rôle de paillasson à celui de justicier aussi dégénéré que ceux qu’il tue. C’est aussi un film de réparties géniales, écouter Noiret est un régal « s’en prendre à vous c’est comme qui dirait un devoir civique! » « ce n’est pas parce qu’on met la tentation à portée de main qu’il faut se laisser tenter » etc. C’est grinçant et déjanté et la musique participe de cette atmosphère, j’adore l’écouter! En fait j’apprécie particulièrement le contraste entre un fond tragique et un traitement bouffon qui en fait une sorte de comédie de l’absurde sur fond de « body double » (les 2 Marielle, les 2 Cordier).Ca pourrait tout à fait être du Beckett parce que c’est moins Dieu que l’on voit à l’oeuvre que le diable (j’imagine que Lucien renvoie à Lucifer) et tout n’est au final que désolation et vacuité.

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    • Strum dit :

      C’est surtout le livre qui est génial et toutes les formidables réparties du film viennent de lui. L’avez-vous lu ? C’est une bonne adaptation et j’ai trouvé Noiret exceptionnel. Mais comme souvent avec les films de Tavernier que j’ai vus, j’ai trouvé que la mise en scène manquait de force et de pouvoir d’évocation. Peut-être est-ce aussi un de ces cas où il vaut mieux voir le film avant de lire le livre.

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  2. princecranoir dit :

    Je ne trouve pas qu’il y ait trop de cinéma dans ce film, cela participe à son rythme, une fausse langueur accablée de soleil (car le soleil s’est terni sur ce coin de l’Afrique). Comme tu le sais, j’ai aimé cette atmosphère lourde, cet humour sombre (certes le livre y est pour beaucoup, mais l’art de l’adaptation n’est pas donné à tous), ses apports singuliers (tu as évoqué le double Le Péron, mais il y a aussi l’impayable colonel Tramichel). Bien sûr les nombreux personnages périphériques semblent moins fouillés (ne le sont-ils pas dans le livre ?) puisque le récit est centré sur Cordier, et Noiret le compose de splendide manière.

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    • Strum dit :

      Effectivement, je me souviens que tu as beaucoup aimé, et tu n’est pas le seul. Je ne dis pas qu’il y a « trop de cinéma », mais j’ai trouvé certains mouvements de caméra maladroits. Ils ne m’ont pas convaincu si tu préfères. En ce qui me concerne, et si j’en juge par les films que j’ai vus de lui, Tavernier est un très bon conteur, mais pas un grand metteur en scène. Cela étant, dit le film a par ailleurs des qualités et reste bien. Noiret est exceptionnel et comme tu le dis l’art de l’adaptation, inspirée ici, n’est pas donné à tous.

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  3. Jean-Sylvain Cabot dit :

    bonjour. Je viens de racheter le livre génial en effet de Jim Thompson que j’avais lu plus jeune car ce Coup de Torchon pose problème. Je sais que beaucoup aiment ce film mais moi je n’y arrive pas et encore récemment, je ne suis pas allé au bout. Oui, Noiret est formidable mais c’est à peu prés tout. Et encore, son passage du flic pataud et benêt au tueur vengeur me semble plaqué,un peu artificiel, trop soudain. La transposition en Afrique est une bonne idée mais je n’y retrouve pas cette moiteur sudiste à la Erskine Caldwell du bouquin. La mise en scène est trop sage, un peu plate je trouve, sans réelle dramaturgie..J’aurais voulu plus de rythme, de force et de folie.. Oui, C’est trop sage un peu plan-plan. Décevant quand même..Mais je vais relire le bouquin.

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    • Strum dit :

      Bonjour Jean-Sylvain, Ca reste quand même une bonne adaptation à mon avis, même si la mise en scène est parfois maladroite. Difficile d’être à la hauteur du livre il faut dire. Et de fait, je pense qu’on peut classer ceux qui ont vu le film en deux catégories : ceux qui ont lu le livre et ceux qui ne l’ont pas lu : il en résulte souvent une différence d’appréciation notable.

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  4. Pascale dit :

    C’est mon Tavernier préféré. Je le trouve étonnant en tout point et bien qu’il soit dominé par l’interprétation exceptionnelle de Noiret, je trouve ses partenaires à la hauteur.
    Et je trouve la musique absolument pas bouffonne mais au contraire assez angoissante. J’adore quand elle surgit littéralement.

    Philippe Noiret est un acteur incroyable. J’ai aussi vu ou revu L’horloger de Saint Paul, Le juge et l’assassin, La vie et rien d’autre. Quel acteur !

    Et cette fois tu me donnes envie de lire le livre.

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    • Strum dit :

      C’est vrai que c’est un film étonnant, et pour moi aussi, ce doit être le meilleur Tavernier que j’ai vu, même si ce qu’il a d’étonnant vient du livre (oui, n’hésite pas à le lire !). Noiret est vraiment un acteur exceptionnel. Les autres sont bien, mais ils jouent leur partition, parfaitement certes, mais pas plus, alors que Noiret la dépasse en faisant voir l’humanité déchirée de son personnage. Il est ce qu’il y a de mieux dans les films que tu cites. Sinon, il y a dans la musique, je trouve, plusieurs accords qui tendent à accentuer par leur caractère à moitié atonale le caractère absurde et bouffon, et noir c’est sûr, du monde du film.

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  5. kawaikenji dit :

    L’immense (et ambigu) Thompson n’a pas eu de chance quant aux adaptations de ses livres (mais peut être après tout est-il inadaptable, surtout The Killer Inside Me), mais là, c’est le pompon… pourtant l’idée de la transposition en Afrique était bonne… Mais c’est plat, lourd, chaque acteur fait son numéro Hénaurme, je pleure le Tatave critique de cinéma mais alors le cinéaste, non…

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  6. Pascale dit :

    J’ai terminé cette nuit les 1280 âmes de Jim Thompson, ravie d’avoir vu (et revu) le film avant car j’avais l’incroyable voix et le ton décalé de Noiret qui me soufflait ses tirades à l’oreille, effectivement reprises à l’identique par rapport au livre, tout comme les bordées d’injures de Rose.
    Tous les personnages du livre sont vraiment bien incarnés dans le film que j’apprécie encore plus. Je trouve l’adaptation/transposition vraiment très réussie.
    Quel régal que ce livre pourtant nihiliste et amoral. Le dernier paragraphe est un chef d’œuvre.
    J’ai aussi lu et beaucoup aimé The killer inside me.
    Tu crois qu’un autre me plairait ?

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    • Strum dit :

      Oui, c’est une bonne adaptation, même si je préfère le livre. Noiret est très bien dans le rôle. Je n’ai rien lu à part ces deux là, mais celui que j’aimerais bien lire – le prochain que je lirai de Thompson – c’est Les Arnaqueurs.

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  7. Hamsterjovial dit :

    Mon dieu, quel mauvais film. Je n’ai aucun mal à croire que le livre est bien meilleur, or c’est une marque de savoir-vivre que de ne pas adapter au-delà de son talent. Noiret joue le revenu-de-tout-tellement-lucide-qu’il-est-passé-au-delà-du-bien-et-du-mal (désolé pour cette accumulation de traits d’union, d’habitude j’évite cette facilité d’écriture mais ici cela me paraît approprié) d’une façon qui se veut ostensiblement plus hallucinée que d’habitude, mais qui devient vite insupportable à mes yeux, et encore plus à mes oreilles. À quoi s’ajoute ce côté « on s’encanaille » qui, de la part d’un cinéaste aussi sage (pas dans le sens positif, ou alors dans le sens ‘Positif’), aussi peu fou que Tavernier, est constamment gênant, comme l’est la représentation de l’Afrique subsaharienne. Je n’ai pas revu le film depuis longtemps (la vie est trop courte pour s’appuyer régulièrement une telle purge), mais dans mon souvenir, et sans vouloir entonner systématiquement le couplet féministe, le traitement des femmes est aussi particulièrement gratiné. Quant à cette caméra portée que Strum évoque dans son texte, elle participe de la bouillie visuelle qu’on retrouve dans plusieurs des films tournés par Tavernier au tournant des années 70-80 (‘Le Juge et l’assassin’, ‘La Mort en direct’, etc.) : fausse modernité de mouvements longs (rendus possibles par un des procédés de réduction des à-coups à la mode à l’époque — Steadicam ou Panaglide, je ne saurais dire), plaqués sur des films qui n’en demandent pas tant car ils sont par ailleurs foncièrement académiques. Le plus déprimant chez Tavernier c’est que, de ces films américains et italiens « classiques » (pour employer un mot qui ne veut pas dire grand chose) qu’il semble avoir sincèrement aimés, il ait retenu si peu, que ce soit en sens du cadrage, du découpage-montage et de l’ellipse ou en modestie non feinte (de ce point de vue, son film le plus accablant est sans doute ‘La Fille de D’Artagnan’). Enfin, chaque réplique est tellement surécrite (aussi juste et forte fût-elle dans le livre adapté) qu’on a l’impression non pas de voir un film mais de lire le scénario de celui-ci, avec son incessant cortège de fausses audaces épate-bourgeois — et je ne dis rien de ce qui voudrait se faire passer pour un humour iconoclaste, afin de ne pas trop charger la barque.

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    • Strum dit :

      Merci pour ton intervention ! Je comprends ta réaction. Je ne suis moi même pas très sensible à la mise en scène de Tavernier, que je ne trouve jamais très convaincante. Je t’invite à lire le livre, formidable, qui est assez intelligemment adapté ici, ou plutôt transposé, malgré mes réserves sur la mise en scène.

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  8. Hamsterjovial dit :

    Plutôt que d’étaler ma faible prose, j’aurais plutôt dû citer l’excellent texte de Serge Daney (dont le souvenir lointain a sans doute influencé ma modeste bafouille ci-dessus) à propos de ‘Coup de torchon’), sur lequel je viens de retomber et que l’on peut lire ici :
    https://archive.org/details/SergeDaneyCineJournalVol.I19811982/page/n37/mode/2up

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    • Strum dit :

      Merci pour le lien ! Daney est très clair et Tavernier et plus généralement la « qualité française » en prennent pour leur grade. Si je suis d’accord avec lui pour regretter que les bons mots prennent le pas sur la mise en scène, je ne le suis pas sur l’interprétation de Noiret et je regrette qu’il ne parle pas du tout du livre – de manière générale, je suis toujours un peu chagrin quand un critique n’évoque pas le livre adapté, car l’angle d’adaptation en dit long sur les intention du cinéaste.

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      • Hamsterjovial dit :

        Hello Strum,

        Le reproche que tu formules ici, je le ferais à quelqu’un qui écrirait un essai sur un film adapté d’un livre, pas une critique dans un quotidien. Quelle que fût la capacité de lecture de Daney (qui devait être grande), il n’en avait sans doute pas le temps dans le cadre d’une écriture « d’actualité » — et à une époque qui plus est où les livres, hors bibliothèques, n’étaient pas disponibles du jour au quasi lendemain, à la vente ou à la consultation en ligne, puisque de ligne (internet) il n’y avait point. En outre, l’absence de référence au livre de Thompson n’enlève rien à la pertinence des arguments critiques développés dans ce texte. Enfin, on peut supposer que Daney, quand bien même eût-il lu le livre de Thompson, aurait choisi de ne pas en parler : l’eût-il fait que son texte aurait peut-être un peu trop rappelé celui (qu’il évoque en tant que critique de l’éternel retour de la « Qualité française ») de François Truffaut intitulé « Une certaine tendance du cinéma français », lequel dénonçait certains choix d’adaptation et en particulier ceux de Jean Aurenche au temps où il écrivait des scénarios de films avec Pierre Bost — Aurenche qui se trouve être le coscénariste de ‘Coup de Torchon’, aux côtés de Tavernier… Il est des patronages, fussent-ils prestigieux et revendiqués, par rapport auxquels il faut savoir marquer sa différence. L’un des défauts de la « Qualité française », bien établis dès le texte de Truffaut, étant le rapport particulier et quasi systématique qu’elle entretenait à l’adaptation (le fameux système des « équivalences »), peut-être Daney pouvait-il se dispenser d’y revenir : le faire aurait pu donner à sa critique un caractère d’étude professorale qu’il cherchait à éviter, et puis encore une fois les conséquences qu’il tire de la façon dont il juge « sur pièces » le film de Tavernier me paraissent en elles-mêmes déjà très nourrissantes, et convaincantes !

        Pour revenir au livre et aller quelque peu dans ton sens, la faiblesse du film de Tavernier se signale à mes yeux dès son titre : pour passer du superbe ‘1275 âmes’ au franchouillard ‘Coup de torchon’, j’espère qu’il y eut au moins une obligation légale !

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        • Strum dit :

          Hello Hamster et merci de ta réponse. Effectivement, les critiques professionnels n’ont pas toujours le temps de lire les livres adaptés, j’en ai bien conscience, et une critique peut être tout à fait pertinente sans pour autant que le critique ait été en mesure de lire le livre d’origine. Il s’agissait moins d’un reproche que d’un regret car j’aime les livres – et j’aime par conséquent qu’ils soient lus – et la connaissance du livre d’origine, et des choix d’adaptation présidant au film, permet souvent (c’est du moins mon expérience) de mieux comprendre le point de vue du cinéaste ou ce qu’il a voulu dire.

          Ce que Truffaut reprochait à Aurenche et Bost, ce n’était pas qu’ils adaptaient des livres, une adaptation n’est nullement problématique en soi, a fortiori quand on sait que la grande majorité des films de l’époque était tirée de scénarios adaptés, c’était le fait qu’Aurenche et Bost adaptaient mal, « affadissaient' » le livre de départ, le trahissaient, selon la vision du monde pessimiste et essentiellement « anti-bourgeoise » du « réalisme psychologique » d’Aurenche et Bost que vilipende Truffaut.

          Sinon, Tavernier a en effet été un des héritiers de la « tradition de qualité » et a défendu Aurenche et Bost et là-dessus, nous sommes d’accord, tout comme sur le titre « Coup de torchon » !

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          • Hamsterjovial dit :

            En réponse à ce passage de ton dernier message :
            « Ce que Truffaut reprochait à Aurenche et Bost, ce n’était pas qu’ils adaptaient des livres, une adaptation n’est nullement problématique en soi, a fortiori quand on sait que la grande majorité des films de l’époque était tirée de scénarios adaptés, c’était le fait qu’Aurenche et Bost adaptaient mal, « affadissaient’ » le livre de départ, le trahissaient, selon la vision du monde pessimiste et essentiellement « anti-bourgeoise » du « réalisme psychologique » d’Aurenche et Bost que vilipende Truffaut.  »
            —> j’en suis tout à fait d’accord, c’est ce que je voulais dire en rappelant ce procédé des « équivalences » que Truffaut pointait (négatif car appauvrissant à ses yeux, en effet).

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