Peur sur la ville d’Henri Verneuil : cascades sur les toits de Paris

L’Inspecteur Harry (1971) de Don Siegel donnait à voir une coupe de San Francisco et racontait la traque obsessionnelle par un policier aux méthodes expéditives d’un tueur en série – obsessionnelle parce que ce tueur était son double, comme s’il était passé de l’autre côté de la frontière séparant la loi et le crime.

Peur sur la ville d’Henri Verneuil (1975) emprunte au film de Siegel ses plans d’ouverture, ses épisodes de traversée d’une grande ville, et cette idée d’un policier peu regardant sur la déontologie, mais il le fait sans rien retenir de l’ambiguité et de la noirceur de son modèle. Le commissaire Letellier qu’incarne Jean-Paul Belmondo, avec une nonchalance qui enlève toute espèce d’intérêt au personnage, est un policier sûr de son fait et de ses méthodes douteuses, qui préfère l’action aux explications psychologiques. Par deux fois au début du film, on le voit faire chanter des suspects, dont un gravement blessé qui perd son sang, en prenant un ton rigolard et décontracté bien peu réaliste, loin des sourcils froncés et de la machoire serrée de l’Inspecteur Harry, qui le désignaient proche du déséquilibre psychologique. Letellier préfère du reste avoir affaire aux malfrats braqueurs de banque plutôt qu’à Minos, détraqué sexuel en croisade pour débarrasser Paris de ses femmes de petite vertu. Soit là aussi, tout le contraire d’Harry qui est attiré par le criminel qu’il pourchasse parce qu’il craint inconsciemment de lui ressembler. Faire de Letellier un commissaire récalcitrant, peu enclin à s’occuper de l’affaire Minos, est sans doute une façon de le dépeindre en homme soi-disant sain et normal, complètement différent du détraqué poursuivi, dont un psychologue nous dit à la fin du film, selon une pédagogie sociologique schématique annonçant I… comme Icare du même Verneuil (1979), qu’il est la victime d’une société castratrice niant les besoins sexuels. Mais dès lors, le duel Letellier – Minos se trouve privé d’enjeu autre que celui de permettre à Letellier de se conduire en héros de western urbain. Il manque à ce Minos là son Minotaure et Verneuil et Belmondo n’ont pas souhaité que Letellier le soit.

Le film n’est néanmoins pas dénué de tout intérêt car les poursuites nous font voir différents quartiers de Paris tels qu’ils étaient dans les années 1970. Ni d’efficacité : le découpage de Verneuil est vif et dynamique, distillant même un sentiment de peur dans l’excellent prologue avec Lea Massari, dont l’ambiance est proche du giallo, ce qui laisse imaginer que Verneuil subit ici un patchwork d’influences diverses (Aldalberto Maria Merli qui incarne Minos est d’ailleurs un acteur italien, qui jouait l’antagoniste de Delon dans Le Professeur de Zurlini). Verneuil y tire parti de l’architecture raide d’une tour à Courbevoie, à l’instar de Dario Argento soulignant l’étrangeté de l’architecture romaine dans ses films du début des des années 1970, et il est dommage que le film ne reste pas ensuite au même niveau, l’oeil de verre de Minos (qu’il est même capable d’apercevoir en vision subjective) ne pouvant longtemps faire illusion. La fin du film se déroule également dans une tour, dans le XVe arrondissement de Paris, à Beaugrenelle, et cette tour est derechef filmée comme une masse menaçante et silencieuse par Verneuil via des contre-plongées, lieu d’une possible déshumanisation urbaine. Mais là encore, la comparaison tourne à l’avantage de Siegel qui reliait par sa mise en scène, de manière inextricable, l’environnement et son personnage : dans L’Inspecteur Harry, l’architecture, la pénombre, les rues sordides, semblaient peser sur la conscience d’Harry, tandis qu’ici Belmondo est bien trop à son aise, bien trop vif et bondissant, bien trop occupé de ses cascades (trop nombreuses) sur les toits de Paris ou du métro, pour donner l’impression que l’environnement peut avoir sur lui un quelconque effet néfaste. Dès lors, on peut se désintéresser assez vite de son personnage, qui se présente d’ailleurs lui-même, certes ironiquement, comme un policier naïf aux gros bras et au petit cerveau ravi de jouer au cow-boy. Dans le très bon Mélodie en sous-sol du même Verneuil, que l’on préfère à ce film-ci, le jeune délinquant joué par Delon n’était déjà pas non plus une lumière, mais il ne s’en vantait pas. Quant à la présence d’images des films X de l’actrice dans son propre appartement où elle vit avec une petite fille de 8 ans, elle est si absurde qu’elles ne peuvent avoir qu’un objectif racoleur. Dommage que l’on ne voit pas davantage Charles Denner en fidèle collègue blasé.

Strum

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11 commentaires pour Peur sur la ville d’Henri Verneuil : cascades sur les toits de Paris

  1. princecranoir dit :

    Je te rejoins totalement. Verneuil se brûle les ailes à vouloir émuler le style américain. Tout ce qu’il parvient à faire n’est qu’une pâle caricature peu digne d’intérêt, sinon celui de contempler Bébel dans ses œuvres au summum de sa forme : lui aussi tente de s’élever au dessus du grand labyrinthe de Paris, suspendu à une grue, accroché à un toit, mais le vertige n’y est pas. Et comme tu le dis très bien, « il manque à ce Minos là son Minotaure. »
    Et pourtant, cette lecture ravive une envie de revenir à « Peur sur la ville », sorte de force d’attraction nostalgique, comme hanté par le souvenir de ces films d’action à la française, porté par un acteur vedette, et dont on semble avoir perdu la recette en cours de route.

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    • Strum dit :

      Oui, manifestement, Verneuil subit diverses influences de films de genre tout en essayant de faire de son film un véhicule commercial mettant en valeur les prouesses physiques de Belmondo. D’où l’impression de patchwork peut-être, malgré certaines scènes efficaces. J’avoue avoir été modérément convaincu par l’interprétation de Bebel.

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  2. Major Tom dit :

    C’est le genre de film qu’il faut découvrir jeune, comme c’est dit ailleurs, et pour les types de ma génération (jeune homme) c’est évidemment la nostalgie qui le sauve, beaucoup, aujourd’hui… et la musique de MORRICONE of course, qui donne tout de même une sacrée ampleur à l’angoisse faisant défaut à la mise en scène et aux tours de Beaugrenelle filmées assez platement, et enfonce le clou de l’hommage au giallo (je pense que c’est clairement une sorte de « giallo ultime » avec tout Paris en décor que souhaitait faire Verneuil)… Bizarrement mes parents m’ont laissé le voir jusqu’au bout, mais ce n’est pas l’appartement (ou la façade du cinéma) rempli d’images « érotiques » qui m’ont marqué, mais le discours du pseudo psychologue qui te fait un pamphlet de la société et ses barrières (et en visant juste sur ce qui a « créé » Minos sans même avoir rencontré le type une seule fois, chapeau), qui m’avait un peu marqué. Je ne m’en souviens plus exactement (c’est rare que j’arrive jusqu’à cette scène quand je revois le film puisque la fin est sans intérêt), mais il parlait de sexualité, des premiers émois frustrés ou que sais-je (« ton corps change, pense aux fleur… »), alors que j’étais avec mes parents à côté. ^^ Sinon il y a un interview récent où Aldalberto Maria Merli revient sur ce film en racontant qu’il aurait préféré que le film se termine sur Minos qui gagne, qu’au final il était mécontent du film et qu’il a un mauvais souvenir de Belmondo qui n’aimait pas son idée, haha.

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    • Strum dit :

      En effet, il aurait fallu que je le découvre adolescent. J’aurais été plus indulgent, plus intéressé sûrement par les aspects racoleurs, et plus impressionné par les cascades de Belmondo. Et c’est vrai, j’ai oublié de parler de la musique de Morricone. Irréprochable comme d’habitude mais à force de voir Belmondo se prendre pour Bebel, j’ai dû finir par l’oublier ! Minos qui gagne, cela lui aurait servi de leçon.

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  3. kawaikenji dit :

    Un des meilleurs films français de genre. Un des seuls sur un serial killer. Verneuil très sous-estimée, diktat de la critique ayatollesque française oblige. Une des meilleures BO de Morricone également, celle du générique de fin est une merveille. Merci Strum de t’attarder dessus, c’est quand même moins ennuyant que Rossellennui… 😉

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    • Strum dit :

      Si c’est un des meilleurs films français du genre, alors le genre français est bien pauvre. J’ai trouvé le jeu de Belmondo très moyen, pas loin du mauvais, devant défendre il faut dire un personnage de policier cascadeur inintéressant au possible. Delon aurait été bien meilleur. Cependant, le film distrait, j’étais content de le découvrir enfin, et j’aurais sûrement été beaucoup moins sévère si je l’avais découvert adolescent. A chaque fois qu’on écoute Morricone, on a l’impression qu’il s’agit de sa meilleure BO, mais je ne pense pas que cela soit le cas ici.

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  4. Eh bien moi je l’avais vu il y a longtemps, j’étais donc jeune, je ne l’ai pas revu depuis … et j’en ai gardé un excellent souvenir. C’est sûr que je l’ai pris au premier degré et contre toute attente, cela a marché assez bien.

    Il y a de l’action, toute la séquence avec l’œil de verre m’avait assez bluffé et je suis sorti plutôt emballé, Maintenant, c’était il y s longtemps…

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