Arizona Junior de Joel et Ethan Coen : échevelés

1585794979_Arizona_Junior_1987

Il ne faut pas toujours revoir les films que l’on a découverts adolescent. Je me souvenais d’Arizona Junior (1987) des frères Coen comme d’un film très drôle. Le revoir m’a permis de comprendre que les frères Coen n’avaient pas encore tout à fait trouvé la place que devait prendre l’humour dans leur univers cinématographique. Non pas que le film soit avare de scènes drôlatiques propres à dérider le spectateur – elles raviront en particulier les plus jeunes. Mais l’humour tend ici davantage vers Tex Avery que vers Kafka, faisant appel à des effets de mise en scène appuyés (accélérés, grands angles étirant l’espace, furieux travellings avants), et à certains personnages aux réactions hystériques (les deux frères évadés hurlant en se regardant). L’humour y relève d’une certaine extranéité par rapport au monde du film, ne porte pas encore en soi la clé de l’énigme de l’existence selon les Coen. Ils ont du reste admis que le grotesque du film emprunte aux personnages hauts en couleur du sud des Etats-Unis de Flannery O’ Connor.

Arizona Junior est l’histoire d’un couple curieusement assorti : Hi (Nicolas Cage), un braqueur de supermarché maladroit et Ed (Holly Hunter), une policière émotive. La stérilité de cette dernière les conduit à employer les grands moyens pour avoir un enfant : enlever l’un des quintuplés d’un magnat local du secteur des grandes surfaces. Ce qui s’ensuit témoigne d’une imagination débridée : après le kidnapping, la récompense de 25.000 dollars promise par les parents à qui leur ramènera le bébé lance sur les traces d’Ed et Hi un motard de l’apocalypse, sans compter deux anciens compagnons de cellule d’Ed évadés du pénitencier, Gale et Evelle (John Goodman et John Forsythe). Une course-poursuite échevelée commence sur les routes de l’Arizona sous les regards amusés de l’imperturbable bébé du film. C’est lui le sage du récit, car Cage, Hunter (actrice rare), Goodman, tous formidables, poursuivront vainement leurs chimères.

La morale du film est celle d’un conte. On sait depuis Barton Fink et plus encore depuis A Serious Man, que les films des frères Coen sont des contes yiddish modernisés et ajustés aux dimensions du rêve américain, à ses grands espaces. Dans Arizona Junior, les rêves d’Ed et le motard de l’apocalypse appartiennent du reste à cet univers du conte, qui est proche de l’univers biblique. Il en va de même, d’un point de vue structurel, du prologue et de l’épilogue racontés par Hi. Ce n’est qu’au milieu que l’on trouve les élans burlesques du film. Il s’achève sur une étrange promesse, celle de la vie future d’Ed et Hi, et l’on y devine à la fois un espoir et les prémisses de la mélancolie. Quelle était la promesse du cinéma des Coen en 1987 ? Elle était difficile à distinguer après ce road movie burlesque qui suivait Sang pour sang (1984), leur excellent premier film noir où ils avaient établi les prémisses de leur style. Une nouvelle embardée allait les ramener au territoire du film noir avec l’impressionnant Miller’s crossing (1990) et son héros hard boiled. Mais c’est dans Fargo (1996) que l’alliage entre le film noir et l’humour absurde se fit définitivement et que leur talent de conteur révéla sa grande ambition : interroger l’absurde du monde sous couvert d’humour noir.

Strum.

Cet article, publié dans cinéma, cinéma américain, Coen (Ethan et Joel), critique de film, est tagué , , , , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

10 commentaires pour Arizona Junior de Joel et Ethan Coen : échevelés

  1. lorenztradfin dit :

    Bien trouvé le « Tex Avery » – j’ai abandonné la re-vision de ce film à la TV (je pensais le « comprendre » mieux qu’à sa sortie…)

    J’aime

  2. Pascale dit :

    Je l’ai revu aussi lors de son récent passage. J’ai passé un bon moment (qui vient en grande partie du couple d’acteurs excellents) avec aussi quelques réserves que je n’ai pas cherché à analyser. Les 2 évadés m’ont paru particulièrement agacants.

    Je ne connaissais pas le terme extranéité. J’ai dû chercher sa signification. Merci.

    J’aime

  3. Ronnie dit :

    Raising Arizona c’est le résultat d’une collision entre Bip bip et une comète, et Cage à rarement été aussi bon. 😉

    J’aime

    • Strum dit :

      Oui, c’est à peu près ça ! En tout cas, c’est ainsi que se conduit la caméra. Cage est très bien en effet, mais Holly Hunter est peut-être encore meilleure.

      J’aime

  4. Ping : Miller’s crossing de Joel et Ethan Coen : « nobody knows anybody  | «Newstrum – Notes sur le cinéma

  5. Martin dit :

    Comme tu le dis à Pascale, tu émets quelques réserves, désormais, mais j’ai bien l’impression que tu l’aimes encore, ce film. J’ai tendance à dire que tu as bien fait de le revoir. Surtout que ça nous permet de lire une nouvelle belle chronique… 😉

    J’aime

    • Strum dit :

      C’est parfois risqué de revoir des films aimés plus jeunes mais j’ai été davantage déçu que ce à quoi je m’attendais. Un Coen mineur, même si probablement nécessaire dans leur évolution de cinéastes. Enfin, les Strum Jr. y ont trouvé leur compte, c’est déjà cela.

      J’aime

  6. Moi j’en garde un assez bon souvenir mais je l’ai revu dans les années 2000 (après un tout premier visionnage quelques années après sa sortie au début des années 90). Je garde un souvenir d’un Nicholas Cage époustouflant. Je ne m’interdis pas de le revoir si j’en ai l’occasion.

    J’aime

Laisser un commentaire