Charade de Stanley Donen : quel rapport avec le CIO ?

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Charade (1963) de Stanley Donen est une fantaisie d’espionnage dans un Paris fantasmé, filmé comme un décor sans âge. Audrey Hepburn y joue le rôle de Regina Lampert, une charmante veuve apprenant après la mort de son mari Charles que celui-ci avait volé pendant la seconde guerre mondiale 250.000 dollars en lingots d’or à l’armée américaine avec trois complices. Doublés par Charles, ces derniers suspectent la veuve d’être de mèche et la somment sous la menace de rendre le magot. Peter Joshua, qui possède l’élégance de Cary Grant, la protège de leurs manigances, tandis qu’un certain Bartholomew (Walter Matthau), soi-disant agent de la CIA, l’avertit du danger qu’elle court.

Stanley Donen conjuge ici un humour macabre (les morts en pyjama) avec un état d’esprit non-sensique (la confusion entre la CIA et le CIO), se reposant sur l’abattage de ses interprètes quand le scénario menace de se répéter (Cary Grant faisant le zouave sous la douche, Audrey Hepburn distillant son charme irrésistible). Grant avait refusé de jouer face à Audrey Hepburn dans Ariane (1957) en faisant valoir leur différence d’âge. Cette dernière est encore plus visible ici, où la raie impeccable de l’interprète se teinte d’une nuance blanche, mais les excellents dialogues entre Regina et Peter intègrent habilement cette problématique afin de prévenir les critiques du spectateur (pas autant que dans Ariane cependant, film supérieur où Billy Wilder en avait fait le sujet même du récit). Le film ne se contente pas de cette seule mise en abyme et inclut des références directes à la carrière de ses protagonistes (Grant chantant sous la douche comme Gene Kelly chantant sous la pluie, pour ce qui concerne Donen ; Grant courant à la manière de son personnage de La Mort aux trousses ou se battant sur les toits comme dans La Main au collet d’Hitchcock ; Hepburn résidant « on the street where you live », pareille à My Fair Lady de Cukor qu’elle tournera l’année suivante, ce qui accentue d’ailleurs l’absurdité de la référence). Si l’on ajoute le caractère parodique de tout ce qui a trait au récit d’espionnage (Grant qui a trois identités, le faux espion que joue Matthau, le policier français moustachu et inefficace selon le cliché américain, le méchant de pacotille manchot comme Docteur No, le premier James Bond sorti l’année précédente dont le rôle avait d’ailleurs été offert à Grant, celui-ci raillant ici l’univers de l’agent secret qu’il faillit incarner), on se demande comment le film réussit à conserver charme et équilibre jusqu’au bout. Sans doute parce que Charade a conscience de ne pas se prendre au sérieux (contrairement à la série depuis longtemps essoufflée et grossie de sa propre importance des James Bond) et n’a pas d’autre prétention que de divertir le spectateur avec élégance et maitrise cinématographique, d’où l’envie du spectateur de se laisser faire avec indulgence.

Ce charme pérenne tient pour beaucoup aux regards tour à tour effarouchés, courroucés, stupéfaits, d’Audrey Hepburn, la seule actrice qui pouvait jouer en accordant la forme de ses immenses yeux au sentiment considéré, et de manière générale, à l’interprétation du film, servie par une galerie d’acteurs chevronnés s’en donnant à coeur joie (outre Grant et Hepburn, Walter Matthau, James Coburn, George Kennedy jouent leur partition sans crainte du ridicule). La brève mélancolie qui émane de la scène du début où Hepburn regarde son appartement désert ne trouve pas matière à se nourrir par la suite, mais Donen en recueillera la sève pour l’infuser dans Voyage à deux en 1967, qui raconte, toujours avec Audrey Hepburn, la crise existentielle d’un couple. D’aucuns ont comparé Charade à Hitchcock en raison de son mélange d’humour noir et de suspense, mais en réalité, on reconnait très bien la patte de Stanley Donen, qui s’appuie sur les couleurs vives de la photographie de Charles Lang pour créer un monde cinématographique fantaisiste fort éloigné de la réalité.

Strum

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26 commentaires pour Charade de Stanley Donen : quel rapport avec le CIO ?

  1. Goran dit :

    Audrey Hepburn je craque, j’ai d’ailleurs vu tous ses films…

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  2. Martin dit :

    Ah ! Moi aussi, j’aime m’éloigner de la réalité avec Audrey… et j’ai eu une forme de révélation le jour où j’ai réalisé qu’un Paris fantasmé est au coeur de beaucoup de ses films – Mademoiselle étant habillée par Givenchy, tout cela me paraît très cohérent.

    Merci d’avoir parlé de cette « Charade », Strum. J’ai désormais hâte de récupérer ma collection de DVDs pour voir ENFIN « Voyage à deux ».

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  3. Maux&Cris dit :

    Audrey Hepburn et Cary Grant, un duo gagnant !

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  4. Ronnie dit :

    Audrey Hepburn, trop ballerine à mon gout, sorry pas fan du tout.

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    • Strum dit :

      Ballerine ? Une ballerine est un corps sans visage, or chez Audrey Hepburn, on ne voit que ce visage casqué de noir aux yeux immenses, et pas son corps. D’ailleurs, Wilder, qui est celui qui l’a le mieux filmée, ne filme pas son corps, dont la minceur extrême est l’écueil de sa beauté.

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      • J.R. dit :

        J’avoue être un peu du côté de @Ronnie, j’ai mis longtemps à comprendre ce qu’on lui trouvait : j’aime bien Diamant sur Canapé, c’est à son image, la mélancolie la sauve de l’indifférence. Lorsque j’étais adolescent, je pensais qu’elle n’étais pas vraiment actrice, mais qu’elle était mannequin ou un truc du genre. Elle porte trop bien les accessoires de chez Dior. J’arrive à l’apprécier aujourd’hui mais sans plus, le personnage de Natacha Rostov lui va comme un gant.
        Sabrina de Billy Wilder, avec Audrey Hepburn également, est très bien au sujet des vieux messieurs et des très jeunes femmes.

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        • Strum dit :

          C’est dans Ariane de Wilder qu’elle est la plus belle et la plus émouvante je trouve. Elle a des yeux extraordinaires, des yeux qui jouent pour elle. Quand je la vois, je ne regarde que ses yeux, et à vrai dire je me fiche des « accessoires » dont tu parles. Il n’y en n’a pas deux comme elle, c’est pour moi le critère déterminant. Même si ce n’est pas non plus mon actrice préférée (si je devais en avoir une, ce serait Gene Tierney).

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          • J.R. dit :

            Tu es un homme de goût, et j’apprécie ; )
            C’est vrai que moi, je n’aime pas trop les femmes mystérieuses, les femmes en porcelaine (ce n’est pas péjoratif), les femmes émouvantes… étant moi-même un incorrigible mélancolique et un sombre nostalgique : je préfère les garces : )
            (ceci n’est à prendre au premier degré)

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            • Strum dit :

              La pluralité dans les goûts pour les actrices n’est pas interdite ! Et puis, cela dépend des genres. Dans les films noirs, la femme fatale est reine et nous sommes ses sujets.

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  5. cabot dit :

    J’ai suivi en 2019 à la télé un cycle Audrey Hepburn . Charade est en effet une fantaisie, c’est le mot, d’espionnage, à ne pas prendre au sérieux mais très divertissant. Il y a presque un coté Blake Edwards avec ces méchants (George Kennedy extra) et cet aspect burlesque dans ces successions d’espions et cette course à l’héritage. Autre surprise de ce cycle, le nonchalant mais charmant « Comment voler un million de dollars » de Wiliam Wyler où le couple Audrey Hepburn-Peter O’Toole fonctionne à merveille aussi. Sabrina, bien sur, trés très bien, mais c’est Billy Wilder..of course. Par contre, je n’ai pas accroché à Funny Face de Donen.

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    • Strum dit :

      C’est vrai qu’il y a un côté Blake Edwards, je suis d’accord. J’aime moins Comment voler un million – je trouve que Peter O’Toole manque de charisme et, de mémoire, Wyler filme moins bien l’Audrey Hepburn des années 1960 en se concentrant sur son corps et non sur son visage.

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  6. Salut Strum, j’ai un post prévu d’ici quelques semaines sur le même film: j’aime beaucoup Charade, plus que Ariane (je n’aime pas trop les Wilder avec Audrey Hepburn, je trouve qu’elle est sous-employée). C’est une fantaisie comme tu le dis, il faut simplement se laisser emporter et, si on y parvient, c’est absolument délicieux.

    Effectivement, elle a pour partenaire celui que je considère comme le plus grand acteur de Hollywood de tout les temps et ce film est probablement le seul (que j’aie vu en tout cas) ou sa partenaire lui mange la soupe sur la tête. Un très beau film et un pur moment de bonheur, pour moi en tout cas.

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    • Strum dit :

      C’est vrai que c’est l’un des rares films où Cary Grant a le dessous, le signe que cette fois, il était bel et bien devenu trop âgé. D’ailleurs, c’est un de ses derniers films. Pour ma part, j’adore Ariane, et j’y trouve Audrey Hepburn merveilleusement employée. Moins Sabrina où on la voit moins.

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  7. oth67 dit :

    Audrey Hepburn, une grande dame du cinéma qui a illuminé de nombreux films.

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  8. J.R. dit :

    D’après sa fiche Wikipédia Cary Grant aurait écrit après le tournage de Charade :
    « Tout ce que je veux pour Noël, c’est un autre film avec Audrey Hepburn ! »
    La Classe!

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  9. Pascale dit :

    Malgré deux acteurs adorés, je trouve ce film fatigant et le burlesque volontaire finit par lui nuire.

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    • Strum dit :

      Pour moi, c’est l’inverse qui est advenu : la fantaisie m’a un peu rebuté au départ, mais le film a le mérite de tenir ce ton particulier jusqu’au bout grâce notamment à la qualité des dialogues. Là où je te rejoins, c’est qu’on reste loin des grandes comédies américaines classiques.

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