Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu : puzzle et formes

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Les Siffleurs (2020) est un polar post-moderne où c’est d’abord la structure du récit qui importe aux yeux de Corneliu Porumboiu. Il le déconstruit, comme on étale les pièces d’un puzzle devant soi, pour ensuite le recomposer par blocs, brisant la chronologie des évènements, insérant parfois inutilement – pourquoi Psychose ? – des références à d’autres films comme pour mieux s’assurer de la réalité du genre qu’il aborde. A charge ensuite pour le spectateur de reconstituer les pièces éparpillées. Quelle image d’ensemble montre la boite du puzzle ? Celle d’un monde froid, peuplé d’êtres froids ne donnant jamais à voir qui ils sont réellement, froideur qui se retrouve dans les ciels gris de Bucarest, dans l’architecture muette de la ville, dans le visage immobile de Cristi (Vlad Ivanov), un policier roumain corrompu qui joue au jeu du chat et de la souris avec ses collègues et les criminels de la bande qui le soudoie. Chacun joue ici son propre jeu et l’on ne peut se fier à personne.

Un membre de la bande ayant été arrêté, la pègre conçoit un plan pour le délivrer, où sera utilisé le langage sifflé des anciens Ganches des archipels des Canaries, que Cristi apprend à La Gomera. Quoi de mieux pour communiquer des informations, mais aussi pour masquer ses sentiments, qu’une langue héritée d’un peuple autochtone disparu ? Ce qui semble aussi avoir disparu dans ce film aux personnages si peu expressifs, peut-être parce qu’ils cachent des meurtrissures passées, c’est la chaleur humaine, la confiance dans l’avenir. A moins que ce ne soit la tendresse et l’amour, que le film essaierait justement de faire resurgir dans un paysage mental dévasté. Un seul personnage incarne cette promesse d’amour : Gilda (Catrinel Marlon), une femme en rouge, que l’on croit à tort au départ être la femme fatale habituelle des films noirs, dont elle possède la silhouette et le prénom hayworthien. C’est elle qui sauve in extremis le film de la calcification, d’une transformation irrémédiable en une forme asséchée, semblable aux roches volcaniques tordues de La Gomera. Quand elle n’est pas là, et que l’on regarde ces images froides, ces visages creusés, le seul recours est de se raccrocher à la bande son bien choisie, où se sont réfugiés les sentiments.

Dès lors, peu importe au spectateur de démêler les pièces du puzzle posées devant lui – les puzzles, il les laisse au Bartlebooth de Pérec, qui en a le temps – ou de savoir qui de la police ou de la pègre réussira son coup. Ce qui lui importe, c’est de savoir si Cristi et Gilda se retrouveront. A cette aune, les efforts de déconstruction du récit apparaissent pour ce qu’ils sont : vains.

Strum

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9 commentaires pour Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu : puzzle et formes

  1. Ronnie dit :

    Le langage sifflé, Joe Dassin l’avait déjà mis à l’honneur sur la colline, si je ne m’abuse…
    Exit …. 😉

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  2. Pascale dit :

    Entièrement d’accord avec toi et je comprends que tu aies peu à dire sur ce film fumeux qui se la raconte sans se préoccuper du spectateur perdu… La BA m’avait beaucoup plu. Pour une fois l’histoire ne nous était pas racontée en 2mn30. Je me demande si même en mettant le film dans l’ordre il serait clair.
    Heureusement il reste la musique et cette actrice divine et EXCELLENTE. Grand mérite pour elle de jouer face à ces faces de carême !

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  3. dasola dit :

    Bonjour Strum, je suis contente, je ne suis pas toute seule à ne rien avoir compris à l’histoire. J’ai noté qu’il y avait beaucoup de musique classique (casta diva et les contes d’Hoffmann). Ca passe de Roumanie aux Canaries, on ne sait pas comment ni quand. Cela se termine à Singapour mais à part ça, oui l’actrice est jolie. Bonne journée.

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    • Strum dit :

      Bonjour dasola, au final, il me semble que l’on parvient à reconstituer le puzzle, mais c’est la musique qui assure la continuité ainsi que la relation Cristi-Gilda. Merci et bonne journée également.

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  4. Jean-Sylvain Cabot dit :

    Un exercice de style vain. Rien compris à l’histoire. Lisse et glacé. On se désintéresse rapidement des personnages. Et ce final à Singapour où comment dépenser l’argent pour rien…Bref, une grosse déception.

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