L’Ombre d’un doute d’Alfred Hitchcock : perspectives

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Ouverture : des couples aisés dansent au son de La Veuve Joyeuse de Franz Lehar ; images bienheureuses que suivent deux plans : des mendiants écrasés par la perspective d’un grand pont, de vieux pneus agonisant à ciel ouvert. La discontinuité n’est qu’apparente : les images du bal dissimulent une autre réalité, les bas-fonds du monde, ses profondeurs où gisent des décharges. Cut : Charlie (Joseph Cotten) médite dans son lit, comme si ces images de bal masquant les images de décharge étaient ce à quoi il pensait. L’ombre des persiennes fait comme un grillage sur son visage, à moins qu’il ne s’agisse de la lumière et de l’ombre qui se disputent ses pensées. Défiant la police qui épie ses gestes, Charlie sort avec crânerie dans la rue. Les policiers le suivent et Hitchcock filme leur course-poursuite du haut d’un immeuble abandonné. Ce cadrage soudain pris du ciel va-t-il nous révéler d’autres secrets sur le monde et en particulier celui de Charlie ? Au cinéma, plus encore que dans la vie, tout est affaire de perspectives.

Pour échapper à ses poursuivants, Charlie rend visite à sa soeur Emma à Santa Rosa en Californie, et la réalité du monde semble alors changer. A Santa Rosa, règnent le bonheur et l’insouciance. Les policiers sourient, les filles ont des roses dans les cheveux et lisent Ivanhoe de Walter Scott. C’est le monde enchanté du bal du premier plan. Mais dans ce monde, une jeune fille doute, qui médite aussi dans son lit ; elle s’appelle Charlie (Teresa Wright), comme son oncle. Par l’équivalence des images et des prénoms, Hitchcock nous révèle qu’elle pourrait être de la même eau que son oncle, qu’elle aussi pourrait remettre en question l’ordre apparent et policé du monde. Que lui réserve l’avenir ? Pensant à sa mère, elle se demande : « diner, vaisselle, et puis au lit, comment peut-on supporter une telle vie, quelle corrélation y a-t-il entre cette vie automatique et la question de la réalité de l’âme » qui devrait préoccuper tout un chacun ? Son visage s’illumine soudain : un seul être peut la sauver : son oncle Charlie. Radieuse, elle descend l’escalier et l’on est frappé lorsqu’elle arrive en bas de revoir cette lumière grillagée qui découpe des espaces dans le plan et que l’on a vue au début dans la chambre d’Oncle Charlie. Sa nièce Charlie porte donc en elle ce même mélange d’ombre et de lumières et elle en contamine l’espace, car elle règne sur cette famille ordinaire d’une ville américaine ordinaire. La caméra le sait qui la suit, épousant ses mouvements, pivotant sur son axe dans sa chambre pour la regarder prendre un manteau, s’arrêtant quand elle s’immobilise, reprenant sa marche quand elle fait de même. Mais bien sûr, c’est surtout l’Oncle Charlie que l’ombre accompagne, ainsi lorsque son train arrive en gare et qu’une menaçante colonne de fumée lui sert de cortège, comme un relent d’expressionnisme se dissolvant dans la réalité américaine. « C’est le diable qui entre en ville » commentait Truffaut dans le Hitchbook – d’autres ont vu dans l’Oncle Charlie une réminiscence vampirique.

On aura reconnu les dix premières minutes de L’Ombre d’un doute (1943). Dans ce bref espace de temps, tout a déjà été dit par la caméra d’Hitchcock, qui sème des images comme on égrène des pensées. Ses images pensent toujours, elles pensent le monde dont elles donnent une représentation qui révèle la vision qu’il s’en fait. L’Oncle Charlie vient au moment où Charlie le désirait, comme répondant à un appel télépathique. Le spectateur sait qu’il fuit en réalité la police, mais Charlie peut entretenir l’illusion qu’ils ont un lien spécial et la mise en scène suggérer par le découpage et la lumière le caractère extra-ordinaire du personnage. Parce qu’ils se ressemblent, la nièce a deviné que l’oncle cachait un mystère. Mais elle le croit magnifique alors qu’il est effroyable. Elle croit qu’ils sont « jumeaux », mais même les jumeaux peuvent avoir des secrets l’un pour l’autre. Ce secret, le spectateur le devine bien vite, mis dans la confidence par Hitchcock conformément à sa définition du suspense : ce dernier naît de l’attente de ce qui va advenir, présuppose que l’on sache par avance ce que le protagoniste principal ne sait pas encore. Ce suspense, quel est-il dans L’Ombre d’un doute ? Non pas de savoir si l’oncle assassin va se faire arrêter par la police mais de déterminer qui de l’Oncle Charlie ou de sa nièce va l’emporter dans la lutte de volontés qu’ils se livrent à partir de l’instant où Charlie perce son secret, à partir du moment où la fascination initiale et quasi-incestueuse de Charlie pour son oncle cède la place à un sentiment diffus où se mélangent la terreur, la haine, et un reliquat d’amour selon Hitchcock.

D’emblée, le film les a donnés comme différents des autres, méditant et conspirant contre le monde. Mais l’oncle Charlie est passé de l’autre côté du miroir sans espoir de retour, dans l’envers du monde où tout est permis, où parce qu’il s’estime supérieur il peut assassiner de vieilles veuves soi-disant inutiles et grasses de leur argent, comme Raskolnikov assassinant l’usurière dans Crimes et Châtiment (et la comparaison avec Dostoïevski s’arrête là car il n’y a pas de rédemption possible pour l’Oncle Charlie). Ces veuves qui « dévorent leur argent » pareilles à des parasites hantant la société, sont-elles même des « êtres humains », murmure l’Oncle Charlie, en plantant à la fin du plan son regard froid dans l’oeil de la caméra ? Dans une scène saisissante, il entraîne sa nièce dans un tripot de Santa Rosa, et pour la première fois, le spectateur réalise que le monde des bas-fonds d’Oncle Charlie se situe juste à côté du monde rose et doucereux de sa nièce. Il a suffit de quelques pas, il a suffi de tourner à l’angle d’une rue d’une ville américaine moyenne et de pousser une porte pour arriver ailleurs, comme si Hitchcock anticipait là les films de David Lynch, où le monde inversé de l’anormalité se trouve juste sous la surface du monde réglé. L’Ombre d’un doute a été filmé en grande partie en extérieurs, dans les décors véritables de la ville, suscitant un sentiment de réalisme rare chez Hitchcock qui préférait les studios, lui permettant d’opposer ce monde radieux de surface et la menace insidieuse d’un autre monde, d’une autre réalité inconnue des bienheureux. En 1943, alors que la guerre fait rage en Europe, ce ne peut être tout à fait innocent. C’est dans cette scène du tripot où nièce et oncle se font face que ce dernier lance cette sentence, aussi fameuse qu’irrévocable : « le monde est une porcherie ». Les veuves dévorent peut-être leur argent, mais lui est dévoré par la haine, qui nourrit ses pulsions homicides comme s’il tuait au nom d’une cause (dans le Hitchbook, Hitchcock a cette étrange formule : « c’est un assassin idéaliste »). Du reste, il ne prend plus nulle précaution pour dissimuler cette haine qui a fini par mettre des policiers sur sa trace, et c’est sa maladresse qui éveille le soupçon de sa nièce.

Charlie avait beau se croire sa jumelle, elle n’en est pas là, elle n’a pas été contaminée par cette haine qui le consume car ses méditations n’étaient qu’abstraites, ressemblant plus à l’ange qu’au démon jusqu’à présent, ayant de surcroît toujours vécu au sein du cocon des maisons ombragées et fleuries de Santa Rosa. Et puis, une autre figure surgit dans sa vie qui pourrait servir de contre-modèle à son Oncle Charlie : Jack (Macdonald Carey), ce jeune policier aux manières aimables. De manière symptomatique, lui aussi essaie de conquérir la jeune Charlie par ces mots : vous et moi, nous sommes les mêmes, tous deux issus d’une famille « moyenne ». Il essaie de créer un autre rapport de gémellité qui pourrait concurrencer celui de Charlie avec son oncle. Mais ce « même » n’a pas la même valeur que celui utilisé par l’Oncle Charlie, qui voulait dire que lui et sa nièce étaient justement « extra-ordinaire », échappant au commun. Ce « même » est celui de l’Americain way of life dont parle Hitchcock dans ce film, le premier de sa période américaine dont il situe l’action aux Etats-Unis même : le mythe de la gémellité, le fantasme du « même », qui voudrait par l’entremise du melting pot que tous deviennent identiques, sujets aux mêmes désirs, fidèles aux mêmes croyances, égaux face au destin et au bonheur. C’est ce « même », hypocrite à la lumière de la réalité de « l’autre monde », que l’Oncle Charlie déteste et dans plus d’un plan du film, par la manière dont il le filme, on devine qu’Hitchcock éprouve une certaine compréhension, voire une coupable sympathie, pour son personnage d’assassin. Personnage diffracté d’ailleurs, qui n’est pas uniformément noir pour Hitchcock : ne rend-il pas sa soeur Emma (excellente Patricia Collinge) heureuse aux larmes, n’est-il pas pour elle – qui ne sait pas qui il est réellement – une cause de fierté, justement parce qu’il n’est pas « ordinaire », ne fait-il pas le bonheur de la communauté de Santa Rosa par ses dons aux associations caritatives de la ville ? Toujours cette ambiguïté hitchcockienne, qui se révèle un peu plus encore dans la formidable scène finale. Hitchcock considérait L’Ombre d’un doute comme son film favori. On sait qu’il ne faut pas toujours faire confiance aux metteurs en scène parlant de leur oeuvre, mais cela corrobore certainement l’impression d’être en présence de l’un des films majeurs d’Hitchcock. Joseph Cotten et Teresa Wright sont remarquables.

Strum

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29 commentaires pour L’Ombre d’un doute d’Alfred Hitchcock : perspectives

  1. florence de la patelliere dit :

    Remarquable article! Merci.

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  2. J.R. dit :

    « le mythe de la gémellité, le fantasme du « même », qui voudrait par l’entremise du melting pot que tous deviennent identiques, sujets aux mêmes désirs, fidèles aux mêmes croyances, égaux face au destin et au bonheur » : mais c’est la mondialisation heureuse que nous décris là : )
    Lorsque tu évoque pour la première fois la petite ville, j’ai immédiatement pensé à Davis Lynch, mais comme personne ne peut te doubler, tu fais également le lien quelques lignes après.
    Je me rappelle avoir découvert le film en 1993 au Ciné-Club – le vrai – de Claude-Jean Philippe, lors d’un mini-cycle autour de l’année 1943, avec ce programme : Jour de colère de Carl Th. Dreyer (1943), L’ombre d’un doute d’Alfred Hitchcock (1943), Le corbeau d’Henri-Georges Clouzot (1943). Une année sombre. Rebecca est mon Hitchcock préféré (je suis un excentrique), mais celui-ci vient sûrement après Vertigo, Rear Window, The Wrong Man, The Birds… eh mince, ce type est un génie!

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    • Strum dit :

      C’est la marque des grands réalisateurs : même morts, ils ont quelque chose à dire sur notre époque. Sacré programme dis donc au Ciné-Club. Trois grands films. Oui, un génie Hitchcock, et l’un de mes réalisateurs préférés. Mon préféré reste La Mort aux trousses, que j’ai dû voir dix fois, mais surtout pour des raisons sentimentales, et il y en a beaucoup, beaucoup d’autres que j’adore.

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  3. J. R. dit :

    Celui-ci je l’aime aussi, je l’ai vu également dix fois, au moins, mais j’ai dû voir au moins dix fois, dix films d’Hitchcock : )
    T’as bien raison de souligner la performance du duo d’acteurs.

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  4. Pascale dit :

    Comment fais tu pour décortiquer ainsi ?
    Tu regardes le film un stylo à la main ? 🙂
    J’adore ce film comme à peu près tous les Hitchcock, mais tu m’ouvres de nouveaux horizons et envie de le décortiquer à mon tour.
    J’ADORE Joseph Cotten avec son air de pas y toucher.

    Ivanohe. J’ai un problème avec les h, je ne sais jamais où les mettre mais j’aurais écrit Ivanhoe.

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    • Strum dit :

      J’enregistre mentalement. Pour Hitchcock, c’est facile car j’ai déjà vu plusieurs fois tous ses grands films. Mais quand je regarde un film chez moi, je peux aussi noter des idées durant le visionnage. Joseph Cotten n’a jamais été aussi bon qu’ici à mon avis. Il est fantastique. En effet, Ivanhoe, merci !

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  5. Martin dit :

    Je ne suis pas loin de partager l’avis de Hitch. En tout cas, ce film est l’un de mes préférés du réalisateur. Je retiens notamment les plans (jumeaux) de l’oncle Charlie en haut de l’escalier qui regarde sa nièce Charlie en bas de l’escalier. Et inversement.

    Teresa et Joseph sont remarquables. Et maintenant, j’ai envie de les revoir !

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    • Strum dit :

      Absolument, ces plans jumeaux sont géniaux, notamment celui où l’oncle Charlie remonte tout content l’escalier parce qu’on a arrêté le « coupable » et se retournant voit sa nièce qui le regarde d’en bas !

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  6. Très beau post Strum.

    C’est aussi l’un de mes films d’Hitchcock préférés, peut-être grâce aux tournages en extérieur que tu mentionnes (ce qui donne un aspect réaliste à l’histoire, plus que dans ses autres films), peut-être grâce à Jospeh Cotten qui est complètement incroyable (dans le rôle du gars très méchant mais qui donne vraiment l’impression d’être très gentil), en tout ca, même si Hitchcock n’est pas mon réalisateur préféré, ce film là est vraiment un très très grand film.

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    • Strum dit :

      Merci ! Oui, Joseph Cotten est vraiment formidable. Hitchcock a fait tellement de grands films. Sinon, je le crois plus à son aise dans un environnement qui dévie un peu de la réalité, ce qui, malgré les extérieurs, est le cas finalement de L’Ombre d’un doute avec ses jeux de lumières. Le Faux coupable par exemple, qui est le film le plus réaliste d’Hitchcock, c’est beaucoup moins bien.

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      • J.R. dit :

        Je ne suis pas d’accord concernant Faux Coupable. Les cinéphiles étant habitués au « maniérisme » du réalisateur, découvre avec ce film un « réalisme inquiétant ». Les objets ne sembles plus objectivés lorsque Vera Miles sombre dans la folie. Une folie beaucoup plus saisissante que , par exemple, celle de Scottie dans Vertigo. Sueurs froides est un film abstrait, qui repose sur un postulat invraisemblable : le plan élaboré par Gavin Elster repose sur un nombre considérable de conditions, réunies par l’opération du Saint Esprit. Certes Faux Coupable est de ce point de vue un film réaliste, mais qui annonce le passage chez l’oncle Alfred du suspense abstrait vers l’angoisse métaphysique des Oiseaux, de Marnie, de Frenzy et de Psychose (qui m’impressionne beaucoup par sa virtuosité narrative, et m’agace en même temps, à cause de sa psychologie de bazar, qui frôle plus d’une fois le ridicule – dans les mains d’un autre le film aurait un insupportable navet; à la limite sauvé par un De Palma, ou un Dario Argento)

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        • Strum dit :

          Ce que tu dis du Faux Coupable, avec cette idée de passage vers l’angoisse métaphysique des Oiseaux etc. est intéressant. J’avais été très déçu par Le Faux Coupable quand je l’avais vu car j’avais eu l’impression de ne pas reconnaitre la patte d’Hitchcock dans la mise en scène – sobre, grise, silencieuse, de mémoire. Mais bon, c’était il y a 20 ans… Il faudrait que je le revois.

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          • Valfabert dit :

            Dans « Faux coupable « , Hitchcock met notamment en relief la question du faux témoignage, qui lui tient à coeur. Le choix de l’atmosphère réaliste au détriment du suspens contribue à cela. La fragilité du témoignage humain apparaît d’autant plus que les témoins sont sincères et ne sont pas animés de noirs desseins.

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  7. ideyvonne dit :

    Après avoir lu ça, on n’a qu’une envie : revoir le film !
    Je crois qu’il est encore en replay sur ciné classique 😉

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  8. J. R. dit :

    @Valfabert : Très bonne remarque, concernant Le Faux Coupable. Mais s’il y a bien un « faux » témoignage célèbre chez Hitchcock c’est dans Vertigo, qui aurait pu s’appeler : Le Faux témoin.

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    • Valfabert dit :

      Merci. Il est vrai que « Vertigo », centré sur un personnage de faux témoin, aurait pu avoir un tel titre. La question y est abordée de manière très originale, puisque la perception des choses qui est celle du témoin est alors l’objet d’une manipulation effectuée à son insu.
      On trouve chez Hitchcock plusieurs types de « faux témoignages ». Dans « Vertigo », le témoignage est faux parce que le témoin est manipulé ; dans « Le faux coupable », parce que les témoins sont peu rigoureux et inconsciemment désireux de trouver un coupable ; enfin, dans « Frenzy », parce que le témoin est malveillant et accuse quelqu’un à tort délibérément.
      Hitchcock ne croit guère aux capacités des institutions policière et judiciaire, souvent tournées en dérision, à saisir les choses par leurs investigations. Tout se joue donc pour lui au niveau du témoignage personnel, dont il se méfie par ailleurs puisque ce dernier dépend de l’exigence de justesse intérieure du témoin quant à la perception, au jugement et aux intentions. Pas de vraie justice sans justesse, en définitive.

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      • Strum dit :

        Faux Témoin comme dit J.R. ou alors Témoin Manipulé. En tout cas : Vrai Malade ou Fausse Morte (du moins au début). Vous m’avez tous les deux donné envie de revoir Le Faux coupable en tout cas…

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        • Valfabert dit :

          Ce n’est pas le titre éventuel qui compte, c’est le thème. Mais, comme vous faites allusion à la question des titres, on peut noter que le titre français est bien réducteur par rapport au titre original polysémique. « The wrong man » désigne en effet celui qui est considéré comme coupable par erreur, mais désigne aussi et surtout le mauvais homme, c’est-à-dire l’homme devenu mauvais aux yeux de ceux qui l’ont affublé du signe négatif de suspect principal. C’est ce signe négatif, en ce qu’il résulte d’une cristallisation fétichiste et se trouve ainsi doté d’une dimension métaphysique, qui intéresse Hitchcock. Il nous en fait saisir toute la viralité en montrant comment la fiction de culpabilité, par la pesanteur de ses effets bien réels, s’autonomise au point de contaminer l’esprit de la femme du suspect qui, finissant par se croire elle-même coupable, sombre dans une sorte de folie.

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          • Strum dit :

            Certes, mais à charge pour le titre d’être en lien avec ledit thème. Pour revenir au Faux Coupable, je vois bien les intentions d’Hitchcock mais reste à savoir si la mise en scène les sert aussi bien que dans d’autres de ses films. Sinon, je ne suis pas certain, ou pas encore complètement convaincu, de la polysémie du titre telle que vous l’exposez ; en anglais, « wrong man » désigne un homme injustement accusé, non un mauvais homme (= « bad man » ou « bad person »). La polysémie aurait été peut-être plus appuyée si le titre avait été « The Wrong Person » – « la personne qui n’est pas faite pour le job ». Mais même là, il n’y aurait pas vraiment eu d’idée de mal au sens métaphysique du terme dans l’adjectif « wrong » tel qu’associé à une personne. Mais cela mérite néanmoins réflexion et je ne suis pas en mesure de discuter pleinement du film encore une fois, ne l’ayant pas vu depuis très longtemps ; j’en resterai donc là sur ce sujet pour le moment.

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            • Valfabert dit :

              Il est certain que l’expression « the wrong man » ne signifie pas la même chose que « the bad man ». Je n’évoquais pas l’expression, mais le titre lui-même, dont le second sens possible, auquel on ne peut effectivement songer qu’à travers le film, suppose une certaine licence de langage (« wrong », pris isolément, pouvant signifier « morally bad »). Mais la polysémie, ici, reste une hypothèse que l’on peut tout-à-fait discuter. Même chose pour le titre « Vertigo », qui, au regard du film, me paraît avoir un double sens, moyennant le même type de licence.
              Concernant la mise en scène du « Faux coupable », elle ne m’avait pas convaincu la première fois, mais j’ai fini par apprivoiser ce rythme lent (rompu parfois, comme lors de la scène très découpée du bouclage de Fonda dans sa cellule), ce parti pris réaliste (avec un regard de documentaire, inhabituel chez Hitchcock, porté sur les lieux) et cette absence de suspens. Le jeu assez monolithique d’Henry Fonda peut décevoir, mais il correspond bien à la situation vécue par le personnage. Le plan serré sur le chapelet et la scène suggérant un miracle, quant à eux, n’introduisent pas une tonalité religieuse dans le propos, à mon sens ; ils constituent plutôt une métaphore indiquant l’absence de solutions humaines, ce qui est une manière de dire que la voie où se trouve engagé Fonda est sans issue.
              Toutefois, il faut bien voir que c’est là un film secondaire du maître, donc pas l’un de ceux qui suscitaient la jubilation de Jean Douchet, grand hitchcockien, disparu hier.

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  9. Benjamin dit :

    Il est excellent ton article. Et c’est vrai que Soupçons, comme pas mal d’Hitchcock en fait, appelle à l’analyse. Les images y ont toutes un sens. Le récit truffé de passerelles, d’analogies et de parallèles possibles. L’angle que tu adoptes, celui d’un point de vue sur l’American way of life, la société américaine et ses aspirations, la réalité américaine et ce que peut recouvrir le terme, est particulièrement intéressant à lire.

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    • Strum dit :

      Merci Benjamin ! On pourrait parler pendant des heures des films d’Hitchcock en effet. J’ai l’impression d’avoir juste gratté la surface de l’Ombre d’un doute. Quant à lire tout ce qui a été écrit sur lui, c’est impossible.

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