Regain de Marcel Pagnol : Giono qui chante, Fernandel qui parle

regain

Avec Regain (1937), Marcel Pagnol, qui a déjà adapté ses propres pièces, s’attèle à plus forte partie : rendre à nouveau compte (après Angèle en 1934) de la langue chantante de Jean Giono, l’un des plus grands écrivains français. Regain est un roman du Giono d’avant-guerre, encore plein de candeur malgré le traumatisme de la première guerre mondiale, qui disait la fécondité de la terre sans trop (sans assez peut-être) se soucier de la récupération politique que d’aucuns pourraient en faire, que d’aucuns en feraient sous Vichy. Il gardera le tragique et le génie pour ses grands romans d’après-guerre, une fois dégrisé. Regain raconte, dans une langue panthéiste, comment un village de Haute-Provence menacé de disparition renaît grâce à une rencontre entre son dernier habitant, Panturle (Gabriel Gabrio), et Arsule (Orane Demazis), une femme de mauvaise réputation, une rencontre favorisée par les éléments. C’est un conte placé sous le signe du Pan de la mythologie grecque, Giono opposant les manières simples de la campagne et le vice de la ville, la bonne charrue et la mauvaise technique, les forces élémentaires d’une nature sensuelle et la raison. Dans le livre, malgré ces oppositions schématiques, tout passe, tout fait conte, grâce à la langue de Giono. Dans le film, Pagnol mélange la trame tissée par Giono avec les accents d’un pays folkorique incarné par Fernandel qui, dans le rôle agrandi de Gédémus le rémouleur, personnage mineur dans le livre, est censé apporter à l’ensemble un peu de légèreté dans l’esprit de Pagnol.

Il en découle un certain déséquilibre dans la structure du récit, un mauvais goût parfois, ainsi lorsque Pagnol prétend rendre comique, en y introduisant les mimiques de Fernandel, la chute du viol collectif que vient de subir Arsule. Et puis, ni les plans de la lande nue mais lointaine à l’image, ni l’accent de Fernandel, ne peuvent rivaliser avec la langue chantante de Giono, d’autant plus que le prosaïsme de Pagnol lui fait exposer en dialogues explicites ce que Giono suggérait à demi-mot. Du reste, toute la première partie du film, qui raconte comment Gédémus rencontre Arsule, puis comment les deux atterrissent par hasard à Aubignane, le village de Panturle, où Arsule décide de demeurer avec cet hommes des pierres, semble hésiter entre plusieurs tons, plusieurs personnages, plusieurs histoires (voir l’intermède comique inutile avec Le Vigan en gendarme).

Cependant, dans la deuxième partie, une fois l’usant Fernandel enfin écarté, une fois que Pagnol renonce au folkore pour rejoindre Giono, le film émeut. Car ne reste plus alors que le beau récit, quasi-biblique par son sujet, d’un homme et une femme, l’homme qui veut faire renaître un village abandonné des cieux, la femme qui veut renaitre à une autre vie, qui ne ménagent pas leur peine pour dire non à la marche du temps (la marche du progrès, « divinité insatiable » disent Giono et Pagnol). Gabriel Gabrio et Oriane Demazis parviennent à faire vivre ce couple, auquel on croit. Et il y a aussi le personnage du père Gaubert, cet ancien du village qui ne veut pas mourir avant d’avoir toucher sur son lit de mort le blé que la terre autour d’Aubignane aura fécondé de nouveau. Quelques scènes poignantes en valent alors la peine – celle du partage du pain mais aussi toutes celles de Panturle et Ursule dans leur maison. D’autant plus qu’elles semblent appartenir à un temps très lointain (les films français des années 1930-1940 font parfois plus que leur âge, pas techniquement, mais dans ce qu’ils représentent, car les mutations de la société française après 1945, avec un exode rural tardif, ont été considérables), un temps où l’on croyait que l’agriculture française ne mourrait jamais, que la campagne, la culture paysanne, survivraient toujours. On n’en est plus si sûr aujourd’hui – amère euphémisme. Regain est l’un des trois films que Pagnol adapta de Giono.

Strum

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34 commentaires pour Regain de Marcel Pagnol : Giono qui chante, Fernandel qui parle

    • Strum dit :

      Tout à fait, même si pour ma part je n’ai pas trouvé Fernandel drôle.

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      • Rémi dit :

        C’est sa façon de dire « bestiasse » 🙂

        Ah si, un point sur lequel je ne suis pas d’accord : Giono n’a pas attendu la seconde guerre mondiale pour être génial. Du tout. 🙂

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        • Strum dit :

          Les romans de Giono d’avant-guerre sont certes magnifiques. 🙂 Mais après-guerre, une complexité nouvelle s’est ajoutée, dans la structure, les idées, et le style se met à atteindre des sommets, le tout produisant des livres indescriptibles, uniques, caractère indicible et unique qui est la marque du génie. Un roi sans divertissement, c’est à mes yeux un des plus grands livres de toute la littérature française.

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          • Lombard dit :

            Bonjour,
            Je suis passé tout à fait par hasard sur votre blog l’autre jour en cherchant des points de vue sur l’adaptation de Regain par Pagnol (je suis à ce sujet assez d’accord avec vous).
            En lisant les commentaires et leurs réponses, j’ai lu sous votre plume le plus grand bien d’Un Roi sans divertissement. Je me suis précipité sur ce livre que j’ai dévoré en deux jours. Je ne parlerai pas de l’écriture, évidemment excellente, mais pour ce qui concerne ce qu’il est convenu d’appeler « l’histoire », je suis resté sur ma faim : quelle déception fut pour moi la fin du roman et son absence totale d’explications ! Je n’aurais pas dû en attendre la chute d’un polar, mais tout de même…
            Pour reprendre votre expression, je place Regain et Le Chant du monde dans ma liste des « plus grands livres de la littérature française » (et, dans une moindre mesure, Un de Baumugnes), tandis que je n’avais que moyennement goûté Jean le bleu, Que ma joie demeure et Batailles dans la montagne.
            Bon, question de goût et de couleurs.
            Mais je serais curieux de savoir ce que vous avez tant apprécié dans Un Roi sans divertissement.
            Bien à vous,

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            • Strum dit :

              Bonjour à dire en quelques mots et puis je suis en vacances mais Un roi sans divertissement m’avait fait l’effet d’un livre d’une liberté absolue, le livre d’un génie qui peut écrire sans devoir respecter les règles narratives habituelles, laissant au lecteur le soin de démêler l’écheveau de l’intrigue, de comprendre la narration à plusieurs voix, de trouver le sujet du livre. Rien n’y est donné, tout est à prendre, on est dans la queue d’une comète qui vous éblouit. Mais ce n’est pas un livre facile, c’est sûr.

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              • Lombard dit :

                Merci pour votre réponse. En effet, les règles narratives habituelles ne sont pas « respectées » et le lecteur doit démêler… J’avais eu un peu la même impression avec Le Bruit et la fureur de William Faulkner. Sauf qu’ici, l’écriture m’a paru infiniment plus agréable que celle de Faulkner (dont je ne connais que la traduction).

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  1. Eeguab dit :

    Oui, les univers de Giono et Pagnol sont parfois contradictoires. Et puis le thème de la terre évidemment quelques années avant Vichy…Bref. Reste pour moi une vraie émotion de ce cinéma et de ces comédiens ancrés inoubliables, Delmont, Gabrio. Orane Demazis surprend toujours un peu, sa voix. Fernandel, tu l’as dit, accentue le côté comédie,pittoresque, dont tu m’apprends qu’il est très étoffé par rapport au livre que je n’ai pas lu.

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  2. J.R. dit :

     » Dans le film, Pagnol mélange la trame tissée par Giono avec les accents d’un pays folklorique incarné par Fernandel »
    Ta pointe de déception n’est-elle pas dû au fait que Pagnol ne cherche pas a adapter Giono, comme le ferait un auteur appliqué, qui s’effacerait derrière l’adaptation du livre – l’un de mes romans préférés. Pagnol cherche à faire du Pagnol, forçant un peu trop sa manière à travers Fernandel, dont le personnage comique et cruel, est plus intéressant qu’il ne paraît de prime abord (j’avais été, aussi, particulièrement choqué par le traitement anodin du viol collectif). Mais certes, les plus beaux moments du film (les derniers plans, véritablement sublimes!) sont ceux qui restent les plus fidèles à l’esprit de Giono. Malgré tout j’estime beaucoup, pour ma part, les trois films tirés de ses nouvelles, que je considère uniquement comme des œuvres de Pagnol – de même que Marius et Fanny ne sont pas pour moi des films de d’Alexander Korda et Marc Allegret, mais des films de Pagnol. Une autre adaptation de Regain serait possible, un chef d’œuvre certainement, mais il ne serait pas réalisé par un disciple de Pagnol (un Robert Guédiguian, pour faire simple) mais par un réalisateur plus naturaliste, plus lyrique (Pagnol est lyrique, il n’y a qu’à voir Manon des Sources, ou la fin de César, la merveilleuse scène de retrouvaille entre Fanny et Marius, mais c’est un lyrique discret – c’est un instituteur de campagne Pagnol, un Radical de gauche, pas un vrai paysan, il a d’ailleurs une vision assez sombre de la paysannerie). Je pense qu’il pourrait être adapté plutôt par un disciple de Kurosawa, par exemple, mais qui ne nous imposerait pas un film fleuve, car Regain est juste dans sa brièveté…

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    • Strum dit :

      J’ai l’avantage ou le défaut de bien me souvenir des livres que je lis et cela peut empiéter sur ma réception des films qui les adaptent. Bien sûr, c’est un film de Pagnol et non de Giono. Mais Fernandel m’a cassé les pieds dans le film, non seulement parce qu’il devient le héros de scènes soi-disant comiques, qui n’existent nullement dans le livre et ne sont pas dans son ton, mais surtout parce qu’il prend aussi du temps d’écran à la très belle histoire de Panture et Arsule, le vrai sujet et du livre et du film. Mais j’ai trouvé la deuxième partie très belle.

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      • J.R. dit :

        J’avais bien cru comprendre… c’était déjà très clair dans ta chronique.
        Là où je voulais en venir c’est que Pagnol n’était pas fait pour adapter de façon idéal la tragédie antique, le conte panthéiste, l’histoire de Penture et d’Arsule écrite par Giono…il a d’ailleurs dû se réconcilier avec lui pour le faire participer au scénario, et celui-ci cria de nouveau à la trahison. Et certes tu as raison de noter le côté hybride du film, mais peut-être ne serais-tu pas gêné par Fernandel si le film n’avait été que l’adaptation d’un roman médiocre, qui n’aurait servi que de canevas. Le génie de Giono pèse sur Regain, davantage que sur Angèle (là le tire de l’œuvre avait été justement changé, mais Fernandel, avait été également critiqué par les amoureux de Giono, alors qu’il était très bon dans ce film) ou que sur La Femme du Boulanger qui n’a vraiment plus rien à voir avec l’œuvre de Giono…. Et qui est le meilleur des trois, le chef d’oeuvre.

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        • Strum dit :

          Oui, je comprends ce que tu veux dire et dans ces histoires d’adaptation se pose toujours la question de savoir comment on aurait réagi si on n’avait pas lu le livre avant. Cependant, ici, je pense que l’envahissant personnage de Fernandel porte préjudice au film indépendamment de la question de l’adaptation. Je n’ai vu ni Angèle ni La Femme du boulanger, et je n’ai donc pas ton recul sur la question. Il faudra que je répare cela.

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      • princecranoir dit :

        Excellente analyse comme toujours, complétée d’échanges riches en annexe.
        J’ai vu Regain il y fort longtemps, j’en ai gardé le souvenir d’un Pagnol émouvant, mais pas beaucoup plus (ma mémoire défaille). En complément, je ne peux que conseiller l’exposition visible à Marseille jusqu’au 17/02 sur Giono.

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  3. Pascale dit :

    Ah tu donnes bien envie de le revoir.
    Je suis fan inconditionnelle D’Orane Demazis

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  4. Valfabert dit :

    Pour apprécier le film, il est souhaitable, comme le dit J.R., de l’envisager sans trop y voir l’adaptation véritable du texte de Giono. Il est d’ailleurs sans doute impossible de transposer à l’écran le ton singulier de l’immense Giono, surtout celui des romans « panthéistes » d’avant-guerre. Pour les romans du cycle du hussard, c’est déjà plus concevable. A cet égard, je rêve de voir un jour un cinéaste adapter « Angelo » sans en trahir la poésie et l’équilibre subtil, mais c’est certainement là un rêve utopique de ma part.
    Concernant le thème de l’opposition ville-campagne au cinéma, il était déjà présent dans les années 20, période où le processus d’urbanisation s’accélerait en Occident. Songeons à « Sunrise » et à « City girl » de Murnau.
    Quant à Fernandel, je suis bien d’accord avec vous, Strum (et le titre de votre chronique évoque très judicieusement ce problème). Le film aurait eu davantage de force si Pagnol avait moins joué la « carte » Fernandel. Ce choix laisse penser que Pagnol était peut-être plus un metteur en scène de théâtre que de cinéma.

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    • J.R. dit :

      Pour ma part je me demande bien ce qu’aurait été une adaptation, envisageable à cette époque, de Renoir, et surtout de Grémilllon. Il aurait accouché d’un tout autre film – sans Fernandel , je n’oserais pas critiquer Orane Demazis, qui même si elle ne joue pas bien, comme on dit, est vrai, chez Pagnol, et c’est bien là l’essentiel (Gabrio était quand même davantage destiné à incarner un mineur du Nord, qu’un paysan du pays)… plus je pense au film plus je me me dis que Pagnol est au sens littéraire un conteur chaleureux, humaniste et populiste, des qualités étrangères à Giono. On ne peux pas imaginer un personnage de Pagnol demander pardon à la terre.

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    • Strum dit :

      Le plus difficile à adapter chez Giono, c’est le style. C’est un des plus grands stylistes de la langue française. Et en même temps, tout a l’air de couler, sans effort. Une adaptation de Giono exempte de reproche serait utopique, c’est sûr. Nous sommes d’accord pour Fernandel. Ce qui me gêne dans ce choix, c’est que Fernandel n’appartient absolument pas au monde de Giono, par ses manières et ses mimiques. Il représente une distraction inutile retardant l’éclosion de l’histoire principale. Sinon, l’opposition ville-campagne ne date pas des années 30, c’est sûr, mais chez Murnau, elle a quelque chose de plus métaphorique et métaphysique que chez le Giono parfois un peu binaire des années 30. Cette opposition est très nette dans le Regain de Giono.

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      • Valfabert dit :

        En évoquant l’opposition ville-campagne au cinéma, je voulais indiquer que ce thème, dont relève en partie le film « Regain », s’inscrit dans un courant qui parcourt l’Occident à cette époque. Sans rien ôter à la singularité de Pagnol et de Giono au sein de ce courant. On sait qu’entre le milieu du 19ème siècle (révolution industrielle oblige) et le premier tiers du 20ème siècle, le centre de gravité des sociétés occidentales bascule du monde des campagnes vers le monde des villes et que cette mutation est perçue avec intensité par un certain nombre d’écrivains et de cinéastes. Chez Giono, cette opposition prend la forme de l’opposition entre la nature cosmique et la petite ville, où, déjà à cette échelle, règnent et se multiplient de façon virale les rivalités mimétiques de tous ordres, propres à éloigner les hommes de la conscience profonde selon laquelle la beauté du monde l’emporte sur sa noirceur, sans faire disparaître cette dernière, toutefois. C’est la vision, imprégnée d’Homère, d’un auteur qui se perçoit comme un survivant, ayant été mêlé aux opérations les plus meurtrières de la Grande guerre. C’est également la vision d’un lecteur de Stendhal, observateur avisé des effets ravageurs de la peur mimétique, cette contagion sourde dont on peut se prémunir par la contemplation de la nature.
        Par ailleurs, j’ai pris connaissance de vos articles relatifs à l’adaptation des oeuvres littéraires et j’apprécie les réflexions que vous nous livrez. Le principe des équivalences renvoie à la question des variantes et des variations, dont procèdent beaucoup de créations excellentes.

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        • Strum dit :

          Oui, c’était un thème d’époque, même si dans la littérature française, seul Giono, parmi les grands écrivains, l’a traité sur ce mode et avec cette insistance, étant précisé qu’en France, l’exode rural s’est fait beaucoup plus tardivement que dans les autres pays occidentaux. C’est après 1945, en fait, que tout s’est accéléré. Sinon, tout à fait d’accord pour souligner l’influence grecque et celle de Stendhal chez Giono, sachant en revanche que lui même n’a pas pu prendre connaissance des écrits de René Girard sur le désir mimétique chez Stendhal. 🙂 Merci pour votre mot sur mes articles relatifs aux adaptations. N’hésitez pas à venir en parler sous le texte adéquat.

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          • Valfabert dit :

            Giono n’a pas lu René Girard, naturellement, mais les grands écrivains n’en ont pas besoin. C’est Girard qui a eu besoin d’eux. Giono a donc su trouver chez Stendhal un écho de ses propres méditations sur le phénomène qu’analyse l’essayiste. On le constate dans son oeuvre. L’attitude de distanciation adoptée par Angelo pour éviter toute contagion morale ressemble beaucoup à celle de Fabrice del Dongo.

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            • Strum dit :

              Oui, Giono n’avait pas besoin de lire Girard bien sûr et en effet l’attitude de Fabrice trouve un écho dans celle d’Angelo. D’ailleurs, dans Le Bonheur fou et son écriture ultra-rapide, Giono accentue encore la parenté avec Stendhal.

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  5. princecranoir dit :

    « où l’on croyait que l’agriculture française ne mourrait jamais, où l’on croyait que la campagne, la culture paysanne, survivraient toujours. » voilà qui résonne rudement avec le récent film avec Canet qui dit douloureusement l’état de santé d’une bonne part de la paysannerie française.
    Je note Le Vigan inutile en gendarme, qui fait écho à ton allusion sur la récupération de cette » terre qui ne ment pas » par le Maréchal. Quant aux films français des années 30 qui font plus vieux que leur âge, j’aime bien l’idée mais elle est aisée à démentir. 😉

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    • Strum dit :

      Je suis un grand amateurs des films français, en particulier des années 30. L’idée que je défendais, que je n’ai pas développée, c’est que par rapport aux films américains notamment, le monde représenté par certains (pas tous) films français, des années 30, 40 et même 50 a l’air d’avoir considérablement changé par rapport à ce qu’il est aujourd’hui, ce qui révèle à mon avis les mutations considérables intervenues dans la société française après 1945. La France a été un pays rural plus longtemps que les autres pays occidentaux et l’exode rural a été plus tardif. Dans les années 1930, 45 à 50% des français vivent à la campagne. C’est énorme. Du coup, pour éviter toute ambiguïté, je vais préciser cette idée dans la parenthèse.

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  6. J.R. dit :

    Revu hier soir…
    Moi, ce qui m’a paru évident c’est le déséquilibre de la distribution. Édouard Delmont, Milly Mathis, Charles Balvette, et Henri Poupon sont magnifiques. Je trouve Fernandel très bon également, je n’ai pas trouvé son personnage aussi envahissant que toi : la séquence avec les gendarmes est peut-être trop longue, mais le Vigan est également très très bon. En revanche Orane Demazis et Gabriel Babrio sont juste sauvés par leur sincérité; force est de constater qu’elle n’est pas Dita Parlo et qu’il n’est pas Charles Vanel. Il est gauche et rend son personnage un peu niais, certes il n’a pas l’accent (Pierre Fresnay non plus n’avait pas l’accent dans Marius, et il était impeccable), mais il manque surtout de tout. Je suis d’origine piémontaise, et je trouve Marguerite Moreno dans le rôle de la Mamèche, grotesque. Elle imite un accent espagnol douteux, et ne sait même pas porter le foulard (qui aurait dû être court et noir). En définitive, les trois personnages les plus typique de Giono sont dominer par des figures typiques de Pagnol. Je suis aussi un enfant du pays, suffisamment pour me rendre compte que le film a été tourné dans les Bouches du Rhône et non du côté de Manosque. Aussi Fernandel prononce la ville de Sault en toutes lettres.
    J’insiste sur l’idée que Pagnol est un auteur truculent qui a besoin d’une multitude de personnages, alors que Gionio est dépouillé et rugueux. Giono qui a d’ailleurs réalisé un film : Crésus, avec Fernadel en 1960. Je l’ai vu il y a bien trop longtemps, et qu’une seule fois, pour ne pas bien m’en rappeler… l’ambiance n’était pas du tout Pagnolesque. Finalement le film de Pagnol que je trouve le plus proche de l’esprit de Gionio c’est Manon des Sources, qui emprunte son canevas à Collines.

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    • Strum dit :

      C’est bien ce que tu dis. Pagnol qui filme des personnages de Pagnol au lieu de filmer des personnages de Giono, c’est bien résumé mais je trouve quand même que c’est particulièrement vrai pour le personnage de Fernandel qui a un côté folkorique éloigné de Giono.

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    • J.R. dit :

      J’ai oublié d’évoquer la musique d’Arthur Honegger, assez remarquable… et le moment à mon sens le plus digne de Giono, lorsque Panturle découvre le soc de charrue caché sous le lit : l’outil a presque une dimension érotique, il y a quand même, aussi, quelques belles évocations de le terre. J’ai trouvé finalement le film plus fidèle au court roman que je ne le pensais, mais le souvenir du roman c’est un peu estompé dans mon esprit.

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      • Strum dit :

        Oui, la musique est bien. C’est plutôt fidèle quand Fernandel n’est pas là… mais malheureusement il est là souvent. Sinon, je ne trouve pas que la terre soit particulièrement bien filmée. Trois ans avant, Vidor filme beaucoup mieux la terre dans Notre Pain quotidien, grand film il faut dire.

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        • J.R. dit :

          Par évocation de la terre, je pensais à quelques paroles de Panturle, peut-être tirées du livre… Et en effet, même les beaux plans de la fin m’ont paru bien moins « sublimes » que dans mes souvenirs. Je place Regain un peu en dessous des plus belles réussites de Pagnol.

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