Le Chant du loup d’Antonin Baudry : l’oreille d’or

chant du loup

D’Antonin Baudry, on connaissait la formidable bande dessinée Quai Orsay (avec Christophe Blain). Il pourrait paraitre surprenant de le voir aujourd’hui à la tête d’une superproduction française relatant un affrontement fraternel entre deux sous-marins pour empêcher une guerre nucléaire. Pourtant, on pouvait déceler dans Quai d’Orsay, derrière les saillies humoristiques visant l’ancien Ministre des Affaires Etrangères Dominique de Villepin, une fascination non feinte pour le théâtre des opérations. Et pour cause : la diplomatie est l’art de prévenir les guerres.

Le Chant du loup imagine une situation internationale qui mène le monde au bord de la guerre nucléaire. Un groupe djihadiste a acquis un sous-marin nucléaire russe qui n’est officiellement plus en service mais reste opérationnel en vue de déclencher une guerre mondiale. Quand ledit sous-marin tire sur la France un missile susceptible de porter une ogive nucléaire, chacun interprète ce tir comme un acte de guerre devant entrainer une riposte nucléaire immédiate. Un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) reçoit l’instruction de tirer avant que l’Amiral commandant la force océanique et stratégique française ne se rende compte du piège tendu par les djihadistes (le missile tiré est en réalité vide) et ordonne à un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) de se lancer à la poursuite du SNLE. Au milieu de l’intrigue, une « oreille d’or » du nom de Chanteraide, soit un de ces sous-officiers chargés de l’identification des sons repérés par le sonar d’un sous-marin. François Civil l’incarne et porte le film sur ses épaules avec conviction. Le scénario lui attribue un itinéraire assez classique où il lui est donné, après un échec au début du film, de reconnaitre la signature visuelle du SNLE, empêchant le déclenchement de l’apocalypse. Classique également, le schéma dramatique du film réclamant le sacrifice de plusieurs parties prenantes au nom d’une idée plus grande qu’eux-mêmes qui remonte au moins à la tragédie grecque.

Les capacités auditives vraiment exceptionnelles de « l’oreille d’or », qui parait pouvoir entendre même le silence, posent la question de la vraisemblance du film, mais on se gardera bien d’y répondre. Quelques critiques peu scrupuleux s’improvisant experts en dissuasion nucléaire et marine nationale ont tenu à dire, parfois sur le ton de la dérision, que tout cela était invraisemblable (cliché critique assez stérile). En réalité, même si certaines scènes forcent le trait de la bravoure, ce n’est pas si sûr et c’est un des intérêts de ce film bien documenté que d’imaginer une situation de guerre-fiction contemporaine mettant aux prises la France avec la Russie et ses alliés en filmant l’arsenal de Brest et l’intérieur reconstitué en studio d’un SNLE et d’un SNA. En revanche, le récit possède plusieurs défauts d’un premier film, et en particulier le désir de traiter trop de matière à la fois. L’histoire d’amour entre François Civil et Paula Beer est inutile et donne lieu à plusieurs scènes maladroites. Les seconds rôles paraissent parfois insuffisamment écrits. Et si le film met en exergue l’importance des relations humaines, en particulier le lien entre le commandant et son oreille d’or, qu’il oppose à la rigidité des procédures militaires, certaines situations dramatiques ne sont pas toujours exploitées avec la précision nécessaire, notamment celle clé des capacités auditives de Chanteraide, don et malédiction à la fois, dont la résolution dramatique est survolée dans l’épilogue alors qu’il y avait là de quoi faire une scène très forte.

Mais à côté de ces faiblesses, on trouve aussi une bonne maitrise du découpage qui crée un suspense palpable dans plusieurs scènes et certaines idées de mise en scène intéressantes, ainsi ces appartements plongés systématiquement dans la pénombre comme si ces « hommes en mer » (selon l’expression d’Aristote en incipit du film) avaient l’impression de continuer à vivre à l’intérieur d’un sous-marin même à terre, et un traitement du son qui fait bien ressentir que dans la promiscuité de l’habitacle sous-marin surgit un monde de sons étranges. Tout cela donne envie d’être indulgent avec ce premier film qui occupe de surcroit un genre rarement exploité dans le cinéma français. Aux côtés de Civil, Matthieu Kassovitz et Reda Kateb sont bien, Omar Sy un peu moins à l’aise.

Strum

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8 commentaires pour Le Chant du loup d’Antonin Baudry : l’oreille d’or

  1. J.R. dit :

    J’ai eu la chance, pendant ma conscription – j’ai été l’un des derniers appelés de la Marine nationale – de passer quelques jours dans un SNA, pour tourner un film vidéo, d’après un scénario d’une rare indigence, écrit par un officier, bas du front, de l’armée française.
    J’avais été bluffé par ces fameuses oreilles d’or. Mais aussi le mode de vie particulier des sous-mariniers (une bannette pour deux, et la chasse d’eau qui était tiré une fois par jour seulement…si, si!). L’Oreille d’or était capable de reconnaître tous les bâtiments de guerre qu’il connaissait par leurs petits noms : tel bateau est un aviso russe, le Sokorov! ; )… c’est finalement pas si extraordinaire que ça, car il existe relativement peu de bâtiments de guerres. Il faut se rendre compte que les sous-marins ne naviguent pas à vue, et ça c’est très angoissant pour un visiteur. La lumière, si elle est tamisée ou pas, indique s’il fait nuit ou jour à l’extérieur… bref, j’ai dormi sous une torpille (la meilleure place du bateau après celle du commandant!) et ce fut une très belle expérience; qui m’invite peut-être à aller voir ce film (malgré la présence de Mathieu Kassovitz) que tu sembles quand même avoir apprécié. Et qui rends peut-être bien compte du quotidien particulier de ces marins.

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    • Strum dit :

      Oui, c’est pas mal, même si certaines scènes sont nettement en deçà du reste. Mais faire un film sur une oreille d’or était une bonne idée. Au vu de ton étonnante expérience, je pense effectivement que tu devrais le voir sans hésiter !

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  2. Ronnie dit :

    Une vague envie d’aller voir puis plus rien …..
    Je vais plutôt acheter un équipement réduit pour expérimenter en lavabo. 😉

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  3. Ni expert en dissuasion nucléaire, ni expert en marine nationale que nous sommes, il n’échappera à personne de grosses invraisemblances dont, la plus grossière à mes yeux, celle voyant un sous-marin menacé par des tirs qui remonte à la surface (!) pour rendre grâce à l’hélicoptère de combat qui le chassait…
    Malgré tout, le casting est bon et le film est documenté, ce qui dans le cinéma français actuel sont deux caractéristiques qui se font rares. En résumé, Le chant du loup est plus crédible dans ses phases immergées (même si les scènes d’intérieur sont des scènes de studio) qu’en position émergée
    Le genre est effectivement peu visité par les cinéastes français. As-tu vu Les maudits réalisé juste après la 2nde GM par René Clément ?

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    • Strum dit :

      Je visais en particulier François Forestier du Nouvel Obs dans ce commentaire et je faisais référence à la question de la vraisemblance des capacités auditives de l’oreille d’or. Plus généralement, le reproche de l’invraisemblance pour un film de genre ne m’a jamais beaucoup intéressé. Les films d’action ou de guerre sont par définition invraisemblables. Bon, c’est vrai que la scène que tu cites force le trait (cela va avec le genre) et que les scènes immergées sont meilleures. Oui, j’ai vu Les Maudits et j’en garde un bon souvenir, avec notamment cette atmosphère particulière où règne la fatalité, mais c’est un film fort différent du Chant du loup.

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  4. Pascale dit :

    Et bien dis donc pour ceux qui ne l’ont pas vu tu spoiles à mort. On apprend tardivement dans quelles mains est tombé le sous marin et encore plus tardivement que l’ogive est vide.
    J’ai vraiment beaucoup aimé ce film au suspense vraiment bien mené.
    Les 3 garçons sont formidables. Le 4eme Omar Sy est pas mal jusqu’à ce qu’on lui fasse lâcher une grosse vanne (interdiction pour lui d’être sérieux malgré son… sacrifice (on n’est pas à un spoilage près 🙂 ).
    La storiette d’amour est sans intérêt aucun et sans doute le plus invraisemblable de tout : rencontre et « conclusion » expresse.
    Mais franchement c’est du bon film. Une belle surprise.

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    • Strum dit :

      Je révèle le noeud de l’intrigue pour la bonne cause : pour dire que la situation de base imaginée par le film n’est pas si invraisemblable. Et tu as raison, les vraies scènes invraisemblables, ce sont celles de l’histoire d’amour. Je n’ai pas trouvé Omar Sy très crédible mais je pense que son rôle n’était pas très bien écrit, ce qui n’aide pas.

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