Django de Sergio Corbucci : d’entre les morts

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L’ouverture de Django (1966) de Sergio Corbucci est intrigante : un homme (Franco Nero) marche de dos dans une plaine boueuse en tirant un cercueil. La suite immédiate de ce « western spaghetti » rappelle par sa mise en intrigue Pour une poignée de dollars (1964) de Sergio Leone : l’homme arrive dans un village que se disputent deux factions, l’armée rebelle du général mexicain Hugo et une horde menée par le Major sudiste Jackson. Si Django n’était qu’une redite inavouable du film de Leone, ce ne serait que justice car ce dernier était lui-même un remake clandestin de Yojimbo (1961) d’Akira Kurosawa.

Cependant, bien vite, plusieurs éléments font sortir Django de l’égide de Pour une poignée de dollars. Thématiquement : contrairement à l’homme sans nom de Leone qui affiche au début son cynisme, Django est un justicier qui prend d’emblée parti en revendiquant une mission : il tue les fanatiques de la horde de Jackson « pour le bien commun ». Non pas que les mexicains soient ici sans peur et sans reproche, loin s’en faut : on compte plusieurs sadiques dans leurs rangs. Mais c’est d’abord au Major Jackson que Django en veut pour des raisons tant personnelles que morales voire politiques. Jackson est un illuminé, tuant les mexicains comme au tir aux pigeons, un ancien confédéré qui refuse la défaite du Sud dans la Guerre de Sécession et forme avec ses hommes une brigade ouvertement raciste aux cagoules rouges sur le modèle du Klu Klux Klan fondé en décembre 1865. « Ma guerre n’est pas finie » clame-t-il (et c’est peut-être ce genre de dialogues qui donna envie à Tarantino de prolonger le film à travers son récent Django Unchained car lui aussi croit que « la guerre n’est pas finie » avec les excès qu’on lui connait). A l’inverse, Django est un ancien soldat nordiste, comme l’atteste son pantalon bleu rayé, et sans doute faut-il voir là une réponse aux westerns américains faisant souvent d’anciens soldats confédérés des âmes solitaires sans se préoccuper davantage de leurs raisons. Stylistiquement : là où Leone dilate le temps par la longueur et la répétition de gros plans à l’intensité rehaussée par la musique opératique d’Ennio Morricone (ici imité sans le même impact par Luis Bacalov), à la recherche d’une plus grande forme, le style de Corbucci est plus abrupt, plus sec, plus fidèle à l’esprit d’une série B, et recherche davantage l’effet de surprise y compris par l’usage de zooms.

Jusqu’à ce que Django ouvre son mystérieux cercueil, le film possède une réelle tenue, une atmosphère d’outre-tombe, accentuée par une bande-son où hurlent les vents, pouvant faire imaginer que Django traine son propre cercueil et revient du pays des morts pour accomplir une vengeance (Clint Eastwood devait reprendre cette idée dans Pale Rider). Le pouvoir spirituel représenté par le Frère Jonathan s’est commis avec la horde de Jackson alors Django peut se l’approprier et renvoyer à Jackson son signe de croix. Les contraintes budgétaires du film, en limitant le nombre de figurants, participent de l’impression que nous entrons dans un village fantôme et la boue de la rue principale semble être d’un chemin menant aux enfers destiné aux âmes maudites qui hantent le film.

Après l’ouverture du cercueil, qui contient une prosaïque arme de mort, la suite du film est hélas plus conventionnelle, entre bagarre de bar, hold-up dans un fort se situant à la frontière americano-mexicaine (car toute cette histoire se passe dans cette zone incertaine), et violence souvent gratuite frayant avec le dolorisme (Django souffrira avant de l’emporter, puni à travers ses propres mains qui sont l’instrument de sa vengeance mais aussi des mains qui tuent), lequel culmine avec une idée qu’on peut trouver absurde : même avec les mains broyés, Django reste le tireur le plus rapide du film. D’où son surnom peut-être, par référence au guitariste de jazz manouche Django Reinhardt, virtuose auquel manquaient deux phalanges aux mains.

Strum

PS : La Cinémathèque française consacre une rétrospective au cinéaste italien Sergio Corbucci du 9 au 29 juillet 2018. Le programme est ici : rétrospective Corbucci.

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18 commentaires pour Django de Sergio Corbucci : d’entre les morts

  1. kawaikenji dit :

    Leone devenait fou quand quelqu’un utilisait le terme « western spaghetti » ! sinon merci de nous rappeler que Corbucci est peut être le meilleur cinéaste italien de tous les temps !

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  2. Martin dit :

    Je n’ai vu pour ma part que « Le grand silence » (que j’avais apprécié). Et j’espère un jour tomber sur ce « Django » au fil de mes pérégrinations cinéphiles. Quelque chose me dit que ça me plaira davantage que la relecture de Tarantino, mais cela reste à vérifier…

    Merci pour cette chronique, Strum.

    *** ATTENTION SPOILERS POSSIBLES ***
    Une question : pour ce qui est du retour d’entre les morts chez Eastwood, ne serait-ce pas plutôt suggéré dans « L’homme des hautes plaines » que dans « Pale rider » ?

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    • Strum dit :

      De rien Martin. J’aimerais bien voir Le Grand Silence. Pour le ‘d’entre les morts’ : c’est clairement suggéré dans Pale Rider (notamment quand on voit son dos nu criblé d’impacts de balles). Probablement aussi dans L’Hommes des hautes plaines, je te crois, mais je ne crois pas l’avoir vu (ou alors je ne m’en souviens plus)

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  3. Bonjour ! Pour répondre à votre commentaire laisse sur ma page FB, je vous conseille dans la même veine sombre, outre « Le grand silence » qui est un sommet, « Navajo Joe », « I crudeli » et même « Le Spécialiste » (en évitant la VF parce que la voix de Johnny parasite pas mal le film). Sinon, dans la veine plus décontractée, il y a deux indispensables « El mercenario » et « Companeros », et le difficilement visible dans de bonnes conditions « Mais qu’est-ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ». Bref… Il y a de quoi faire avec Corbucci et aller voir dans ses comédies, ses deux excellent peplums. le livre que j’ai écrit et qui vient de sortir peut être un bon guide 🙂

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  4. J.R. dit :

    « D’où son surnom peut-être, par référence au guitariste de jazz manouche Django Reinhardt, virtuose auquel manquaient deux phalanges aux mains. »
    Étonnant! Wikipedia rapporte une anecdote qui confirmerait cette référence.
    De Sergio Corbucci je n’ai vu que ses films avec le duo explosif Terence Hill et Bud Spencer. Salut l’ami Adieu le trésor, découvert enfant sur canal plus fut alors une véritable révélation, un régal de tous les instants… Je ne l’ai plus vu depuis – Pair et Impair m’avait encore davantage impressionné avec ses magnifiques paires de calques… Je m’égare, je crois.

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    • Strum dit :

      Dommage qu’il n’y ait pas eu une guitare dans le cercueil… j’aimais beaucoup les Bud Spencer-Terence Hill enfant également. Du coup, j’avais peut-être déjà vu un Corbucci sans même le savoir.

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  5. Je n’ai pas été au bout de ce Django. Je ne suis pas un amateur de « western italien » sauf des films de Sergio Leone, et encore, pas tous… Le seul film de Corbucci que j’ai apprécié est Le Grand Silence que l’on m’avait conseillé.

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  6. Pascale dit :

    Je l’avais vu au Festival Lumière en présence de Django (l’acteur). C’était assez émouvant.
    Du très bon et du moins bon dans le film mais effectivement il peut tirer sans les mains 🙂
    Si Corbucci t’intéresse un collègue blogueur y a consacré un ouvrage http://inisfree.hautetfort.com/archive/2018/05/19/sergio-corbucci-le-livre-6052886.html

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  7. Charlotte Mondelle dit :

    Je n’en reviens pas que ce film ait été réalisé en 1966. C’est vraiment un classique du cinéma italien. Pour tout vous dire, je n’ai jamais regardé un long-métrage des années 60. Maintenant c’est l’occasion d’en visionner un… j’espère que je vais l’apprécier.

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    • Strum dit :

      Dans les années 1960, le cinéma italien était l’un des meilleurs cinémas du monde (avec de formidables films de Fellini, Visconti, Risi, Comencini, Monicelli, etc., dont quelques-uns chroniqués sur ce blog).

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  8. Charlotte Mondelle dit :

    Ah, voilà qui est intéressant. Il faudrait que je me documente sur le cinéma italien des années 60. 🙂

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