Drive de Nicolas Winding Refn : violence et fantasme adolescent

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Quelques mots sur Drive (2011) de Nicolas Winding Refn qui vient d’être diffusé par Arte. Histoire d’un conducteur virtuose travaillant de nuit pour la pègre, Drive est comme le fantasme d’un adolescent se rêvant justicier romantique dans les rues de Los Angeles, d’où un travail sur l’image, le rythme et le son qui s’enracine dans le début des années 1980, celles de l’adolescence du réalisateur, de Driver de Walter Hill et du Solitaire de Michael Mann, la violence gore en plus. Son chauffeur (Ryan Gosling) tombe amoureux de sa voisine et devient son protecteur, pareil à un chevalier du temps de l’amour courtois, sauf que ce chevalier est un homme sans nom et mutique. La langueur qu’impose le rythme lent du film est celle du rêve, tout du moins dans sa première partie qui relève plus de la bluette que du film noir. Les zébrures de violence gore qui surgissent ensuite traduisent non seulement une accélération soudaine du rythme – celui du film, celui cardiaque du driver – mais aussi l’irruption de la violence du réel dans la vision candide du monde du driver. C’est que le réel terrorise le héros du film, faute pour lui de pouvoir le comprendre. A la violence du réel, il répond par un surcroit de violence, nourrie sans doute aux films d’horreur que semble affectionner Winding Refn. Cette violence, difficile à supporter pour le spectateur non prévenu (ce que mentionne rarement une critique officielle blasée) n’a pour seul mérite que de nous faire craindre le prochain meurtre. Si l’homme sans nom se tait et frappe, s’il semble presque asexué (l’absence de scène de sexe entre lui et sa voisine est symptomatique), c’est bien qu’il est un fantasme adolescent et que le film lui-même est comme une projection de sa vision du monde.

Drive est tout entier résumé dans la scène de l’ascenseur, où l’on passe sans crier gare du romantisme le plus naïf à une violence éclaboussant l’écran, comme si les deux étaient liés dans l’esprit du réalisateur et de sa créature. Scène aussi ridicule que contestable car en épousant sans recul le point de vue de son héros, Refn semble placer sur le même plan l’amour et la violence, comme deux émotions adolescentes équivalentes. C’est que ce personnage de chevalier à la psychologie sommaire est submergé par ses émotions et incapable de contrôler ses pulsions de violence. Il est dépassé par la violence pulsionnelle qui le ronge de l’intérieur, terrorisé par ses propres accès de violence. Son beau blouson doré, orné d’un scorpion qui symbolise sa nature profonde (in cauda venenum – dans la queue, le venin) se macule de camboui et de sang au gré de la progression de l’intrigue. Ce qui signifie que l’image adolescente du héros pur ne peut que se salir au fur et à mesure qu’elle est confrontée à la réalité et que lui-même finit par comprendre qu’il fait partie d’elle par sa propre nature violente. Cela ne suffit pas à construire un personnage humain ancré dans la réalité, mais l’idée est intéressante et contribue à faire du film une pure vision subjective, raison pour laquelle sans doute la critique a accueilli ce film avec un enthousiasme disproportionné par rapport à son intérêt réel, malgré les qualités formelles que l’on peut lui trouver et la qualité de sa bande son (belle utilisation du Oh my love de Riz Ortolani).

Les méthodes du driver sont expéditives mais efficaces. Il n’est pas « sans peur et sans reproche », mais il fait ce que l’inconscient collectif attend probablement d’un chevalier. Il tue les méchants, il reste « pur » par rapport à la femme aimée platoniquement, et part ensuite pour de nouveaux horizons. Derrière le blouson doré, cependant, derrière le regard énamouré pour le personnage, se devine un vide. Il n’y a rien à voir derrière le justicier joué par Gosling, qui lui apporte la douceur de son visage immobile et souriant. Et dans ce vide se niche une fascination pour une imagerie de l’ultra-violence que l’on peut trouver dérangeante.

Strum

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23 commentaires pour Drive de Nicolas Winding Refn : violence et fantasme adolescent

  1. Très bonne analyse avec laquelle je suis à peu près d’accord sur tout. Je partage totalement les références au Driver et au Solitaire, qui contiennent en effet beaucoup de points communs avec le film de Winding Refn.
    Du coup, pas vraiment grand chose à rajouter si ce n’est que je persisterai à le défendre face aux critiques sur le jeu de Ryan Gosling (que je trouve parfaitement adapté par son aspect peu expressif dans les manifestations, mais très éloquent dans les significations) et sur l’esthétisation souvent jugée comme étant une excuse par rapport à un certain vide scénaristique, et que je trouve, personnellement, et comme dit ici, utile par sa capacité à servir une atmosphère pleine d’onirisme.
    Dans Drive, NWR reste fidèle à son exposition de personnages marginaux (qui commence dès les Pusher de manière très explicite) et à la manifestation de violences. C’est une réadaptation, à notre époque, des grands films noirs d’antan.

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    • Strum dit :

      Bonjour et merci. Le jeu et le physique de Gosling conviennent bien au rôle en effet. Il lui apporte son visage doux qui s’accorde à la partie bluette et il reste crédible dans les scènes de violence. Je pense cependant que c’est un film qui témoigne d’un rapport assez malsain aux images de violence (plusieurs plans auraient pu rester hors champ).

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  2. tinalakiller dit :

    Quelle belle analyse !

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  3. princecranoir dit :

    Je pense que Refn serait flatté d’être épinglé sur son goût pour la violence cinématographique. Il n’est en cela pas différent d’un Peckinpah dont il reprend certains codes de représentation (la dilatation temporelle dans la fameuse scène de l’ascenseur), si ce n’est qu’il ne l’utilise jamais à des fins politiques mais purement esthétique. Je trouve que le principal intérêt de ce film (intérêt plus vif lorsqu’on le place en perspective avec ses deux films suivants) est de mettre à l’épreuve l’imagerie hollywoodienne, d’éprouver les limites d’un romantisme publicitaire (ce scorpion pourrait être une pochette de disque ou le sigle d’un parfum chic) qui a fait (et fait encore) les belles heures des productions américaines. Dans cette optique il s’éloigne à mon sens d’un Michael Mann qui fait de son image une épure, des codes et des genres des espaces expérimentaux dépourvus de tout cynisme. Ce qui n’est pas, je crois, la démarche de Refn qui, par ailleurs, n’est pas moins intéressante.

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  4. Strum dit :

    Peut-être et je me souviens d’ailleurs que tu avais déjà défendu Winding Refn mais, à mes yeux, cela n’en fait pas moins de Drive un film assez puéril et problématique par la fascination pour la violence qu’il révèle. Je n’ai pas vu ses autres films et n’en ai guère envie.

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  5. le cinema avec un grand A dit :

    Une pure merveille !!!!!!!

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  6. Ronnie dit :

    Zéro de conduite pour ma part 😉
    Winding Refn, rien à faire ça passe pas.

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  7. Cédric dit :

    Merci Strum pour ce beau (comme toujours) commentaire.
    Le parallèle de Princecranoir avec Peckinpah est intéressant et me parle. Tout comme Drive avec ce « faux calme » interprété par Gosling, être bi-polaire avec qui la violence qu’il déchaîne est aussi inattendue qu’insoutenable, j’avais été choqué par le crescendo (et le suis encore d’une certaine manière) et le climax ultra-violent de La Horde Sauvage de Sam P.
    Cela dit, les messages véhiculés par les deux films ne sont guère comparables, eux…

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    • Strum dit :

      De rien Cédric, merci à toi. Peckinpah est aussi un cinéaste assez dérangeant en effet (mais différent sinon de Refn). J’aime beaucoup son Coups de feu dans la Sierra et Croix de fer. Je chroniquerai sûrement un de ses films. Mais un film comme apportez moi la tête d’Alfredo Garcia, c’est un film terrible qui met assez mal à l’aise.

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  8. Ronnie dit :

    ‘Apportez moi la tête d’Alfredo Garcia’, dérangeant ô combien je plussoie, cela dit Warren Oates trouve là l’un de ses meilleurs rôles, sinon le meilleur.
    Bloody Sam, je me prosterne carrément.

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  9. J.R dit :

    Bel éclairage! J’ai beaucoup de mal aussi avec l’hyperviolence au cinéma, même chez Peckinpah qui l’utilise beaucoup pour sublimer l’erratisme de ses films (selon moi…). Mais j’ai aussi du mal avec le sexe gratuit (j’suis de la vielle école). J’avais bien aimé Drive (la BO est, hélas, son meilleur argument), mais c’était avant de voir le second film du duo Refn Gosling… Un sombre et sinistre navet prétentieux (je fais aucune provocation).

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    • Strum dit :

      Merci JR. Drive m’avait suffi quant à moi malgré les qualités formelles du film et cette BO effectivement excellente. S’agissant de l’hyperviolence, je suis de la vieille école aussi.

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  10. ornelune dit :

    J’ai bien aimé au contraire de toi. Mais je trouve l’idée que tu développes autour de l’image du héros comme d’un fantasme d’adolescent vraiment intéressante. Dans un commentaire laissé chez nous, j’analyse aussi la scène de l’ascenseur. Et je termine sur une proximité certaine avec True romance de Scott. C’est probablement assez subjectif mais il me semble que True romance (que j’ai adoré voir à 17 ou 18 ans) à ce même rapport à l’adolescent, à ce qu’il aime, au fantasme évoqué dans ton article. Je n’y avais jusque-là pas pensé sous cet angle.

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  11. Pascale dit :

    J’avais été frileuse à sa sortie mais en le revoyant dimanche je l’ai trouvé vraiment formidable.
    Bien sûr l’homme sans nom au blouson qui brille est enfantin et brut de décoffrage et fait des trucs déments avec son talon… mais plus profond que tu ne le dis je trouve.
    J’ai aimé les rapports entre les personnages et notamment avec le mari qui refait surface.
    Et la scène d’ouverture est un modèle.

    Le seul film que j’ai ADORÉ est Bronson. Mais je pense que tu détesterais. Et dans ce film on peut parler d’ultra violence…

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