Un Homme intègre de Mohammad Rasoulof : incorruptible

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Un Homme intègre (2017) de Mohammad Rasoulof donne de la société iranienne l’image d’un système de corruption généralisée où l’emporte la loi du plus fort. Où les hommes intègres, c’est-à-dire les hommes fidèles à des principes de justice, doivent choisir un camp, celui des opprimés ou celui des oppresseurs. Reza, un pisciculteur, vit à la campagne avec sa femme et son fils. Il est en conflit avec son voisin Abbas, sorte de potentat dont la famille contrôle une société de distribution d’eau toute puissante désignée sous le nom kafkaïen de « Compagnie ». Face à cette hydre qui s’affaire en sous-main pour racheter son terrain à bas prix, qui empoisonne l’eau de ses poissons, qui achète les policiers et les juges, qui fait établir de faux certificat médicaux pour le faire emprisonner à la suite d’une bagarre, l’intégrité de Reza ne lui est d’aucun recours. Pire, elle le dessert et sa femme, son beau-frère, son banquier, lui en font continuellement le reproche, ne comprenant pas pourquoi il n’use pas des petites combines et des pots-de-vin qui font partie de l’ordre social (« il faut bien que les fonctionnaires vivent« ).

Le film met en intrigue le dilemme moral de Reza : accepter de devenir esclave parce qu’il est honnête ou recourir aux mêmes armes que ses adversaires pour sauver sa famille. C’est une dialectique proche, par ses prémisses, de celle du maître et de l’esclave d’Hegel chez lequel échappe à sa condition d’esclave l’homme qui prendra tous les risques, y compris celui de mourir, qui ne reculera devant aucun moyen, y compris le meurtre, pour échapper à son sort et devenir lui-même maître. Contrairement à la froide dialectique hégélienne, l’enjeu du film est moral, comme dans les films d’Asghar Farhadi. Mais la similarité entre les deux cinéastes s’arrête là. Les oeuvres de Farhadi (par exemple Une Séparation ou Le Client) s’apparentent au genre du film noir par leur fatalisme et leur scénario déroulant d’implacables mécanismes de cause à effet déclenchés par la prégnance des valeurs traditionnelle dans la société iranienne. Dans Un Homme intègre, les images en format large (de la campagne iranienne, d’une route poussiéreuse, d’une ferme qui brûle), les conflits de voisinage entre un fermier qui s’installe et un puissant propriétaire dans un espace hors-la-loi, font plutôt penser au western, à ceci près que toutes les images de violence sont ici hors champ, comme des vérités que la société iranienne voudrait dissimuler. Car sous couvert de valeurs, c’est le règne de l’arbitraire et des intérêts particuliers. Le récit suggère beaucoup plus qu’il ne montre, laissant dans l’ombre les complots ourdis et la mécanique de la corruption. Les plans en extérieur sont nombreux, mais tout ce qui est important se dénoue à l’intérieur, à l’instar de ces personnages qui s’enferment dans une voiture dès qu’ils doivent avoir une conversation sérieuse. De même, notre homme intègre n’extériorise guère sa crise de conscience, au point d’ailleurs que l’on peut trouver trop uniforme le jeu de Reza Akhlaghirad, visage crispé et sourcils froncés en toutes circonstances ou presque. On lui préfèrera le beau visage de Soudabeh Beizaee qui joue sa femme, même si elle aussi porte un masque d’inquiétude.

L’intérêt du film réside dans la manière dont il montre comment le système récupère et utilise l’intégrité de Reza pour en faire un des siens. Car voici la faille des incorruptibles : ils tendent à aller jusqu’au bout de leurs principes en bien comme en mal, et cela peut servir aux hommes mal intentionnés qui comptent tirer partie de cette force. En mettant la main dans l’engrenage, en quittant définitivement son emploi d’esclave, Reza ne peut que devenir maitre à son tour car il n’existe pas ici de catégorie intermédiaire. La morale est étrangère à la dialectique du maitre et de l’esclave et l’intégrité est un tout ne pouvant souffrir d’exception. Au cours du récit, Reza s’immerge régulièrement dans les eaux chaudes d’une grotte en buvant un alcool de pastèque, comme un rite de purification. C’est sa manière de lutter contre la société, c’est à cette source qu’il puise sa force morale et confie ses décisions. Mais cette eau lustrale est impuissante à donner autre chose qu’un réconfort passager. Il y a trop à purifier, trop d’injustices à pardonner. Reza, sa femme, leur fils, ce couple ami à Téhéran, semblent tous prisonniers d’une chape de plomb qui est d’autant plus lourde et insidieuse qu’elle n’a pas de nom, comme la « Compagnie ».

Ce film pessimiste et dénonciateur vaut à Mohammad Rasoulof d’être aujourd’hui assigné à résidence en Iran et poursuivi pour « propagande contre le régime« , infraction passible de six ans de prison. L’intégrité se paie toujours, plus encore dans la réalité que dans la fiction.

Strum

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5 commentaires pour Un Homme intègre de Mohammad Rasoulof : incorruptible

  1. Pascale dit :

    ah oui tu racontes vraiment TOUT. J’ai bien fait de ne pas lire avant 🙂
    J’ai trouvé ce film éprouvant. Un régime écoeurant !

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  2. dasola dit :

    Bonsoir Strum, merci de m’avoir éclairé sur l’alcool de pastèque. Je ne savais pas que ça existait. C’est presque un « mantra » dans le film. On voit Reza mettre des pastèques à l’abri, puis il les réduit en bouillie après avoir injecté un liquide, je ne sais pas lequel. Pendant tout le film, j’ai été intriguée par ces manipulations de pastèque. Sinon, le film m’a plu mais il ne donne pas envie d’aller visiter l’Iran, surtout le nord du pays. Il y a une très belle lumière quand la maison est éclairée et puis quand elle brûle. L’actrice qui joue l’épouse est très bien. L’ensemble est nettement plus pessimiste que les films de Fahradi. J’ai même cru que Reza allait être tué. Bonne soirée.

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    • Strum dit :

      Bonsoir dasola, de rien pour l’alcool de pastèque. C’est le seul plaisir que s’octroie le personnage du film qui donne effectivement une image très noire de l’Iran. Je pense que la fin est plus forte que si Reza avait été tué. Bonne soirée aussi.

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