We Blew it de Jean-Baptiste Thoret : le ver était dans le fruit

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Premier long métrage du critique français Jean-Baptiste Thoret, spécialiste du cinéma américain des années 1970, We Blew it (2017) est une ballade nostalgique à travers les souvenirs de ceux qui ont vécu les années 1960 et 1970 aux Etats-Unis. Ce documentaire séduit par deux aspects.

D’abord, en raison du soin apporté aux cadrages qui capturent en format cinémascope l’immensité de l’Ouest américain que sillonne Thoret en suivant la mythique Route 66. Ces cadrages révèlent un regard de cinéaste, désireux de rendre compte de la solitude de ces villes empoussiérées qui se meurent d’avoir été écartées des grands axes routiers et de raviver la nostalgie d’une époque qu’il n’a pourtant pas connue. Parfois, des plans en forme de portraits fixent le souvenir des personnes interrogées. C’est cette mise en scène qui confère au documentaire son atmosphère mélancolique.

Ensuite, par la réponse qu’apporte indirectement le film à la question qu’il pose, à savoir comment l’Amérique est-elle passée d’Easy Rider (dont est tiré le titre qui signifie « on a foiré« ) à Donald Trump ? A force d’interviews de témoins de l’époque votant aujourd’hui Trump (interviews plus intéressantes que celles de Bogdanovitch, Schatzberg, Rafelson, Schrader et consorts), la suspicion vient que le ver était dans le fruit. La contre-culture n’était pas que « sex, drugs and rock’n’roll« , n’était pas seulement le mythe d’un ailleurs rêvé, idéalisé par l’abus de drogues, mais aussi l’expression d’un autarcisme, d’un libertarianisme, d’un dérèglement des sens (« good is bad, bad is good« ) qui formaient les germes de la dérive à venir. Car l’autarcisme communautaire, c’est aussi le refus de l’étranger, le libertarianisme prône aussi le libre port d’armes gravé dans la psyché américaine par le deuxième amendement de la Constitution des Etats-Unis, et le dérèglement des sens ce fut aussi les tueries mystiques de la Manson Family qui sonnèrent le glas de la naïveté du rêve hippie. De sorte qu’en votant aujourd’hui Trump ces témoins ont moins « perverti » leur passé qu’ils ne l’ont d’une certaine façon poussé au bout de leur logique naïve, même si l’on pense parfois en les écoutant parler de Trump aux méfaits de l’abus de marijuana. Car Trump, qui n’a reculé devant aucun mensonge pour profiter de leur crédulité, représente tout ce qu’ils auraient dû détester. Cet aspect du film est plus intéressant que son rappel des évènements marquant la perte de l’innocence de l’Amérique (thème familier), notamment l’assassinat de John F. Kennedy.

C’est pourquoi la question sous-jacente posée par We Blew it est presque rhétorique. Le « it » que les acteurs de la contre-culture sont censés avoir trahi n’a peut-être jamais existé ailleurs que dans leurs rêves embrumés de marijuana. Ce qu’il en reste appartient au cinéma, dont rendent compte ces images de l’époque que Thoret monte comme un grand kaléidoscope sensoriel au début du film pour ne plus rien en montrer après. C’est par les images du monde d’aujourd’hui que le film acquiert une vertu mélancolique, pas en montrant les images d’hier. Ces belles images que Thoret filme de sa voiture ne donnent pas envie de remonter dans le passé des années 1970 (on peut d’ailleurs préférer au cinéma du Nouvel Hollywood le cinéma de l’âge d’or d’Hollywood dont la beauté était sublimée alors même que les moeurs des années 1950 étaient étouffantes, ce qui démontre bien l’écart existant entre réalité et cinéma), mais elles donnent envie d’entrer avec lui dans les territoires perdus de la Route 66. Quelques longueurs ne dépareillent pas l’ensemble de ce documentaire fort réussi à l’excellente bande son (folk et rock sixties et seventies y ont la part belle).

Strum

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7 commentaires pour We Blew it de Jean-Baptiste Thoret : le ver était dans le fruit

  1. kawaikenji dit :

    Pas encore vu. Espère simplement qu’il est moins truffé d’erreurs que son livre sur la même période.

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  2. princecranoir dit :

    J’aimerais beaucoup voir ce documentaire de JB Thoret qui, si j’en crois ton avis argumenté, semble particulièrement clairvoyant sur le rêve américain. J’avais beaucoup apprécié son livre co-signé avec Bernard Bénoliel, « Road Movie, USA » qui prenait appui sur la fameuse yellow brick road du pays d’Oz comme point de départ de son périple à travers le cinéma.

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  3. ornelune dit :

    Pas vu non plus, mais grande envie. Ce que j’ai vu de Thoret, j’aime bien (même si je note les erreurs nombreuses dont il semblerait être capable d’après kawaikenji).

    Qui sont ses interlocuteurs dans le film, des personnes issus du cinéma ou de du plus large horizon (bouché) de la contre-culture ? Je pensais que le film interrogeait davantage et même se focalisait sur le cinéma des années 1970.

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    • Strum dit :

      Hello Benjamin. Il y a deux types d’interlocuteurs. Les grands anciens qui ont vécu la période et là nous avons des cinéastes du calibre de Schatzberg, Bogdanovitch, Rafelson, Schrader, etc. et des témoins lambda interrogés qui ont connu la période hippie mais n’appartenaient pas forcément au monde du cinéma. C’est cette seconde catégorie d’entretiens qui est paradoxalement la plus intéressante à mon avis.

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