Même un grand réalisateur ne peut tirer un bon film d’un mauvais script (bien qu’on puisse écrire un bon script à partir d’un mauvais livre). On constate derechef la pertinence de cet adage devant D’après une histoire vraie (2017) de Roman Polanski. Ce récit de la crise d’inspiration d’une écrivaine (Delphine jouée par Emmanuelle Seigner) qui tombe sous la coupe d’une lectrice ne convainc jamais. Dès le départ, « Elle » (Eva Green) est filmée comme une apparition : elle est étrangement seule dans le plan et jamais personne ne lui adresse la parole hormis Delphine. Dès lors, on devine d’emblée sa nature fantasmagorique, ce qui prive le film de la caractéristique principale du cinéma de Polanski : cette ambiguité qui parcourait d’une veine noire ses oeuvres maitresses (Chinatown, Rosemary’s baby, Le Locataire) et les faisait osciller entre la méfiance et la paranoïa.
Héritant d’un rôle de Doppelgänger du pauvre, Eva Green fait face au défi insurmontable de devoir défendre un personnage sans substance, pareil à un personnage de fiction avorté. Elle est en outre desservie par des dialogues sonnant faux : rien de ce qu’elle affirme n’apparait crédible, en particulier quand elle évoque sa propre vie. Sa voix de gorge, grave et rentrée, semble déconnectée de son visage de porcelaine, comme si elle venait d’ailleurs, sans que l’on sache si cela est due à un jeu affecté ou à une volonté de souligner par le mixage sonore l’origine mentale de sa voix – peut-être un peu des deux.
Le film se passe dans un petit milieu, le milieu littéraire parisien, sans jamais en sortir. Cela réduit d’autant plus le spectre du récit, et comme les histoires de ce milieu (dérapages sur les réseaux sociaux, lettres anonymes de lecteurs blessés ou déséquilibrés, sollicitations diverses reçues par l’auteur) sont d’un intérêt limité pour qui n’en est pas, on a davantage l’impression d’assister à un récit autocentré (faute d’imagination) qu’à une réflexion sur les affres de la création. D’ailleurs, la figure hitchcockienne de la mère, qui plane un temps sur le film, disparait bien vite de son champ d’investigation. Circonstances aggravantes : les figures habituelles de l’univers de Polanski (la phobie de la séquestration et des sous-terrains, l’impression d’être trompé ou surveillé) sont filmées sans idée de mise en scène particulière et il manque au récit cet esprit ludique, cette vivacité moqueuse et comme consciente du jeu de la création, qui faisaient le sel de La Vénus à la fourrure (2013), précédent film du cinéaste.
Strum
Encéphalogramme plat cinématographique ?
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Oui, en ce qui me concerne, c’est raté. Je n’ai pas réussi à entrer dans le film. Pourtant j’aime bien Polanski.
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Pas eu le courage d’aller le voir avec tous ces avis dithyrambiques.
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C’est sûr que cela ne donnait pas envie. Mais j’ai eu l’occasion de le voir et je voulais me faire ma propre opinion.
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C’est le mieux, en effet…
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Polanski est mort en 1992 non ?
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Ah, toujours ces avis tranchés. The Ghost Writer qui date de 2010, c’est très bien.
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Bah oui un avis c’est fait pour être tranché sinon c’est le robinet d’eau tiède … Et non, ghostwriter c’est nul
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Pas d’accord. C’est l’inverse. L’eau tiède, c’est quand il n’y a pas d’arguments, pas de nuances, pas de remise en question, pas de surprise, et que tout se trouve soignement rangé entre bons et méchants.
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dommage c’était prometteur avec la fascinante Eva Green
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Je dois dire que je ne l’ai pas trouvé très convaincante dans ce rôle impossible.
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J’ai été très déçu par le film, mais je m’y suis intéressée de près. J’ai lu pas mal de critique et en lisant votre texte je me demande si ce que tout le monde appelle un ratage n’est pas en fait une réussite. Le jeu stéréotypé d’Eva Green est voulu sans doute : il décrit peut-être la mort du personnage de fiction, tel qu’on l’a connu jusqu’à présent, et le choix de cette actrice franco-américaine n’est pas anodin. Cette forme vide : c’est l’acteur qui n’incarne plus rien ou seulement un fantasme ce qui abouti à l’absence d’ambiguïté et la faillite du suspens qui a dérouté beaucoup de spectateurs. Polanski regrette de ne pas avoir pu suffisamment faire répéter les actrices. Je pense que si il avait eu plus de temps ils auraient trouvé quelque chose qui manque au film.
Pour ce qui est de l’adage qui ouvre votre chronique, ce n’est pas une vérité absolue. En effet, Douglas Sirk a fait des chefs d’oeuvre à partir de romans de gare.
Bon dimanche
Carole
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Bonjour Carole, On est parfois tenté de voir dans le film raté ou « malade » d’un grand auteur l’expression d’autre chose, mais je serais très étonné que Polanski, vu son perfectionnisme formel habituel, ait volontairement créé un film aussi peu incarné que celui-ci, même s’il s’est manifestement demandé comment filmer le personnage d’Eva Green. Ce n’est pas qu’on est dérouté, c’est qu’on ne croit (en tout cas me concernant) à rien de ce que l’on voit, ce qui est pire. Concernant l’incipit du texte, je me référais en fait aux scripts, pas aux livres. En effet, on a fait beaucoup de chefs-d’oeuvre à partir de mauvais livres (qui sont plus faciles à adapter que les grands livres), mais c’était toujours à partir de bons scripts (y compris chez Sirk) étape intermédiaire indispensable (je vais le souligner d’une parenthèse dans le texte pour éviter toute ambiguité). Bon dimanche aussi.
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J’ajoute que cette lecture où le film aborde la question de la disparition progressive du personnage de fiction dans plusieurs romans français ne permet pas de le protéger de l’écueil de l’ennui car il devient lui-même le récit autocentré et non plus propulsé par la fiction qu’il dénonce, participant de cette même tendance.
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Ce que vous dites est complexe, mais je crois comprendre… j’aurai beau faire des arabesques intellectuelles pour défendre un film auquel je n’ai pas cru (tout ça parce que je ne peux pas admettre que Polanski ait perdu son génie de la mise en scène – j’avais beaucoup admiré La Vénus à la fourrure), en réalité, je me suis bel et bien ennuyée pendant le film. 🙂
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Je me demande comment et pourquoi Polanski s’est fourvoyé dans cette histoire qu’il aurait dû transcender.
Mais le livre était tellement mauvais !!! Il n’aurait pas fallu qu’il l’illustre a la virgule près. Mais bon si j’étais réalisateur ça se saurait:-)
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Effectivement, adapter ce livre manifestement médiocre n’était probablement pas la meilleure des idées. On ne peut pas réussir son coup à chaque fois, même quand on s’appelle Polanski. Tu n’es pas réalisatrice, mais les critiques ont le droit d’émettre des suggestions. 🙂
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oui, en effet, ça se saurait… ça se saurait aussi si tu étais critique…
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kawaikenji, je tiens à ce que les commentateurs intervenant ici respectent les autres commentateurs. Merci donc d’éviter ce genre de pique gratuite d’autant plus déplacée que Pascale n’a pas à rougir des billets qu’elle publie sur son blog Sur la route du cinéma.
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« Ce qui n’empêche pas d’applaudir également l’interprétation impeccable du reste du casting avec un gros coup de cœur pour Marie-Julie Baup. » – je révise mon jugement, désolé Pascale.
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J’ai l’impression que j’ai bien fait de passer mon tour.
Pourtant, cette histoire m’attirait beaucoup. Il y avait mieux à faire.
Je le verrai peut-être à la télé, un soir de désoeuvrement.
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Oui, c’est franchement décevant.
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