La La Land de Damien Chazelle : hommages à Minnelli et Demy et prix des rêves

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The City of Stars, dite aussi La La Land : c’est à la cité du cinéma, la cité qui fait rêver de loin, à Los Angeles, autant qu’au genre de la comédie musicale classique, que rend hommage La La Land de Damien Chazelle. On pourrait trouver factice l’horizon que se donne ce film qui fourmille de références aux classiques de Minnelli, Donen et Jacques Demy si l’on n’y trouvait aussi un véritable savoir-faire dans la réalisation et de virevoltants plans séquences éclatant d’une énergie qui finit par emporter l’adhésion du spectateur.

L’histoire du film, simple et linéaire, emprunte aux classiques d’antan : Mia (Emma Stone) et Sebastian (Ryan Gosling) sont deux artistes que leurs rêves naïfs ont guidé au sein de Los Angeles. Mia veut devenir actrice et multiplie sans succès les auditions, tandis que l’intransigeance du pianiste Sebastian, qui ne jure que par les classiques du Jazz, l’a conduit dans une impasse professionnelle. Ils se rencontrent, tombent amoureux, se prêtent main-forte sur le chemin qui les conduira dans le champ des étoiles de la ville, l’une devenant une Star, l’autre fondant plus anonymement le club de Jazz dont il rêvait.

La réussite du film tient pour beaucoup à la manière dont Chazelle parvient à raconter son histoire par sa caméra, qu’il place sous le double patronage de Minnelli et Demy. Lorsqu’il filme la danse amoureuse de Mia et Sebastian sur les collines d’Hollywood (variation sur le Dancing in the dark de Tous en scène (1953) de Minnelli), il convoque le ballet minnellien en tentant (sans égaler le maître) de filmer « le monde comme une scène« , en un plan séquence illuminé de couleurs nocturnes et violacées ; de même, quand il incruste à l’écran des verres de champagne, comme des bris de fêtes ; ou encore, quand il cadre la façade du bar de Jazz de Sebastian de l’autre côté de la rue en lignes horizontales minnelliennes. Lorsqu’il filme le ballet d’embouteillage du début du film en suivant les personnages de près (ou plus tard Mia et ses amies), il sollicite au contraire les mânes du Demy des Demoiselles de Rochefort (1967) où les personnages dansent dans la rue et se rencontrent de manière imprévue selon les lois mystérieuses du hasard, en lui ajoutant une caméra d’une agilité un peu enivrée d’elle même, défiant la pesanteur comme dotée des ailes de la danse.

Chazelle cherche à ressusciter la magie disparue du monde des comédies musicales classiques, à conserver cette part d’idéal, rêve parfois naïf et factice, mais rêve quand même, qui faisait la beauté de ces films (Mia et Sebastien rêvent comme des personnages minnelliens). Il le fait avec talent, des idées de liaisons, de montage et de mise en scène fréquentes (dans le cadre en outre d’un budget restreint, 30 millions de dollars, par rapport aux standards hollywoodiens) où l’on reconnait mais pardonne, car c’est l’esprit du film, les emprunts à certains classiques (pas seulement dans le domaine de la comédie musicale, La Fureur de vivre (1955) de Ray est citée lors de la belle séquence de l’observatoire Griffith – où rôde aussi la manière de Chantons sous la pluie de Donen et Kelly (1952) – et l’on songe même parfois au New York, New York de Scorsese (1977)). A défaut d’inventer, il cherche à conserver ce qui est déjà passé, ce qui explique l’atmosphère parfois décalée du film dont on ne sait pas toujours à quelle époque il se déroule. N’est-ce pas l’une des vertus du cinéma que de pouvoir conserver pour nous le passé du monde, même sous une forme rêvée comme ici, différence d’époque oblige ? Ainsi, Los Angeles est filmée comme l’équivalent géographique du La La Land des rêveurs, Chazelle ne retenant des lieux de la ville que ceux nourrissant son image idéalisée de cité du cinéma.

Si le thème même du film, où les personnages cherchent à réaliser des rêves dont l’accomplissement requiert l’abandon d’autre chose, est minnellien (dans Brigadoon (1954), il s’agissait même d’abandonner toute entière son ancienne vie), on avouera une réserve concernant l’écriture des personnages qui l’éloigne de l’idéal minnellien. Chez Minnelli, la maitrise absolue de la forme ne se faisait jamais au détriment de la finesse psychologique, de la sensibilité du créateur de personnages. Dans La La Land, lorsque le récit s’incurve vers un ailleurs plus mélancolique lors d’une scène de dispute entre Mia et Sebastien au cours d’un diner, leurs réactions aussi brutes que soudaines manquent un peu de cette finesse, de cette intelligence des sentiments, qui caractérisent les films de Minnelli.

Qu’à cela ne tienne, la fin du film franchit l’obstacle de cette réserve en nous replongeant dans le monde des rêves. Chazelle parvient à y fondre l’influence de Minnelli et l’influence de Demy au sein d’une même séquence cette fois, parenthèse enchantée disant le prix des rêves et ce qu’ils ne peuvent combler, qui rappelle par sa succession d’images la fin d’Un Américain à Paris (1951) ou Chantons sous la pluie et par sa mélancolie hivernale la fin des Parapluies de Cherbourg (1963), et achève de convaincre de la réussite de ce film plein de charme. La musique de Justin Hurwitz est à l’unisson (belle chanson que City of Stars et l’on fredonne volontiers Another Day of Sun en sortant) et Emma Stone et Ryan Gosling sont de séduisants interprètes dans ce pas de deux sur la route des étoiles. Comme d’habitude, il faut oublier les sommations ridicules du marketing du film (« impossible de ne pas adorer ce film ! » décrète l’affiche, aussi péremptoire que propre à susciter l’envie de lui donner tort par esprit de contradiction) pour l’apprécier à sa juste mesure, qui est celle de la mélancolie.

Strum

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24 commentaires pour La La Land de Damien Chazelle : hommages à Minnelli et Demy et prix des rêves

  1. 100tinelle dit :

    Un film joyeux, amusant, coloré et triste à la fois. Mais comme souvent chez moi, c’est la mélancolie qui a fini par l’emporter, d’autant plus que l’émotion apparaît essentiellement sur la fin (et assez peu avant). J’ai eu le sentiment que le réalisateur y mettait aussi quelque chose de plus intime et de plus personnel. Comme écrit dans mon billet, cela sent le vécu. Et cela m’a touchée. Une dernière partie où tout passe par la musique, un flashback visuel fantasmé et un dernier regard échangé ne pouvait que me plaire 🙂

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    • Strum dit :

      Effectivement, la fin est mélancolique. Je ne sais pas si c’était du vécu par Chazelle, en revanche, je sais qu’il a beaucoup vu la fin des Parapluies de Cherbourg de Demy (qui est encore plus mélancolique). 😉

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  2. Laurent dit :

    Techniquement éblouissant, ce joli film plaira, j’en suis sûr, aux amateurs du genre. Ceux qui, comme moi, sont peu clients de comédies musicales risquent de rester au bord de la route.

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    • Strum dit :

      Bonjour Laurent et bienvenue ici. Cela aide sûrement un peu d’aimer le genre de la comédie musicale pour aimer le film en effet. Cela dit, il y a eu tellement de mauvaises comédies musicales ces dernières années qu’elles ont pu donner une idée faussée du genre. Cela fait du bien de revoir une bonne comédie musicale.

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  3. kawaikenji dit :

    Dommage qu’ils ne savent ni chanter ni danser… sinon c’est vrai que c’est une petite chose rafraîchissante !

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    • Strum dit :

      Pas si mal la voix mélancolique et soufflée plus que chantée de Ryan Gosling. Pour le reste, leurs maladresses de danseurs ne m’ont pas dérangé ; c’est l’école Demy et mieux vaut des danseurs limités que des acteurs de bois.

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      • Si je puis me permettre d’en remettre une couche sur les danses et les chants, je trouve au contraire que ces imperfections (sans doute voulues par le réal qui aurait très bien pu exiger qu’on double les acteurs) apportent une sensibilité et une proximité que n’auraient peut-être pas su transmettre des chanteurs et danseurs pro. D’ailleurs, quelque part, Chazelle n’est pas tendre avec John Legend, le seul professionnel de la profession présent dans le film (et accessoirement producteur) lorsque Mia demande à Seb s’il aime vraiment cette musique (sous-entendu, c’est de la variétoche de m… ).
        Donc vive les canards et les faux pas, pourvu qu’on ait l’ivresse de l’émotion. Allez on sort le piano : « City of stars
        Just one thing everybody wants
        There in the bars
        And through the smokescreen of the crowded restaurants
        It’s love
        Yes, all we’re looking for is love from someone else
        A rush
        A glance
        A touch
        A dance… « 

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        • Strum dit :

          Effectivement, John Legend parait terne et son inspiration cadenassée. Emma Stone et Ryan Gosling sont les interprètes assez idéaux du film (et vu le choix de Chazelle de filmer en plan séquence, et souvent de près, il était impossible techniquement de les doubler pour les scènes de danse ; il y avait un choix à faire : acteurs professionnels ou danseurs professionnels).

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  4. ornelune dit :

    Je ne lis que de biais cette critique pour ne pas gâcher un possible plaisir. Mais j’ai une question finalement, est-ce un film comparable à the Artist dans sa capacité à retrouver ce qui pouvait définir et faire le charme d’un certain cinéma perdu ? Parce que si c’est le cas j’ai peur de tout ce côté factice qui pour the Artist à dîner par se révéler avec le temps ? Un film sans plus d’attrait après l’avoir vu une fois. Une anecdote sympathique… Seulement.

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    • Strum dit :

      Je vois ce que tu veux dire. Je pense que c’est mieux que The Artist, au sens où Chazelle parvient à rendre hommage à un genre passé, tout en réalisant un film de bonne qualité au sein du même genre. N’y va pas en t’attendant à un chef-d’oeuvre, mais c’est un film vraiment charmant et bien fait qui à mon avis peut se revoir avec un plaisir égal.

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  5. modrone dit :

    Un très beau moment de cinéma, sous influence bien sûr, mais quand les influences sont Demy et Minnelli on ne va pas se plaindre. Et puis notre cinéphilie n’est pas contre un brin de nostalgie, Rebel without a cause, quelques affiches, la chambre de Bogart et Bergman à Paris. Je trouve que le duo de comédiens fonctionne assez bien.

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  6. Ah tiens une question de plus pour éventuellement y amener ma fille… Le film est-il plutôt sur un ton optimiste, genre feel good movie comme la promo semble vouloir le vendre ou bien est-il plutôt Parapluie de Cherbourg ?

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    • Strum dit :

      Durant la plus grande partie du film, on est plutôt dans un feel-good movie malgré les difficultés de Sebastian et Mia, mais le dernier tiers est assez mélancolique et la fin est manifestement inspirée par celle des Parapluies. Cela dit, c’est tout à fait visible par des enfants/ados, même si je n’ai pas réussi à convaincre ma fille ainée d’y aller.

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  7. Merci de ta réponse rapide. Ouais, j’hésite quand même. Ma fille a 5 ans. Elle est nourrie de comédies musicales (et est amoureuse de Gene Kelly) mais si le ton se fait un brin trop sombre, je crois que l’on attendra. Ce sera un plaisir égoïste.

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  8. tinalakiller dit :

    Pour ma part, je suis assez déçue par ce film même s’il est bien foutu d’un point de vue esthétique et que Stone et Gosling sont impeccables. Mais l’histoire en elle-même ne m’a pas vraiment enthousiasmée (j’ai trouvé l’histoire banale et la fin assez attendue), la manière de gérer les scènes musicales m’a plus frustrée qu’autre chose et surtout l’ensemble m’a paru trèèèès long.

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    • Strum dit :

      Ah oui, l’histoire est tout à fait banal. Cela vaut pour la mise en scène énergique et pour le charme des interprètes, et n’en attendant rien (c’est peut-être ce qui fait la différence avec toi), j’ai été pour ma part agréablement surpris. Quant aux scènes musicales, à partir du moment où Chazelle n’a pas choisi de vrais danseurs/chanteurs, elles ne pouvaient qu’avoir une dimension limitée.

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  9. ornelune dit :

    Je vous trouve sévère avec The Messengers. Sebastian croit en effet se compromettre avec cette musique qu’il n’apprécie pas et qu’il considère certainement assez mauvaise à côté des légendes qu’il adule. Mais le morceau en lui-même est assez bon, très entraînant et les arrangements sont, certes, un peu lourds, mais c’est un titre qui a du groove. Maintenant, il me semble que le ridicule vient de la scène où un cumul d’artifice se colle à la musique, les chœurs et les danseuses étant le clou faisant lever les yeux au plafond. Mais sans ça, le titre qui figure sur la bo je le trouve assez bon. Et, infamie suprême pour le conservateur jazz, j’adore ce son de clavier sorti des années 1980.

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    • Strum dit :

      Cette partie sur Les Messengers montre en effet un Sebastian assez naïf et conservateur dans ces goûts (il me semble que Chazelle a admis avoir des gouts très classiques en jazz ce qui rejaillit sur les goûts de Sebastian et se voit dans le portrait du groupe de Legend). Mais c’est vrai que leur musique n’est pas si mal. C’est pour moi surtout dans la scène où Sebastian se fait photographier en prenant des airs de roquet que l’aspect un peu factice de l’entreprise est montré (cette scène est le point de non-retour pour Sebastian)

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