Dimanche d’août (1950) de Luciano Emmer est un de ces films où l’on peut observer les prémisses de la transformation qui conduira le néo-réalisme italien vers ce qui sera bientôt la comédie à l’italienne. Selon la manière habituelle du cinéma italien de l’époque, le scénario résulte de la collaboration de plusieurs scénaristes, au premier chef Sergio Amedei (scénariste de Rosselini, notamment pour Rome, ville ouverte et Païsa) mais aussi Cesare Zavattini (scénariste de Vittorio de Sica, notamment pour Le Voleur de bicyclette et Umberto D.).
Dimanche d’août est également un film choral, qui entremêle plusieurs récits parallèles, ce qui marque une rupture par rapport aux films à sketch de l’époque (Païsa compris). C’est une sorte de plan de coupe de la société romaine, qui relate le temps d’une journée un dimanche d’août passé pour l’essentiel sur une plage d’Ostie. Emmer et ses scénaristes s’attachent à plusieurs personnages et parviennent avec une remarquable fluidité narrative à évoquer plusieurs destins. Si l’on ne retrouve pas ici le pessimisme marqué des premiers films néo-réalistes, on y aperçoit nettement cette ligne de démarcation qui sépare selon le néo-réalisme italien les classes sociales, une frontière sociale que le film représente métaphoriquement par le grillage qui protège la plage des nantis du reste de la société romaine. Emmer, Amedei et Zavattini ne font mystère ni de leur déterminisme social, ni de leurs préférences et tournent en dérision presque tous les représentants de la bourgeoisie et de l’artistocratie romaines, dont ils montrent les ridicules et les affectations. Seuls échappent à leur loupe orientée un père et une mère, que rachète l’amour qu’ils portent à leurs petites filles en pension. Et quand ils racontent l’histoire d’une femme qui pour échapper à la pauvreté quitte son fiancé pour un parvenu possesseur d’une voiture, ils lui font payer doublement le prix de cette sorte de trahison sociale en faisant de son nouvel ami un escroc et en montrant son ancien fiancé commettre de désespoir un vol qui finit mal.
Ce prisme social revendiqué, typique de l’atmosphère intellectuelle de l’époque, n’empêche nullement Dimanche d’août de déployer ses charmes, qui sont nombreux, Emmer faisant preuve d’un talent de portraitiste lui permettant de dépeindre d’un trait à la fois sûr et léger un amour adolescent qui nait sur la plage, une rencontre opportune entre les parents esseulés des petites filles en pension, et les mésaventures d’une femme de ménage et d’un agent de la circulation (Mastroianni, visage poupin, dans un de ses premiers rôle), auquel est confié le soin d’édicter la morale de cette histoire : « le ciel nous aidera » (la remise en cause du dogme catholique, qui trouvera son expression la plus achevée dans La Dolce Vita de Fellini dix ans plus tard, n’était pas encore advenue). Cette déclaration de foi dans l’avenir de la société italienne qui semble résider dans les mains de ces trois couples nimbe d’optimisme ce film beau et tendre, où Emmer, cinéaste déjà chevronné, filme avec une égale délicatesse la cohue du matin dans un train en partance pour Ostie, la foule s’ébattant dans les vagues, et les retours au crépuscule où les mammas italiennes lancent des « je ne retournerai plus jamais à Ostie ! » comminatoires, tandis que les jeunes gens pensent le coeur gonglé d’espoir aux promesses du lendemain.
Strum
Bonsoir Strum.
Bravo pour cette fine analyse de ce trés beau film découvert il y a des années grâce à Patrick Brion, qui aura fait beaucoup pour la cinéphilie d’une génération.Je l’ai acheté en dvd mais pas encore revu. J’espère ne pas être déçu. J’ai vu deux autres films d’Emmer depuis, la fille dans la vitrine, intéressant mais moins convaincant pour ma part, et le Bigame, une comédie menée tambour battant que je vous conseille vivement.
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Bonsoir Jean-Sylvain et merci pour votre message et vos conseils. Je possède La fille dans la vitrine et Le Bigame en DVD mais je ne les ai pas encore vus. J’aimerai bien voir Le Bigame dont le pitch de départ est amusant et puis le duo Mastroianni-De Sica, cela doit être quelque chose.
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Qu’est-ce que j’aime ce film dont j’ai parlé plusieurs fois. Quelques restes de Néoréalisme version un peu rose, un petit air de film à sketches et de choral, la comédie italienne n’est pas si loin et par dessus tout un amour de ses personnages. Chef d’oeuvre de la chronique de la vie italienne entre immédiate après-guerre et boom économique. Et les scénaristes italiens sont souvent des génies. Quelle équipe!
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Ces scénaristes italiens des décennies 1940-1950-1960-1970, ils étaient formidables en effet. Le plus frappant dans la genèse de tous ces films italiens, c’est d’ailleurs de voir à quel point ils résultaient systématiquement de la collaboration de plusieurs scénaristes (pas toujours crédités à l’écran d’ailleurs), qui parvenaient à travailler ensemble en mettant leur ego de côté. Je me souviens que tu m’avais dit à quel point tu appréciais ce Dimanche d’août, qui est effectivement une petite merveille.
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Une belle équipe en effet ! Je n’ai pas vu ce film (je reconnais mes lacunes abyssales en matière de cinéma italien mais cet article me donne une envie folle d’explorer la péninsule) mais son titre autour d’un projet collectif me rappelle « les hommes le dimanche » de Siodmak qui préfigurait déjà ce style documentaire propre au néo-réalisme d’après-guerre.
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« Les hommes le dimanche » de Siodmak que je veux voir depuis longtemps d’ailleurs, car tu n’es pas le seul à avoir des lacunes ! Quant à ce merveilleux cinéma italien d’après-guerre, je me réjouis d’avance de continuer à l’explorer dans les mois qui viennent.
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Les hommes le dimanche, oui, autre oeuvre majeure avec tous ces (futurs) grands cinéastes américains, Siodmak, Wilder, Zinnemann, Ulmer. J’ai dû chroniquer ça quelque part. Quant aux lacunes nous en avons tous et c’est très bien comme ça. 😀
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