Trois John Ford au cinéma Christine

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Je signale la reprise de trois chefs-d’oeuvre de John Ford, Les Raisins de la colère (1940), Qu’elle était verte ma vallée (1941) et La Poursuite Infernale (My Darling Clementine) (1946) au cinéma Christine à Paris. Dans Les Raisins de la colère, Ford adapte Steinbeck pour raconter l’odyssée de la famille Joad lors de la Grande Dépression : ayant perdu leur terre, ils quittent l’Oklahoma pour la Californie en espérant y trouver du travail. Qu’elle était verte ma vallée évoque les souvenirs d’un mineur gallois : au moment où il quitte sa maison, il se rappelle son enfance. La Poursuite Infernale, peut-être le plus beau des westerns classiques, raconte comme Wyatt Earp devient sheriff à Tombstone pour venger son frère cadet, assassiné par le plus gros éleveur de la région.

La rétrospective conjointe de ces trois films est heureuse, car Ford y réalise une synthèse de l’expressionnisme de son cinéma des années 1930 et des règles classiques de la composition de l’image que la Renaissance a léguées à l’art. En tant qu’artiste, Ford est l’égal des grands peintres du Quattrocento. La beauté des cadrages, la pureté des diagonales, la dignité des personnages qui peuplent chaque plan de ces films, leur confèrent un lyrisme qui fait chavirer le coeur. Chez Ford, l’émotion passe par l’image, par cette fenêtre qu’il ouvre sur son monde de cinéma (voir l’ouverture sublime de La Prisonnière du Désert), qui est un monde mélancolique. Et quand Henry Fonda cite les mots de Steinbeck (« Je serai partout dans l’ombre. Je serai partout où tu seras… ») à la fin des Raisins de la colère, l’émotion que l’on ressent trouve une chambre d’écho dans ce plan si expressif de son visage. Chaque image de ces films est un tableau (ce dernier plan de Qu’elle était verte ma vallée…), un tableau racontant une histoire qui se lit dans les mouvements des personnages. Cette histoire, universelle, est celle de l’errance humaine : c’est l’histoire d’hommes et de femmes dont la vie est un voyage et ce n’est pas un hasard si ces trois films finissent sur des personnages en partance vers un nouveau monde avec l’espérance qu’il sera meilleur.

Strum

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23 commentaires pour Trois John Ford au cinéma Christine

  1. modrone dit :

    Trois oeuvres majeures, incontestables. C’est le moins que l’on puisse dire. A bientôt.

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  2. FredMJG dit :

    Hello
    Tu devrais vraiment aller jeter un œil (et le récupérer) chez inisfree.hautetfort.com/, question Ford tu vas te régaler

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  3. princecranoir dit :

    Voilà un triptyque que je mettrais bien volontiers en évidence sur mon autel personnel de l’Histoire du Cinéma. Le Ford période Fonda a produit tant de chefs d’œuvre qu’on ne sait finalement plus où donner des yeux et de la tête. S’il n’en fallait garder que certains au panthéon de sa filmo, il se pourrait bien que ce soit ces trois-là (même si Fonda n’y est présent que dans deux d’entre eux), en gardant tout de même le regret de ne pas avoir invité « Young mister Lincoln » à les y rejoindre.

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    • Strum dit :

      Difficile de choisir entre certains Ford en effet et d’ailleurs on n’est pas forcé de choisir. Cela étant dit, même si pour plusieurs raisons, L’Homme qui tua Liberty Valance reste mon Ford préféré, je pense que je place tout de suite après ces trois films-là. Je préfère notamment le classicisme pur de La Poursuite Infernale (My Darling Clementine) aux tons flamboyants de La Prisonnière du Désert.

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      • FredMJG dit :

        Pardon je m’immisce. Bon, je suis une fille, j’aime la flamboyance. Pour ajouter mon petit caillou fordien, son ultime film est une splendeur. Je sors

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        • princecranoir dit :

          Même s’il est l’auteur d’une bonne quantité de westerns virils, les femmes des films de Ford ne sont jamais laissées pour compte. Tu as raison de sortir de l’ombre l’oublié « frontière chinoise », lorsqu’enfin le vieux borgne les mettaient à l’honneur.

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        • Strum dit :

          Mais non, reviens Fred ! 🙂 Je ne voudrais pas laisser croire que je n’aime pas La Prisonnière du désert que j’adore, y compris son côté plus baroque et flamboyant, et sa narration propre à l’odyssée mélangeant le drame et le picaresque, et je compte l’ouverture et la fermeture de ce film parmi les plus belles séquences de l’histoire du cinéma. Mais si je considère les deux films dans leur ensemble, je pense que je suis encore plus admiratif de la pureté classique et de la perfection formelle (jusque dans son ton plus uni) de My Darling Clementine, tout en sachant que l’on n’est aucunement forcé de les « classer » (ce que j’évite de faire en général – je ne suis pas très adepte des classements et des notes). De toute façon, chacun de ces films fera à terme l’objet d’une chronique ici où je tâcherai de développer et d’affiner un peu mon point de vue.

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          • FredMJG dit :

            Je ne suis jamais très loin, t’inquiète…
            Je ne suis pas analyste du tout, je classe parfois parce que je fréquente des garçons qui adorent faire des listes (et Inisfree en fait partie) et pour être honnête j’adore les histoires tragiques sur des héros pas très propres sur eux. Par contre dès que l’on me parle de My Darling Clementine j’ai envie de me mettre à danser 🙂

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            • princecranoir dit :

              Je me permets d’ouvrir un nouveau débat concernant « my Darling Clementine » : quelle est votre fin préférée ? Celle où Fonda embrasse Cathy Dawns ou celle où il ne fait que lui serrer la main ?

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              • Strum dit :

                La version « longue » du film a ma préférence, mais la fin est une autre histoire. Personnellement, peut-être est-ce mon côté « fleur bleue » qui s’exprime, j’étais heureux que Fonda embrasse Clementine et même si la fin où il lui sert maladroitement la main est plus fordienne (quoique ce soit pareil dans Shane, et Shane est loin d’être un film fordien), j’étais un peu déçu qu’il n’aille pas plus loin. Voilà, pour cette analyse de haute volée. 🙂

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              • FredMJG dit :

                Le serrement de main qui ouvre des perspectives 🙂

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              • FredMJG dit :

                D’ailleurs, je ne suis même plus certaine d’avoir vu une fin où il l’embrasse. J’ai la mémoire qui flanche

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                • princecranoir dit :

                  Il l’embrasse sur la joue si je me souviens bien. Par contre je n’arrive plus à me souvenir s’il s’agit de la version que j’ai vue en DVD ou celle vue en salle. Ceci dit, je préfère également la chaste étreinte de ces petites menottes timides qui se séparent.
                  La scène de bal à ciel ouvert, sur l’estrade d’une église en construction. Encore un moment mémorable.

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                  • FredMJG dit :

                    Ah ! Le bisou sur la joue alors peut-être. Je songeais à une roulade de pain chaud comme la braise, façon L’homme tranquille… Pas étonnant donc que j’ai la mémoire qui flanche 😂

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                    • Strum dit :

                      Je confirme, c’est un bisou sur la joue, chaste et silencieux, inséré comme un plan de coupe. Puis il lui sert la main en disant « bye Ma’am » et s’en va en disant un tout aussi chaste: « Ma’am, I sure like that name… Clémentine ».

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                    • FredMJG dit :

                      Va falloir le revoir alors 🙂

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            • Strum dit :

              Ah, cette scène de bal si belle et que Ford a amené avec un humour si tendre …

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  4. Ping : Wichita (Un jeu risqué) de Jacques Tourneur : la loi face au désordre de la nuit | Newstrum – Notes sur le cinéma

  5. Valfabert dit :

    L’idée est en effet très pertinente : les films de Ford racontent l’ « histoire d’hommes et de femmes dont la vie est un voyage », « l’histoire de l’errance humaine ». Ton point de vue complète utilement, à mon sens, celui qu’avait exprimé Bertrand Tavernier dans un article publié dans les années 60. Le futur réalisateur y évoquait un trait constant, selon lui, du cinéma fordien : la recherche, par les héros, d’un ancrage, d’un foyer, d’une terre à défricher, d’un idéal à respecter, d’une société à former et à préserver. Il faisait remarquer que cette quête peut prendre les formes les plus diverses, y compris l’espérance simple mais tenace d’obtenir un jour une place sur un rocking-chair auprès du feu (c’est le voeu d’un personnage de « La prisonnière du désert »).
    Ton jugement et le sien, me semble-t-il, se conjuguent et rendent compte de cette dialectique bien fordienne du voyageur et du sédentaire, incarnée notamment par les frères Ethan et Aaron dans « La prisonnière du désert ». Dialectique qui illustre le principe de double perspective du cinéma de Ford, que tu évoques ailleurs très justement.
    Je trouve que ceci prend un relief saisissant quand le thème de l’ancrage, comme il arrive parfois dans l’univers fordien, vient se combiner à celui du voyage à travers la même personne. En effet, à l’enracinement au premier degré, tels que le foyer et la terre villageoise (la vallée des Morgan, par exemple), répond l’enracinement intime, le plus fort, celui de la mémoire et de la fidélité aux êtres aimés lointains ou disparus, enracinement intime qui apparaît surtout chez ceux qui sont voués à l’itinérance (Ethan Edwards, Huw Morgan, Wyatt Earp, notamment), lesquels incarnent ainsi les deux thèmes en une synthèse hautement mélancolique.
    A cet égard, très emblématiques me paraissent les scènes où le voyage et la stabilité sont exprimés dans la même image. Tels ces plans où une femme immobile regarde partir un homme vers l’horizon (scène de « La prisonnière du désert », scène finale de « La poursuite infernale »). Le cadrage choisi y met en avant la distance spatiale croissante entre les deux personnes et l’attitude de ces dernières indique l’ancrage affectif qui les lie par-delà ce mouvement d’éloignement.

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    • Strum dit :

      Nous sommes tout à fait d’accord, merci. On peut aussi citer les plans de Young Mr. Lincoln où Fonda fixe l’horizon qui sont du même ordre. Le personnage est immobile, mais son esprit est déjà partie en voyage – encore que s’agissant de Young Mr. Lincoln, cet horizon a la particularité d’être aussi un horizon temporellement élargi puisqu’il désigne à la fois le passé (Lincoln se souvient de la femme aimée) et l’avenir (le destin de Lincoln).

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