The Host : le monstre picaresque de Bong Joon-ho

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The Host (2006) du cinéaste sud-coréen Bong Joon-ho est un film qui mue au gré de sa narration tel un lézard perdant ses diverses peaux. L’exceptionnel Memories of Murder (2003) du même réalisateur, qui racontait l’histoire glaçante d’une série de meurtres non élucidés, produisait une impression du même ordre, mais bien que Bong Joon-ho y fusionnait analyse sociologique et thriller existentiel il restait dans le cadre général du film policier.

Avec The Host, dont le ton est totalement original, on ne sait même plus sur quel pied danser. C’est l’histoire des Park, une famille de déclassés qui fait face à un monstre marin créé par une pollution massive. Au début du film, Bong Joon-ho met en place des situations qui relèvent des conventions narratives du film de monstre, parmi lesquelles on retrouve le savant sans scrupule, l’attaque du monstre, et des personnages sans qualifications particulières devenant les principaux protagonistes du récit. Mais ces conventions sont aussitôt dynamitées par un sens du grotesque et du spectaculaire qui brille de tous ses feux lors de la première attaque du monstre, remarquablement mise en scène. Ce dernier leur ayant enlevé leur fille, la famille Park se lance dans une odyssée tragi-comique pour la retrouver. Bong Joon-ho mélange les genres, et fond dans le creuset de son récit, le film social, la comédie à l’italienne, le film d’action et le film de science-fiction, avec ce monstre fait de bric et de broc. Loin de traduire une hésitation entre différents genres, cette diversité du regard impose la singularité d’un ton. Le ton d’un réalisateur virtuose, sorte de Kafka coréen ayant le sens du picaresque de Cervantès. On pourra trouver ce patronage lourd à porter, mais je ne sais comment mieux décrire l’atmosphère si particulière du film. Avec The Host, Bong a retrouvé la recette du récit picaresque, qui était souvent critique de la société de son temps.

Car The Host est une farce sociale, parfois assez proche par son esprit de satire de la comédie italienne des années 1960 et 1970, une farce qui montre une famille d’exclus et de parias, vivant aux marges de la société, loin des centres du pouvoir. Dans The Host, à l’instar du Château de Kafka, où l’Arpenteur K. vit son éloignement du Château comme une incompréhensible et humiliante pénitence, plus l’éloignement des centres de décision est grand, plus c’est le fantasme qui dicte la description des instances du pouvoir. Les scientifiques américains du film semblent ainsi échappés d’un asile. Il faut savoir rire de l’exagération quand elle est comme ici si évidemment voulue et maitrisée, de même que l’on rit du grotesque des tribulations de K.

Mais Bong ne semble pas vouloir rire longtemps de sa farce. Il prend vite fait et cause pour sa famille, et pleure avec elle ; une famille coupable d’exister, là aussi comme chez Kafka. Si coupable, qu’on lui enlève la promesse de temps meilleurs : une petite fille qui avait l’avenir devant elle. Pourquoi cette famille est-elle persécutée, pourquoi la prive-t-on ainsi de cette raison de vivre ? Bong sonne le tocsin de la révolte : sa famille se révolte contre le monstre, elle se révolte contre la société, elle se révolte contre les inégalités sociales et les possédants. Comme dans Memories of Murder, comme dans Mother, Bong aborde son sujet en sociologue et ausculte la société sud-coréenne. Parfois, en quelques plans, Bong nous fait passer du rire aux larmes, en écartant les atours de la farce pour nous faire mieux voir le drame vécu par les Park. The Host narre une histoire maintes fois racontée d’opprimés et d’offensés, et même s’il y a du manichéisme dans ce film, on l’accepte avec tout le reste.

Tout en étant extrêmement dense narrativement, The Host ne fonctionne pas selon un principe de surenchère, principe qui est la plaie des films d’actions modernes où l’esbrouffe et les effets spéciaux ont pris tant de place. Les péripéties du film se suivent à un rythme plutôt soutenu, mais selon un principe d’exagération interne à chaque scène (ce qui est le propre du genre picaresque). L’exagération ne monte pas en grade de scène en scène. Cela tient à la maitrise formelle de Bong Joon-ho, qui fait notamment une utilisation remarquable des ralentis, à la fin du film essentiellement. Chez lui, les ralentis sont beaux, là où chez d’autres ils sont laids et ressortent du gimmick. Chez lui, les ralentis (qui ne ralentissent que modérément l’action en modulant la vitesse de défilement de l’image) saisissent les personnages dans l’action, les statufient en lanceurs de cocktails molotov, en archers, pareils à des héros grecs luttant contre des dieux cruels et ricanants. Dans ces plans de la fin du film, il témoigne d’un sens de l’espace formidable, qui est peut-être la caractéristique principale de sa mise en scène.

Strum

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15 commentaires pour The Host : le monstre picaresque de Bong Joon-ho

  1. 2flicsamiami dit :

    Un film assez atypique en effet – bien que le mélange des genres ne soit pas rare au pays du matin calme. En effet, il y a un sens du loufoque, une douce folie chez Joon-Ho (qui se ressentait également dans sa récente production, Sea Fog) que j’aurais, pour ma part, immédiatement rapproché à Gilliam et son Brazil (qui s’inscrit, lui aussi, dans une imagerie Kafkaïenne).

    Sinon, concernant le laconique sort que tu réserves au Transperceneige, je le partage en petite partie. Sans parler de déception, c’est un film fascinant mais qui manque un peu de lyrisme, d’incarnation.

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  2. Strum dit :

    Hello et merci pour ton commentaire 2flicsamiami. Effectivement, un rapprochement avec Brazil doit pouvoir être fait, mais The Host garde un ton unique et il me semble que Bong est plus sentimental et plus proche de ses personnages que Gilliam tout en ayant une approche plus sociologique du sujet (ses personnages sont ici des parias, des exclus) – cela dit, je n’ai pas vu Brazil depuis longtemps. J’aime beaucoup Bong Joon-Ho.

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  4. THE HOST n’est pas une farce mais une satire social et il ne s’en cache pas. Pour te montrais que ils savent faire de très bon films je te donne un titre et si tu ne le trouve pas je te donnerais un site ou il y est mais il date de 2005, mais çà vaut le coup d’oeil, vraiment. NO MERCY.

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  8. princecranoir dit :

    Magnifique analyse qui résonne avec les images de ce grand film revu hier soir, et dont la virtuosité et la maîtrise formelle m’impressionne toujours autant, autant dans l’art de la mise en scène que dans sa capacité à embrasser sans étreindre un panel thématique qui en ferait fuir de plus chevronnés. On trouvait d’ailleurs en gestation dans « The Host » nombre de motifs repris dans le récent « Parasite », outre la figure de l’idiot illuminé, celui de la sportive empêchée ou du diplômé laissé à la porte du marché de l’emploi. Si la solidarité qui lie les membres de la famille Kim n’a d’égal que la férocité de ces sans-grades à se faire concurrence dans « Parasite », celle dont font montre ici les Park s’avère bien plus généreuse, notamment lorsque Gang-du va se porter au secours des fuyards en détresse lors de la première attaque (avec l’Américain, clin d’œil un brin moqueur à l’héroïsme hollywoodien typique de Bong), ou bien dans l’épilogue (que je ne dévoilerai pas mais qui ressort presque d’une « affaire de famille » façon Kore-eda). Beaucoup ont évoqué Spielberg et « les dents de la mer » pour la gestion du monstre, j’y vois personnellement un traitement plus proche du film catastrophe « la Guerre des Mondes » dans sa gestion des mouvements de foule, le traitement familial, la menace « technologique » qui frappe l’humain. Bong Joon-ho à son meilleur sans aucun doute.

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    • Strum dit :

      Merci ! Tout à fait d’accord avec toi pour souligner à la fois les liens avec Parasite (les deux familles) et Spielberg (même sens de l’espace) que Bong admire. Quel cinéaste en tout cas !

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  9. Vincimus dit :

    Bonsoir Strum,
    Merci pour ton éclairage qui s’inscrit toujours dans une finesse d’analyse.
    J’ai visionné ce film hier et il m’a plutôt dérouté. Comme tu l’écris au début de ton article : » on se sait pas sur quel pied danser ». Je te rejoins sur la mise en perspective de Bong sur la société Coréenne à travers la famille Park. Cependant tous les personnages familiaux n’ont pas forcément le même traitement, ni la même amplitude dans le charisme et l’attachement ( ce qui, j’en convient est réussi dans les personnes du père et du grand père).
    Par ailleurs, ce qui fonctionne très dans le mélange des genres dans son opus « parasite » (la chronique sociale, la comédie burlesque ou encore le drame) est pour moi Bcp moins retentissant dans  » the Host ». Je trouve que la construction est moins aboutie et je dois reconnaître que j’ai perdu un peu pied dans la multiplicité des genres. Par contre, cet état de fait n’enlève rien à la pertinence du fond, ce que tu développes très bien ci dessus.
    J’ai eu un peu de difficultés à digérer le mollusque. Je pense que je reverrai ce film dans quelques temps dans une volonté d’affiner mes impressions.
    Merci pour ton article et à bientôt.

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    • Strum dit :

      Bonsoir Vincimus et merci ! The Host est encore plus kafkaïen que Parasite et donc encore plus déroutant. Mais c’est un film brillantissime, assez unique en son genre, avec une mise en scène d’une ampleur très impressionnante. As-tu vu Memories of murder ? Cela devrait davantage te plaire.

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  11. Vincimus dit :

    Kafkaïen est bien senti. Pour répondre à ta question, je n’ai pas visionné le film que tu cites. Je ne manquerai pas de le découvrir pour creuser le sillon de ce réalisateur atypique et brillant.
    Merci et à très bientôt. 😊

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