Ettore Scola et la comédie à l’italienne

Afficher l'image d'origine

Ettore Scola est mort le 19 janvier 2016 après une vie bien remplie. Des quatre maîtres de la comédie à l’italienne (les trois autres étaient Dino Risi, Mario Monicelli et Luigi Comencini – certains voyant dans Pietro Germi un autre réalisateur important du genre), il fut non seulement le plus jeune (il avait 15 ans de moins que les autres), mais aussi celui dont l’oeuvre appartenait in fine le moins au genre de la comédie à l’italienne. Son chef-d’oeuvre, le magnifique Une Journée Particulière (Mastroianni et Sophia Loren y sont prodigieux) est un drame historique, et son film le plus marquant, Nous nous sommes tant aimés, qui reflétait à travers une chronique de la vie d’un groupe d’amis les désillusions de Scola sur l’évolution de la société italienne, n’appartient qu’indirectement au genre. Quant à sa comédie italienne la plus célèbre, Affreux, Sales et Méchants, elle ne se hisse pas au niveau des pépites du genre. Enfin, tous ses derniers films ont partie liée avec l’Histoire (d’Italie ou de France) qu’ils interrogent avec mélancolie. Scola sonnait la fin de la partie.

Scola fut d’abord caricaturiste de presse (il évoqua ses débuts en 2013 dans Qu’il est étrange de s’appeler Federico, le très beau documentaire qu’il consacra à son ami Fellini). Cela seul augurait de la suite et rappelle que ce que l’on a appelé « comédie à l’italienne » consistait à caricaturer la réalité sous la forme d’une satire ayant pour ambition de dénoncer les compromis et les injustices de la vie réelle. Il s’agissait de plonger des personnages de comédie dans des drames. Ce faisant, la comédie à l’italienne prolongeait le néo-réalisme d’après-guerre en lui adjoignant un esprit caustique venu de plus loin, de la comedia dell’arte italienne et de son goût de la farce et des personnages typés (toutes proportions gardées, cette évolution n’était pas sans rappeler celle que l’on aperçoit dans certaines nouvelles de Maupassant particulièrement caustiques qui prolongeaient dans la satire le réalisme de Flaubert – une nouvelle comme En famille, avec cette mère que l’on croit morte, ce qui déclenche toute une série d’actions tragico-comiques autour de son héritage, et qui ressuscite ensuite à l’effroi de tous, ressemble ainsi à un premier traitement de comédie à l’italienne).

Les quatre mousquetaires de la comédie à l’italienne étaient engagés à gauche, selon l’expression consacrée, et Monicelli et Scola étaient des communistes déclarés membres du parti communiste. Leurs films rendaient compte de leurs désillusions et peut-être d’une certaine rancoeur quant à l’évolution de la société italienne dans les années 1960 et 1970, dans le sillage des intellectuels de l’époque dénonçant la société de consommation. A défaut de grand soir, on pouvait bien rire du spectacle donné par la société, en se gaussant des opportunistes de tous poils, du machisme du mâle italien, des donneurs de leçons et des contempteurs de la pauvreté, sans oublier de s’inquiéter de possibles dérives fascistes, tout le monde (un principe sain) en prenant pour son grade. Le monde devenait une grande scène de théâtre. C’était au spectateur de tirer la leçon du spectacle qui lui était ainsi donné, sans mode d’emploi ni morale explicite (à rebours du Goldoni moraliste des Rustres), et de conclure que ces caricatures d’italien n’étaient pas étrangères à certains travers qu’il pouvait observer autour de lui ; mais aussi sans doute aux siens. Les personnages typés et récurrents étaient fort logiquement incarnés par les mêmes acteurs, Alberto Sordi, Vittorio Gassmann, Ugo Tognazzi et Nino Manfredi faisant assaut de talent pour donner au genre d’inoubliables visages. La comédie à l’italienne finit par s’approcher dans les années 1970 d’un humour noir particulièrement corrosif et excessif où il n’y avait plus grand monde à sauver (Le Grand Embouteillage et L’Argent de la vieille de Comencini, Affreux, Sales et Méchants de Scola, Les Nouveaux Monstres de Risi, Monicelli et Scola). On pourrait écrire que l’excès était consubstantiel au genre, mais je crois au contraire qu’il mourut de ses propres excès. Et c’est plutôt en accueillant la sensibilité particulière de chacun des cinéastes qui firent sa réputation, sensibilité qui transcendait le genre et lui conférait diverses facettes, que la comédie à l’italienne a atteint ses sommets (la mélancolie et la lucidité de Risi dont témoignent les superbes Une Vie Difficile et Le Fanfaron mais aussi Au nom du peuple italien ; l’empathie inquiète de Comencini pour ses personnages, qui transperce dans La Grande Pagaille et ses films sur l’enfance qui l’éloignèrent du genre ; l’attrait de Monicelli pour les communautés qui s’affirme dans ces odes à l’amitié que sont La Grande Guerre et Mes Chers Amis ; le goût de comprendre comment on en était arrivé là que révèlent les chroniques historiques d’Ettore Scola).

Strum

Cet article, publié dans cinéma, cinéma européen, cinéma italien, Comencini (Luigi), critique de film, Monicelli (Mario), Réflexions sur le cinéma, Risi (Dino), Scola (Ettore), est tagué , , , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

6 commentaires pour Ettore Scola et la comédie à l’italienne

  1. Le Cinéphile Stakhanoviste dit :

    Bel hommage au disparu et au genre si souvent génial et féroce de la comédie italienne Strum. Après la tragique disparition de Monicelli il y a quelques années tous les grands maîtres sont partis, sans vrai relève. Sinon j’en rajoute une couche Il faut te mettre à Pietro Germi, aussi génial que les autres et injustement oublié (alors que paradoxalement à l’époque c’est lui qui récoltait les critiques élogieuses et les récompenses en festival), de grand moment en perspective avec Divorce à l’italienne, Séduite et abandonnée ou Ces messieurs dames, et une grande partie de la réussite de Mes chers amis lui est imputable.

    J’aime

  2. modrone dit :

    Oui, sept ou huit grands noms pour cette comédie italienne. Je les aime beaucoup et je les ai beaucoup vus alors je les appelle par leur prénom. Outre Ettore, citons Luigi, Mario, Dino, Alberto, Pietro. Mais en fait tu sais cela. Une époque bénie de l’autre côté des Alpes. Ja’i chronqiué pas mal de ces films. A +

    J’aime

  3. Strum dit :

    Au cinéphile stakhanoviste : merci Justin, j’ai l’impression qu’il faut vraiment que je me mette à Germi effectivement.

    A eeguab/modrone : ah oui, ces cinéastes italiens, on a toujours envie de les appeler par leur prénom, cela fait partie de leur charme. 🙂

    J’aime

  4. Marcorèle dit :

    A quand la sortie en DVD/BluRay du très beau (et drôle) Maccaroni !

    J’aime

  5. Ping : Il Giovedi de Dino Risi : un père et son fils | Newstrum – Notes sur le cinéma

Laisser un commentaire